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roses

  • Anthologie

    Il y avait la façade grêlée de roses, rouges, aux pétales comme une pluie recueillie à l'heure attendue du printemps et de l'été, dont nous faisions des confitures, gelées plutôt, douces et légèrement translucides, sémaphores des petits-déjeuners de l'automne, venu désormais.

    C'était ainsi manger un peu de la maison de campagne, et la perpétuer, urbains repliés que nous étions, en incorporer les pierres parfois disjointes, à peine visibles sous le trémail végétal et grimpant, qui, alors nu, attendait de renaître, comme nous, enfoncés dans la goule de l'hiver.

    Un an s'était écoulé.

     

  • Intimement

    Sa fille lui rappelle qu'elles sont attendues, que Gérald va râler. Mais elle reste là à regarder les roses trémières qui s'élèvent entre la chaussée et le trottoir pour certains, entre le trottoir et les maisons pour d'autres, dans la violence du soleil qui fait des va-et-vient sur les murs blancs du village. Des roses trémières. Baiser roses trémières, elle se souvient toujours de Verlaine. C'est même ce reste d'école qui l'a fascinée dans cette fleur, parce que leur professeur, au lycée, disait que cette métaphore lui échappait, mais elle, le jour où elle avait vu des roses trémières, bien après, dans le jardin d'une amie, dans la banlieue de Nantes, elle avait compris, dans la forme même, épanouie et libre, ce qu'il y avait d'amoureux dans cette légèreté de la nature qui s'ouvre comme des lèvres prometteuses, avec la suavité d'une couleur frêle. Et de les voir ainsi, ouvrir leur aisance, dans ce territoire inhospitalier, feindre leur impossible fragilité entre le macadam qui n'en peut mais ! Elle reste là, à regarder cette vie rampant vers le soleil, ces rameaux perdus dans le travail des hommes qui ont cru tout circonscrire. Sans pouvoir y parvenir. Seulement la rose trémière était là, les roses trémières étaient là, comme un florilège, c'est bien le mot, de la volonté. Et elle, toute à son admiration qui agaçait sa fille, ne comprenait pas comment, pendant tant d'années, elle s'était battue avec la terre, les bons conseils du grainetier, les envois aux magazines spécialisés, les coups de téléphone à Nicolas le jardinier, sans que rien n'y fasse, sans que la beauté ne vienne faire son oeuvre au milieu du jardin, sur les bords, partout, avec ses signatures de lèvres impériales, puisqu'elle y pensait tout le temps, à cette métaphore de Verlaine. Les fleurs pullulaient dans la rue, petite, une ruelle, tout au plus, pour ne pas dire une venelle. Elle pouvait se retourner et contempler cette ligne rose comme un frou-frou de jupe espagnole alors que dans son jardin, on aurait dit de ridicules volants de papier crépon montés sur des tiges en raphia vert.

    Elle entendait encore la voix de sa fille. Il fallait qu'elle se presse et une vieille, une villageoise, a ouvert une porte, en a franchi le seuil et elles étaient presque face à face. Elle allait lui demander la recette pour tant de beauté et la vieille a bien vu qu'elle regardait le cortège de fleurs qui accompagnait la rue jusqu'à son bout. Elle ne lui laissa pas même le temps de poser une question, ou de signifier son émerveillement.

    -Eh, oui, ma pauvre, ça pousse comme chiendent, on n'y peut rien.

    Et la vieille, d'une main sèche, d'un mouvement à peine pensable pour sa constitution, de tordre une tige jusqu'à la rompre, et la fleur tombe, tombe, dans le silence des regards. Elle a envie de la gifler, cette vieille, et ne sait pas vraiment pourquoi les larmes lui montent aux yeux. Baiser rose trémières au jardin des caresses. Il y a si longtemps.