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enfance

  • Homme du livre

    http://tomsk.rouget.org/fr/docs/encyclo/Tomsk_Petit_Larousse1946.jpg

     

    Dans les années de l'après-guerre, il obtint son certificat d'études, avant de commencer les années d'apprentissage qui l'amèneraient à devenir ce qu'on appelait alors un ouvrier du livre. Il reçut en récompense un dictionnaire, un Larousse au papier rugueux et terne, avec la distinction si singulière dans ce genre d'ouvrages entre les noms propres et les noms communs (lesquels «noms communs» ne se réduisaient pas à la classe des susbstantifs) et les très étranges pages roses regroupant les expressions latines. Les illustrations étaient des vignettes dessinées, sans couleur. Il n'a jamais oublié le moment où on le lui tendit et que ses mains en caressèrent pour la première fois le grain. Ce qui serait à lui, désormais. A-t-il pu imaginer que cette rencontre serait unique, qu'il scellait avec lui un pacte silencieux, improbable ? Il y avait bien une certaine solennité, mais elle n'est pas une explication suffisante pour qu'il se dégage de l'événement vécu un sens supérieur clair, celui qui nous poursuit le reste de notre vie. Et de cette intensité-là, nous n'en savons souvent rien, bien souvent nous ne la pressentons même pas (elle fait son chemin en nous, douce et infiniment inscrite dans le temps).

    Ainsi ce dictionnaire, qui aurait pu n'être qu'un outil, un usuel, qu'il faudrait un jour remplacer, passa-t-il l'obstacle des déménagements successifs, les vicissitudes des rangements parfois précaires. Il dut connaître les cartons, les places inappropriées. Mais il surnagea à l'écoulement de la vie. Il fut toujours des premiers embarqués sans doute, et survécut aux usages répétés, à la sueur de la main, à l'humidité du doigt salivé. Seule sa couverture cartonnée montra des signes de faiblesse, mais il était là depuis si longtemps, il avait à ses yeux un tel prix qu'il eût été impensable de s'en débarrasser. Il le rhabilla de cuir. Il prenait soin de cet ultime compagnon de sa jeunesse où devaient se mélanger, sans qu'il en parlât jamais, la parole de l'instituteur, les culottes courtes, les galoches, les hivers gelés du pont Saint-Martin, les bêtises de mômes, l'encrier et la plume, et, sans doute, les temps d'une enfance passée en partie sous l'Occupation.

    Il est là, toujours là, à demeure et, lorsque, cruciverbiste plus que septuagénaire, il veut vérifier une orthographe ou une signification, il ne se tourne pas vers les plus récents, l'autre Larousse (papier blanc, illustrations et photographies couleur) ou le Robert, mais vers lui, sans même y penser (pourtant cette fidélité immédiate n'est-elle pas en soi la pensée de sa propre présence comme être...).

    Ce n'est donc pas des restes d'un Jules Verne, maritime et aventureux, ou d'un Paul Féval, médiéval et touffu, qu'il peut ressusciter sa part d'école  et le florilège de ses secrets mais de l'aridité alphabétique de la langue, là où tout est en quelque sorte à l'état brut,  comme quand le coupon de tissu n'est pas encore le vêtement... Un état brut mais clairement organisé, pour s'y retrouver. Et lui, justement, s'y retrouve. 

  • 4-4-2

     

    Que n'auriez-vous échangé, en vos années de CM1-CM2, quelques notes magnifiques qui vous plaçaient au premier rang des compositions trimestrielles, contre un bond vertigineux dans la hiérarchie des élèves choisis pour constituer les deux équipes de foot, à la récré...

    Il y avait, c'était entendu, les deux champions, Sébastien et Jean-Damien, en capitaines respectifs, puis le rang de ceux qu'ils choisissaient à tour de rôle. Pierre, Paul, Jacques, François, Serge... avant que d'attaquer le menu fretin, dont vous étiez, qui savait à peine taper dans un ballon, et qu'on avait envie de se refiler, comme la grippe ou le mistigri. Être le remplaçant du remplaçant, misère ! Misère contre laquelle votre connaissance implacable de tous les affluents de la Seine, du Rhône, de la Loire n'était rien. Absolument rien.

    Il est donc des admirations qu'enfant vous avez mal vécues, des relégations cruelles et des admirations imparables. Jacques Réda en fait une délicieuse peinture dans un texte intitulé L'Homme des bois, lorsqu'il évoque "le portier de la féroce équipe de Sainte-Geneviève (Ginette comme on disait), un type taciturne et massif comme une cocotte-minute. On le sentait plein à éclater d'une force élastique prodigieuse qu'il comprimait, de sorte que toute atteinte à ses filets n'aurait pu mettre en cause sa valeur propre, mais l'Ordre qui veut que la trajectoire d'une sphère de cuir soit préméditée comme le reste au fond des astres"

    Et l'écrivain d'ajouter :

    "Au goal de Sainte-Geneviève, j'ai piqué principalement deux trucs, qui relèvent extérieurement de la seule pantomime magique, mais à travers lesquels j'assimilai une part occulte de ses vertus : celui du béret à visière, et (il avait l'air ensemble d'une danseuse étoile et d'un gros pneu) celui de la gigue sur place. Mais je n'ai jamais eu l'audace d'imiter un geste où d'ailleurs son autorité et, il faut le dire, son élégance me paraissaient inégalables, parce qu'il eût été sacrilège, et dès lors inopérant voire néfaste, de parodier un rituel lié au plus intime d'un être et de ses secrets. Chaque fois que la ligne d'avants adverse entamait un débordement portant la menace d'un tir, floup-floup, il expédiait dans ses mains en coquille deux glaviots parfaitement ronds, et s'en oignait les paumes comme d'un chrême, un baume capable d'émettre des effluves proctecteurs presque invincibles, ou de se transformer sous l'impact d'un cuir en une glu."

     

  • Le temps nous est conté


    rêve,imaginaire,conte,histoire

    Ce titre n'est pas mien. On le retrouvera dans un très beau portfolio de Philippe Lopparelli, à la suite d'un séjour dans les Carpates.

    Je m'en saisis. Je lorgne vers lui et son détournement en pensant à toute la volonté que nous mettons parfois à nous raconter des histoires et, aussi, à ce qu'on nous en raconte. Il n'est plus question, alors, d'avancer, d'égrener les heures, mais de demeurer, d'être dans la demeure des mots. Celle-ci est magique. Elle ne prend pas la forme du lieu où les mots jaillissent, elle le remplace. Les mots feront les murs, la charpente, le sol et les vitres. Tout sera de mots et les mots ne seront jamais les mêmes et donc l'agencement de la demeure non plus. Parfois, enfant, on s'en offusquera. Le conteur a oublié un passage, ou une anecdote, ou simplement un tout petit détail et on le coupe. On lui demande de tout remettre en ordre, sinon un cochon n'y retrouvera pas ses petits et l'histoire sonnera faux. Il faut que le mensonge de la fiction reste, à certains moments de notre vie, parfaitement exact, sans quoi on aura l'impression que la maison ne tient plus.

    Dans la demeure des mots, quand le dehors est suspendu, que nous allons à rebrousse-chemin et que le temps nous est conté, d'une époque dont nous ne nous souvenons plus, que nous n'avons jamais connue, mais que la grand-mère suscite (pour nous) et ressuscite (pour elle)... Nous sommes alors dans la même unité de temps, le même drama, le théâtre de tous les instants. Une fois, l'après-midi aura avancé de quelques degrés au sextant ; une autre fois, la nuit aura fait son apparition sans que nous ayons peur ; une autre fois encore, le marchand de sable ne tardera pas et nous emporterons dans un dernier sourire l'apaisement des heures qu'on ne peut jamais compter.


    Photo : Philippe Lopparelli.

  • Grain

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    Tu ne le sentais pas, les jours de beaux temps. C'était, au fond, comme si tout avait concouru à ton bonheur. Le ciel était bleu, le soleil fringant, et le sable donc, d'une douceur qui te chatouillait la plante des pieds. Mais comme tu n'étais pas enfant à t'effrayer de la lourdeur des cieux, tu ne renonçais jamais et tu allais te baigner les jours de vent et de courroux. Tu avais des frissons en arrivant sur la plage ; tu jetais à la volée ta grande serviette (des motifs d'arabesques, bleu sur blanc) et tu te précipitais. À la sortie, tu n'avais plus que ton courage plus frissonnant encore pour reprendre tes biens. Il avait commencé de pleuvoir, à peine trois larmes (comme celles qui te venaient, du sel sur les paupières), et tu courais. Quelques gouttes, certes, mais qui alourdissait l'atmosphère, et lorsque tu atteignait la limite de la grève, tu sentais combien c'était un jour gris. Le sable avait une viscosité insoupçonnée ; ses grains même semblaient plus gros et plus rudes. Tu tremblais ; vous n'étiez que quelques téméraires. Et la plage, grise, sérieuse et déserte te paraissait immense, les bâtiments qu'il faudrait rejoindre des refuges lointaines, comme si la luminosité incertaine et l'humidité ambiante avaient agrandi les distances. Encore ne serait-ce qu'une étape, car dans ces imposantes architectures tu ne séjournais pas. Il y aurait encore la route à traverser. Tu tremblais, entre bonheur et rage : tu aurais voulu ce que tu avais fait (l'eau, les vagues, le sel, le roulement autour de ton corps, pouvoir dire en rentrant ce mensonge : elle est délicieuse), puis passer immédiatement à la quiétude de la chaise longue, du pull et d'une tranche de brioche. Mais avant, il y avait la plage, longue, fastidieuse, le sable lourd et agressif, freinant ta course. La plage étirée de toute cette mer qui ne voulait pas dire son nom, mer de coquillages broyés qui te collait aux jambes, et dont tu te souviens bien mieux désormais, dont la sensation ne s'est pas effacée, alors que les jours de beau temps, oui, bien sûr, beau temps, océan calme, rien à dire...

     

    Photo : Sabrina Biancuzzi, Entre deux

  • Mûrir

     

    Est-il jamais allé, Ponge, comme vous, selon les bontés du temps, aux derniers jours d'août, ou début septembre, au recueil des mûres ?

    Il en a fait de beaux encriers, de ces fruits, buissons typographiques, taches où il pointe sa plume de tous les mots décomposés. C'est la beauté spectrale du cheminement sémantique et tu aimerais le savourer, mais il y aurait à te délester des heures répétées à leur faire la chasse, à ces notes inégales sur la portée des ronces dont tu faisais ta manne, dans le sac plastique, gonflant trésor d'où tu dérobais, de ci de là, quelques pépites qui te salissaient les mains. Sa gourmandise ne peut être masquée : la mûre vous dénonce de son identité d'empreinte sanguine...

    Les plus orgueilleuses se tenaient en hauteur, un peu loin du fossé, comme derrière un grillage. Les oiseaux leur feraient la fête, disais-tu.

    Chacun se faisait honneur de revenir chargé, d'être une mule.

    Il fallait les trier, voir, quand les contributions successives s'étalaient dans la bassine, s'il n'y avait pas quelque intrus, une pourriture subreptice. Tu apercevais alors des perles encore rouges, d'acidité immature. Il t'arrivait d'en manger une ou deux pendant la marche. Elles te faisaient grimacer. Puis c'était l'heure du chaudron d'émail jaune, aux deux oreilles enchiffonnées pour qu'on ne se brûlât pas. Et les fruits abandonnaient leur existence aux borborygmes de la cuisson. On pensait au quotidien d'un volcan, islandais ou indonésien, inoffensif pourtant.

    Mais ce qui, par dessus tout, te fascinait allait venir. Elle avait tapissé la grande passoire d'un linge de coton fin. Elle en avait pour le jour cinq ou six, qu'elle jetterait ensuite. Elle versait deux ou trois louches, refermait le linge comme une bourse ancienne, le serrait, le tordait. Le sang, noir ou violacé presque, selon la clarté de la pièce, pissait dans la grande jatte, fuyait doucement. Puis elle recommençait, et son honneur était là : qu'on ne trouvât jamais le moindre grain croquant sous la dent, petit gravier qui aurait dénaturé la gelée.

    Quand, ainsi, elle avait fait la provision des bonheurs d'hiver, pots datés qui ne pouvaient guère être de garde tant nous aimions ce reliquat d'acidité après le sucre qu'ils contenaient, nous pouvions repartir sur les chemins et nos cueillettes s'arrêtaient aux nécessités d'une tarte, d'un saladier de fromage blanc, d'une rigolade entre copains et, parfois, d'une délicatesse simple pour le sourire d'une fille. On ne prenait pas alors de la graine à raison, comme l'écrit Ponge : on sortait juste de l'enfance sans le savoir...


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  • Parasols...

     

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    Il y avait le parasol du jardin, qu'activaient les premiers beaux jours, puis le bel été, dans l'odeur des viandes grillées, et les lectures de tout l'après-midi, comme des écuelles de voyage.

    Il y avait les parasols des terrasses, et leur partition triangulaire, de couleurs vives, nettes. Jadis Cinzano, Ricard, Byrrh, et plus tard Perrier, Orangina, Coca-Cola. Sous lesquels se réfugiaient les apéros interminables, les discussions d'avant-match, les indécisions d'une coupe à cœur ou celle d'une garde-contre, les parlotes et les engueulades, l'œil allumé par les jambes douces des passantes.

    Il y avait les parasols des Flandres, pour conjurer l'illusion du soleil pâle, posés comme des marguerites littorales, à La Panne, agités d'un vent qui vous faisait en juin garder manteau. Parasols d'Ostende, frondaison morte.

    Il y avait surtout le parasol de la plage, celui dont votre mère vous confiait le piquet au départ du camping, à un âge où vous n'aviez plus cette passion idiote des mômes à vouloir se charger comme des mules. Mais le parasol, trop petit que vous étiez alors, c'était impossible, de peur que vous vous blessiez. Désormais, oui, vous en aviez la charge. Ce parasol de la famille vous servait de repère. Il abritait le sac fourre-tout, celui qui mélangeait les petits Lu, la bouteille d'eau, le policier écorné, les clés de la caravane et la crème solaire, qui devait vous protéger des douleurs et vous faisait puer. C'était le parasol du bord de l'eau, quand vous ne saviez pas encore nager, ou si mal, ces couleurs Argus qui vous surveillaient et que vous deviez tenir comme votre maison transitoire.

    Et, justement, il y eut un jour le monde sans lui, quand la plage fut un territoire autre, celui de la bande et que vous vous étiez émancipé du giron parasolaire, que vous ne l'aperceviez plus qu'en ennemi agaçant. Vous étiez comme les autres, ces autres auxquels vous vouliez tant ressembler (ou du moins appartenir, tant le mal est là : appartenir à autrui), grillant dans le sel et le sable, mais si heureux que vous sentiez déjà en vous cette phrase qui ne vous a jamais quitté : je n'aurai aucune nostalgie de mon enfance.

     

    Photo : Sabrina Biancuzzi, Entre deux

  • À même la peau

    mer,océan,sensibilité,langag,enfance

     

    Cette expression t'a toujours paru étrange, du moins étrangère, parce que le sens en était pour toi depuis longtemps altéré : c'est pas la mer à boire. Cette manière désinvolte et agacée dans la bouche de qui l'employait te semble injuste. La mer est tout à coup incluse dans une métaphore qui la renvoie à un élément pesant, à une contrainte. Une sorte d'objet indésirable. Pourquoi pas ? Il n'est pas obligatoire d'aimer la mer. Tu en as rencontré suffisamment pour qui ce n'était qu'une étendue ou trop plate ou trop hostile, froide, définitivement froide, associée au sable qui colle, aux frissons de sortie, aux hésitations d'entrée.

    Mais la mer à boire, enfant, tu ne rêvais que de cela, enfant, parce qu'alors cela signifiait que tu posais juste ta grande serviette et tu courais vers elle, sans retenue, en criant de bonheur et de courage : elle était toujours à température, toujours bonne, et quand tu criais cela, c'était après la première vague, celle qui t'avait ravi à la sècheresse du soleil et à l'attente d'après manger. Tu venais vers elle et tu la convainquais de mettre le paquet, que tu sois renversé, cul par dessus tête, le slip aux genoux s'il le fallait, et tu ressortais vaillant. Parfois, tu étais présomptueux. À peine relevé, une seconde brassée de force mousseuse s'abattait sur ton dos et te projetait au sol, dans le presque-pas-de-fond qui suffisait pourtant à t'étourdir, t'obligeant à ouvrir la bouche pour demander grâce et oxygène, et c'était trop tard, tu buvais la mer, cette fois, à pleine goulée (une seule en fait mais elle descendait dans ton estomac et ton intérieur entier était astiqué de toutes les prétendues vertus océaniques). Chez toi, mais ailleurs aussi, on disait : boire la tasse. Et si, sur le moment, la grimace était de mise, elle ne pouvait pas demeurer très longtemps. Il en allait de ton audace et de ton désir, cette fois bien décidé à vaincre ce rempart intime avec lequel tu passais une grande partie de l'après-midi. Le soir, très jeune, lessivé tu t'effondrerais sur un transat.

    Il fallait boire la mer, comme on dirait : manger du lion. Et jamais tu ne lui en voulais de mettre à mal ta ténacité. Tu n'as jamais joué avec la mer, du moins pas selon le sens commun, qui induit légèreté et insouciance. C'était avec sérieux que tu t'affrontais à elle et un genou à terre, exténué, tu te disais : juste une dernière et je rentre. Il t'est resté ce souvenir qui n'a pas de lieu, ni de date, pas un souvenir, mais un frisson, celui d'une ivresse infinie devant l'élémentaire versatile et gracieux.

    Quand tu revenais sur la plage, elle était encore là, sur toi. Non pas à la manière, collante et poussiéreuse, de la terre (qui glisse sous tes ongles, aussi), mais comme des perles éparpillées, petit à petit dérobées par le vent (et l'océan est indissociable du drapeau claquant contre la hampe, bruit mélangé de tissu et de métal) dont il ne resterait plus, bientôt, que des cartographies blanches, des linéaments salés ; tu aimais poser tes lèvres, ta langue, embrasser ta propre peau à qui l'eau avait donné un goût unique. Ta salive réactivait le courant disparu. C'était un précipité de bonheur. Tu avais faim, soudain. L'océan t'avait creusé et tu trouvais sous le parasol un gâteau sec, un petit beurre dont tu encochais d'abord les quatre coins. Il y avait une bouteille de Vittel mais tu n'avais pas soif. Tu étais enivré de toute cette richesse bleutée, d'un bleu plus intense que le ciel, plus infini de la profondeur visible que tu sondais parfois quand, les jours de calme, le corps aux trois-quarts immergé tu pouvais encore voir tes pieds.

    Cette enfance, et un peu plus, beaucoup plus même, d'étonnement guerrier est indissociable de l'océan, de la marée lointaine qui te refuse un temps le droit de débattre, des jours de calme -mer d'huile- qui serait presque un ennui mais délicieux aussi, à lire Jules Verne, plus tard Stendhal, comme s'il (l'océan) te disait : sache prendre le temps. Je suis là et nous aurons le temps de nous revoir.

    C'est cela qui te reste : le revoir de l'océan,  et de savoir que tu ne l'as jamais vraiment perdu en éprouvant, lorsqu'il s'avance pour colorer la Rance, aux abords de Saint-Malo, d'un bleu-vert sans égal, un trésaillement, quasi un cri intérieur, que jamais ailleurs tu n'as éprouvé avec la même certitude, comme un signe.

                                                                                        Photo : Julie Rey

  • Vestiaire d'âme

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    Souviens-toi ce qu'il y avait d'ivresse, sur la balançoire, à soulever le monde (ainsi s'en détacher, poids mort...),  et d'avoir le ventre retourné d'une presque nausée  dans l'instant où tu redescendais vers le sol... Bonheur de printemps, ou d'été... Mais beaux ennuis, aussi, quand tu t'asseyais  sur la planche, des heures entières, à ne savoir où donner de ton cœur, pas encore adulte, et dont tu voudrais retrouver, parfois (jamais très longtemps, tu sais que c'est vain), la source, maintenant que tu vois les deux cordes attachées à la structure métallique, dans le jardin un peu  éteint de la maison natale que tu viens de vendre...


    Photo : Sabrina Biancuzzi, Captures de rêves 9

     

  • 7-Furtif et persistant

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.


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    Elle est là, sarong éployé en mystère, comme ailée, dans le jour, phare-phalène auquel s'accroche ton coeur passant, à la descente du bus. Tu fais courte halte mais tu la vois aussitôt. Elle est du lieu, d'ici, implantée, laotienne, tu le sais ; pourtant rêveuse rencontre de toutes les enfances du monde.

    Photo :   Au sud du Laos, sur le plateau des Bolovens
    Texte "À l'aveugle" : Simple

  • 3-Simple

    "À l'aveugle" est un ensemble de douze photographies de Georges a. Bertrand, que celui-ci m'a envoyées sans la moindre indication. Il s'agit d'écrire pour chacune un texte dans ces conditions d'ignorance. Une fois achevé ce premier travail il me donnera les informations que je désire, et j'écrirai pour chacun de ces clichés un second texte : ce sera la série "À la lumière de..."

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    Il faut peu pour son visage illuminer. Que le terrain vague soit son aire de danse ; que son habit informe soit tenture de scène et voile improvisé(e) ; qu'en quelques mots elle se laisse convaincre de chanter la douce matine que lui a apprise sa mère. Son visage, si doux, si fin, à mille lieues de tous ces enfants-singes...