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pastiche

  • Theatrum horrendi

    Ubu : ahh, ahha, aaaah, aah...

    Pousse-patins : Pourquoi ris-tu, Père Ubu ?

    Ubu : Je lis les nouvelles du monde et elles sont fort risibles, en effet !

    Pousse-patins : Qu'y a-t-il de si drôle ?

    Ubu : Écoute ! En Francheconnerie, on a appelé le peuple de gauche à voter pour Casquobol, le si grotesque Casquobol ! Aahh, aah, aaah ! Ce peuple de gauche !

    Pousse-patins : Tu veux dire, Père Ubu, ce bon peuple de gauche !

    Ubu : C'est vrai, j'oubliais l'adjectif. Je dirais même plus : ce trop bon !

    Pousse-patins : Oh, oui ! Trop bon !

    Ubu : Mais il ne faut pas s'étonner, par ma chandelle verte. Tout est possible, et surtout le pire. 

    Pousse-patins : Ils pourront toujours danser au bal des cocus.

    Ubu : Sûr qu'ils pourront danser, chanter et reprendre à tue-tête leur devise nationale

    Pousse-patins : Leur devise nationale ?

    Ubu : Oui, elle est très belle : usinoir, urinoir, isoloir ! Aaah, aaah, aah !

    Pousse-patins : Très parlant, je trouve.

    Ubu : Tout à fait. C'est pour cela qu'on peut en rire. Mais rien d'étonnant.

    Pousse-patins : Pourquoi ? Comment cette grande arnaque est-elle seulement possible ?

    Ubu : On appelle cela la démocratie libérale.

    Pousse-patins : Démocratie libérale ? Je n'entends guère ce que tu me dis là, Père Ubu. J'attends que ta chandelle verte m'éclaire.

    Ubu : Cornegidouille, voilà qui n'est pas difficile. Écoute bien, parce que je vais étymologiquement élucider le mystère

    Pousse-patins : Je suis toute ouïe.

    Ubu : Démocratie libérale est composé de deux mots. Libérale vient du grec et signifie "pompe à phynance". mocratie vient aussi du grec et signifie "pompe à merdre". Saisis-tu la correspondance ?

    Pousse-patins : Je ne la saisis que trop.

    Ubu : Adoncques le mécanisme est le suivant. Pour que la "pompe à phynance" puisse fonctionner au mieux pour ceux qui la tiennent, il faut mettre en branle la "pompe à merdre".

    Pousse-patins : Et comment s'enclenche ce sytème qui relie l'une et l'autre ?

    Ubu : Grâce à un instrument de papier qu'on appelle familièrement bulletin de vote mais que les spécialistes savent nommer de façon plus adéquate : le torche-cul.

    Pousse-patins : Nous y sommes.

    Ubu : Effectivement.

    Pousse-patins : Et cela explique-t-il la faveur faite à Casquobol ?

    Ubu : Certainement. Nul doute qu'avec lui la "pompe à phynance" fonctionnera plus, arrosera mieux, que veaux, vaches et cochons seront plus gras dans les couloirs du pouvoir ! (il soupire).

    Pousse-patins : Et les gens ne disent rien.

    Ubu : Ils se sentent d'importance avec leur torche-cul, les mains bien grasses, le dimanche. Ils appellent cela : maîtriser son destin. (Il soupire)

    Pousse-patins : Tu as l'air songeur, Père Ubu...

    Ubu : Je le suis, en effet

    Pousse-patins : Pourquoi est-ce ?

    Ubu : La nostalgie de mon crochet à nobles, mon pauvre Pousse-patins. Mon crochet à nobles. Que de grandes choses nous avons faites... T'en souviens-tu ?

    Pousse-patins : Chasse ta mélancolie, Père Ubu, parce que, de toute manière, tu n'es pas un Franchecon.

    Ubu : Certes. Tu as raison. Je ne suis pas un Franchecon. Qu'ils se démerdrent. Ou pas...

                               

                                                    Alfred Jarry, Ubu voyageur (posthume)

     

     

     

     

     

     

     

     

  • En une contrée fort lointaine...

    Hans Holbein, Les Ambassadeurs (1533), National Gallery de Londres

     

    En une  contrée fort lointaine, un agité calife considéra qu'il devait renouveler son gouvernement. L'enjeu n'était pas mince pour qui s'estime : la place de premier vizir en récompense. Mais le souverain ne procéda pas comme il est d'ordinaire. Lui-même, faut-il le préciser, se croyait extraordinaire. Ainsi, plutôt que de peser dans le secret de son cœur les défauts et qualités de tel ou tel impétrant, il annonça qu'un jour prochain, il y aurait du changement. Le terme n'était pas fixé. L'agitation gagna la haute Cour. Chacun, ou presque, se sentit l'âme assez élevée pour accéder au poste. Le rut des ambitions alla crescendo. Le calife souffla le chaud et le froid, distribuant au gré de son humeur les blâmes et les satisfecits. Les lippes gourmandes devenaient alors mine renfrognée ou sourires niais. De ce que ce serait le travail à accomplir, nul n'en parlait vraiment. C'était le prestige du poste qui comptait. Que son siège ressemblât à une chaise percée, nul ne s'en souciait. Le spectacle ne manquait pas d'être plaisant. Une prétendante se fit plus rigide encore qu'elle n'était ; un second abandonna ses lunettes d'Harry Poter pour se vieillir ; un troisième se peigna et fit attention de ne plus froisser ses costumes ; le premier vizir en place vanta lui-même sa constance à ne pas exister devant le calife. Les paris étaient lancés. Les échines frissonnaient ; les couloirs bruissaient ; le peuple attendait. On supputait à qui mieux mieux dans les salons dorés. Comme Diogène cherchait un homme, l'agité calife cherchait sa marotte. Mais avant tout, il fallait que le bienheureux qui viendrait sentît le feu initial de l'humiliation. L'affaire, donc, dura.

    Enfin, elle se termina. La montagne accoucha d'une souris, on s'en doute. Mais, pour le nouvel élu, ce fut la certitude d'avoir une fois mort le bénéfice d'une avenue périphérique, bordée d'arbres centenaires et moqueurs, qui porterait son nom.

    Il y a ainsi de par le monde bien des nations à plaindre, de voir le ridicule triompher de la sorte. Heureusement que le Destin, en son éclat magnanime, en épargne la nôtre.