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man ray

  • Par delà le temps...

    La question n'est pas de savoir ce qu'est pour chacun la beauté, le sens de la beauté, sa pure formalisation mais il y a un trouble à y réfléchir, un trouble qui jamais n'est aussi intense qu'à l'heure d'une confrontation au temps.

    Dire que le rapport que nous entretenons à ce sujet est conditionné par une représentation sociale, circonscrite au cadre par quoi nous construisons nos représentations, dire cela est enfoncer une porte ouverte. La beauté d'un visage est pour le moins le fruit d'un désir que nous projetons sans doute, mais aussi l'effet de paramètres auxquels nous nous arrêtons à peine tant, si l'on veut s'y attarder, ils nous sembleraient vulgaires : taille, forme, grain de peau, couleur de peau,... La beauté, ainsi traitée, n'est plus une abstraction, ce qui s'éprouve sans concept, mais une mathématique souterraine.

    C'est ainsi que les beautés fatales d'une époque nous sont presque toutes insondables et que celles qui forgent l'imaginaire contemporain semblent être sans équivalent. Les femmes s'extasient devant Brad Pitt et trouvent, en général, peu d'attrait à Cary Grant ; le charme de Ryan Gosling est une évidence quand celui d'un Clark Gable est dépassé. Et ce qui concerne les femmes trouve son équivalent chez les hommes : Scarlett Johanson plutôt que Rita Hayworth, Angelina Jolie et non Brigitte Bardot.

    Parfois même nous ne comprenons pas ce qui a pu séduire un société passée. La beauté est alors une énigme (1). On devine juste quelques éléments symboliques qui pourraient justifier tel ou tel engouement. L'éloignement est là devant nous.

    Quand la conscience de cet étrange travail est comme bouleversée, c'est qu'opère la magie véritable d'un visage.

    Au milieu de l'exposition sur le surréaliste américain Joseph Cornell, le visiteur découvre la photographie d'une femme par Man Ray. Elle s'appelle Lee Miller, elle-même photographe assez célèbre (2). L'œuvre de l'artiste est magnifique (plan, éclat de la lumière, etc.) mais que dire du modèle. Un modèle à la fois ancré dans son temps, un visage dont on reconnaît qu'il est caractéristique des années 30 mais qui, malgré tout, dépasse son époque, touche à une universalité des visages où l'on a envie de se noyer. Le cliché ci-dessous n'est pas celui de Man Ray mais il éveille la même densité dans l'œil.

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     Il y a dans le visage de Lee Miller une présence intemporelle de la beauté, comme chez Ava Gardner ou Louise Brooks. L'effet se situe bien au-delà du registre esthétique. Chez chacune d'elles, concentrée dans leur visage se noue une histoire à la fois attendue et déjà connue. Elles ne ressemblent pas : ce n'est pas le problème. Mais face à cette énergie, le miracle de la contemplation se fait. Un éblouissement absolu, une porte secrète, un mystère dont on ne sait pas s'il faudrait à jamais le laisser tel ou cherche à en découvrir les arcanes...

     

    (1)Mais la sensualité tout autant : l'érotisme des corps n'est pas neutre, ne va pas de soi. Il est aussi le fruit d'une attente variable, d'un fantasme malgré tout défini, d'un regard situé en deçà de celui qui regarde...

    (2)Pour être honnête, son nom traînait dans sa mémoire mais à brûle-pourpoint je n'aurais pu lui donner une identité précise...

     

    Photo : Arnold Genthe