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musée des offices

  • Filippo Lippi, lever le voile...

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    Madone à l'enfant, avec deux anges, Musée des Offices, c. 1465.

     

    Il y a dans le style, étymologiquement, une incision (1), une pression exercée, visible, faite pour capturer l'attention du spectateur (ou du lecteur). Une différence que l'on pourrait assimiler à une inégalité topographique ravissante. Les territoires vallonnés séduisent plus que les platitudes. Ainsi pensé, le style est une intempérance, une (im)pulsion. La peinture en témoigne largement. Mais nous sommes tout à coup aux Offices et c'est Filippo Lippi qui apporte la contradiction. Majestueusement, magistralement. Certes le paysage est délicat, le bras du siège de riche étoffe, le visage de la Vierge d'une beauté fraîche et paisible, avec  ce supplément d'émotion contenue qui rend Boticelli, en comparaison, si ennuyeux. Certes, l'unité chromatique et l'enchaînement des plans... Certes...

    Mais que serait notre bonheur contemporain si nous n'étions pas, imparable méandre de tissu aussi léger qu'une brume, éblouis par la coiffe. Cette coiffe affole la chevelure de Marie plus que ne le fera jamais la mise élaborée d'une courtisane. Sa blondeur italienne se nourrit de ce qui échoue à la cacher. Le voile le désigne ; il nous indique où regarder, et la complexité du chignon (?), ornée d'une gaze (mousseline, tulle...) ressemble à l'agitation paisible d'une mer. L'œil s'y perd ; l'œil s'y noie. Et comme il n'est, en peinture, qu'un ordre factice du monde, une vague plus ardente et plus aventureuse a glissé sur son cou de sable. Le voile est une écume, le corps maritime, que nous aurions envie d'alle rejoindre pour nous y rouler encore et encore. Érotique voilure de la beauté qui perdrait tant à nous contenter de sa seule nudité. Filippo Lippi s'en tient à la parade élémentaire d'un à peine invisible (2).  Telle est la bonté de son art, au delà de la maîtrise technique. Nous ne sommes plus devant le drapé qui cache et, parfois, suggère avec lourdeur, mais devant la fragile palpitation de la peau, de la courbe d'un corps, la désirable triangulation d'un cou, d'une mâchoire et d'une oreille. Fragile figure d'un désir. Sa dissimulation réhaussée par l'objet même de la dissimulation.

    Aussi discret l'artiste l'a-t-il voulu, ce voile, épanchement de la coiffure, lie la chevelure, attribut sensuel s'il en est, à cette chair, et plutôt que d'en rester à la seule contemplation des traits de la Vierge, le regard glisse en arrière. Les traits, disons-le : il y a en eux quelque chose de trop dessiné, de trop précis, qui ne résiste pas à la cartographie vaporeuse de cette zone, devenue désormais le sujet de notre fantasme. Le trait reflue, se perd ; le visage perd de sa netteté maintenant. L'œil n'en veut nullement d'être tenu à distance ; l'esprit se réjouit, d'être ainsi guidé, de s'en venir là où il n'aurait pas pensé s'aventurer. Contemplation gracieuse du cou avant de remonter sur la coiffe et les cheveux, ondulant comme les fleurs-filaments d'un monde heureusement inconnu. Un monde de plénitude où l'on oublie l'auréole de la Madone...

     

     

    (1)C'est d'ailleurs ainsi qu'en italien on désigne la gravure : incisione

    (2)Plutôt que le si facile "à peine visible".