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montecatini terme

  • Liquéfaction

    Montecatini-Terme_Tettuccio-Spa_2981.jpg

    Montecatini Terme fut dans le passé cité glorieuse. Séjour thermal du Grand-Duc de Toscane, Shelley et Byron y furent des hôtes de choix. Montaigne, déjà, au XVIe, regrette de passer à un mille, sans le savoir, sur la route de Pistoïa, c'est dire, et d'avoir manqué le Tettuccio.

    Le Tettuccio est toujours là, dans une architecture monumentale, pompeuse, qui se voudrait, dans un style boursouflé de XIXe siècle faussement intelligent (déjà...), un souvenir appuyé, sans doute, de la toute la philosophie antique de l'eau. On y jette un œil, l'âme narquoise.

    Pour le reste, Montecatini Terme sent le passé improvisé, le temps perdu, un prestige galvaudé. On pense à un Vichy sous le soleil. Les rues sont mortes. Quelques belles bâtisses côtoient un temps plus avancé de demeures fonctionnelles et sans attrait.

    Les hôtels ont des dénominations helvétiques. On image assez bien l'esprit du Nord descendre jusqu'ici. Une joaillerie qui veut être dans le vent est en même temps un bar, et sur une grande place encastrée dans des immeubles à terrasses, un café offre ses cocktails et de grandes banquettes blanches. Tu y bois par ironie un Old Fashioned.

    En marchant vers le centre (tu étais garé non loin du funiculaire qui mène à Montecatini Alto, hameau escarpé dont l'épine dorsale n'est plus que succession de restaurants), tu n'as pour dire ainsi croisé que des vieux, lents et sérieux. Comme tu t'en retournes, à l'heure où ils mangent, assez tôt pour une aire du Sud, ils sont à leur assiette. Dans la grande salle, vitrée et climatisée, d'un hôtel qui joue chic, ils sont une vingtaine, sous la surveillance des serveurs droits comme des i. Ils sont tout apprêtés de leur gravité permanentée, pour les femmes, cravatée, les hommes. Il faut être digne en toute circonstance. Tu marches très lentement, pour contempler ces carcasses en aquarium qui mangent sans rien dire. Pas une lèvre ne bouge, pas un regard profond. Ils sont une caricature, et l'ensemble vaut bien plus la somme des parties. Ils ont une faim de vie satisfaisante et sont venus se rassurer sur leur éternité. Il n'est pas difficile de les imaginer la journée aux soins, discourant sur la catastrophe du monde comme il va ou de l'absence d'une habituée. Tout est à eux, ici, c'est clair. Leurs rhumatismes ne sont rien à côté de cette réification d'entre soi qu'ils poussent à l'extrême. Tu prends le temps d'allumer une cigarette, en espérant que la mécanique s'animera d'un besoin d'eau ou de vin, d'une grimace devant un plat trop salé. Mais rien ne se passe. De la fourchette à la bouche, une gorgée d'eau gazeuse, la serviette délicatement aux commissures des lèvres. Et le silence que tu n'entends pas mais qui entres en toi comme une certitude.

    La dernière fois que tu as contemplé un tel tableau, c'était exactement quatorze ans auparavant, à Nice, face au Négresco, où sous les pergolas faites pour contempler la mer, des vieux épuisés mais riches évaluaient le cul et les seins des baigneuses, à haute voix parfois (voilà pourquoi tu le sais) et déjà tu avais repensé à cette vieille chanson de Lavilliers intitulé Promenade des Anglais et  à ces quelques lignes : "Bientôt la mort et tu décroches/Tout doucement tes ongles faux/De la cupidité féroce/Des habits noirs et des tangos".

    Il n'est pas à faire le procès de ceux qui veulent la vie à tout prix. Telle est leur volonté. Tu ne la partages pas. La question est-elle là ? N'est-elle pas plutôt dans ce désagréable sentiment, soudain, que la vieillesse a pris le pli d'une jeunesse avide de prolonger l'illusion d'elle-même ? Les vieux de Montecatini Terme sont bien à leur place dans le théâtre vitrifié d'une bonne conscience qui ne voudrait en aucune façon manquer la saison des thermes agrémentée de quelques concerts (parce qu'ils sont forcément mélomanes) et de la lecture matinale du journal de chez eux, car il est certain que s'il doit y avoir un autre monde hors de cet aquarium dans lequel ils sont si bien, si rassurés, c'est là d'où ils viennent, et rien d'autre.

    Cette déréalité, un peu miteuse ici, malgré les efforts, ailleurs plus reluisante (comme en Bavière, par exemple), laisse songeur. On y sent un repli imparable. Nul paravent mélancolique. Au contraire : la volonté jusque dans la mise de sauver un monde tel qu'on voudrait qu'il soit, la componction d'un bon ordre que démentent pourtant la parade négligée (dont toi) de ceux qui ne sont pas curistes et la banalité du lieu offert à des commerces de pacotilles et à une fête foraine de jeux gonflables pour d'éventuels enfants...


    Photo : X


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