usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

sabrina biancuzzi

  • Grain

    biancuzzi_01-jpg.jpg

    Tu ne le sentais pas, les jours de beaux temps. C'était, au fond, comme si tout avait concouru à ton bonheur. Le ciel était bleu, le soleil fringant, et le sable donc, d'une douceur qui te chatouillait la plante des pieds. Mais comme tu n'étais pas enfant à t'effrayer de la lourdeur des cieux, tu ne renonçais jamais et tu allais te baigner les jours de vent et de courroux. Tu avais des frissons en arrivant sur la plage ; tu jetais à la volée ta grande serviette (des motifs d'arabesques, bleu sur blanc) et tu te précipitais. À la sortie, tu n'avais plus que ton courage plus frissonnant encore pour reprendre tes biens. Il avait commencé de pleuvoir, à peine trois larmes (comme celles qui te venaient, du sel sur les paupières), et tu courais. Quelques gouttes, certes, mais qui alourdissait l'atmosphère, et lorsque tu atteignait la limite de la grève, tu sentais combien c'était un jour gris. Le sable avait une viscosité insoupçonnée ; ses grains même semblaient plus gros et plus rudes. Tu tremblais ; vous n'étiez que quelques téméraires. Et la plage, grise, sérieuse et déserte te paraissait immense, les bâtiments qu'il faudrait rejoindre des refuges lointaines, comme si la luminosité incertaine et l'humidité ambiante avaient agrandi les distances. Encore ne serait-ce qu'une étape, car dans ces imposantes architectures tu ne séjournais pas. Il y aurait encore la route à traverser. Tu tremblais, entre bonheur et rage : tu aurais voulu ce que tu avais fait (l'eau, les vagues, le sel, le roulement autour de ton corps, pouvoir dire en rentrant ce mensonge : elle est délicieuse), puis passer immédiatement à la quiétude de la chaise longue, du pull et d'une tranche de brioche. Mais avant, il y avait la plage, longue, fastidieuse, le sable lourd et agressif, freinant ta course. La plage étirée de toute cette mer qui ne voulait pas dire son nom, mer de coquillages broyés qui te collait aux jambes, et dont tu te souviens bien mieux désormais, dont la sensation ne s'est pas effacée, alors que les jours de beau temps, oui, bien sûr, beau temps, océan calme, rien à dire...

     

    Photo : Sabrina Biancuzzi, Entre deux

  • Toujours, quelque part...

     

    L'intimité, on ne sait pas ce que c'est, peut-être. L'intimité de soi qui vient d'ailleurs, s'entend. Pas celle que l'on tisse de nos affections pensées, construites, même dans le tâtonnement du temps qui coule. Celle, plutôt, qui vous désarme de découvrir sans comprendre, qu'il y avait cette histoire en vous, dont vous n'auriez pas imaginé la présence. Parce qu'il y a bien là un grand mystère : cette intimité avec laquelle nous ne vivons pas vraiment, contraire à celle de notre quant-à-soi, dans sa quotidienne légèreté, sa prévisible articulation. Ces mots sentis, à peine, en correspondance avec le fil conducteur qui nous sert à y voir clair, à voir en nous, comme si nous étions toujours capables d'être à l'écoute. Non, pas cette intimité dans laquelle nous aimons nous réfugier. Plutôt celle qui vient d'autrui, qui frappe à la porte de notre ventre, de nos yeux, de notre cœur, de nos sorties de rêves, parce que c'est une partie de nous-même. De par le monde, ainsi, des voix, des visages, des regards, fort peu, évidemment, pour nous interpeller, sans même parfois qu'il ou elle le sache ; interpellation filandreuse, écheveau de toutes les inconsciences perdues, et qui doivent être tues, pour que nous nous reposions dans cette autre intimité, celle dont nous signons le reste de notre existence...


                                    photo : Sabrina Biancuzzi, "Le crissement du temps", n°16



    Les commentaires sont fermés.

     

  • Parasols...

     

    Sabrina-Biancuzzi-Entre-Deux-001-3-701f3.jpg

     

    Il y avait le parasol du jardin, qu'activaient les premiers beaux jours, puis le bel été, dans l'odeur des viandes grillées, et les lectures de tout l'après-midi, comme des écuelles de voyage.

    Il y avait les parasols des terrasses, et leur partition triangulaire, de couleurs vives, nettes. Jadis Cinzano, Ricard, Byrrh, et plus tard Perrier, Orangina, Coca-Cola. Sous lesquels se réfugiaient les apéros interminables, les discussions d'avant-match, les indécisions d'une coupe à cœur ou celle d'une garde-contre, les parlotes et les engueulades, l'œil allumé par les jambes douces des passantes.

    Il y avait les parasols des Flandres, pour conjurer l'illusion du soleil pâle, posés comme des marguerites littorales, à La Panne, agités d'un vent qui vous faisait en juin garder manteau. Parasols d'Ostende, frondaison morte.

    Il y avait surtout le parasol de la plage, celui dont votre mère vous confiait le piquet au départ du camping, à un âge où vous n'aviez plus cette passion idiote des mômes à vouloir se charger comme des mules. Mais le parasol, trop petit que vous étiez alors, c'était impossible, de peur que vous vous blessiez. Désormais, oui, vous en aviez la charge. Ce parasol de la famille vous servait de repère. Il abritait le sac fourre-tout, celui qui mélangeait les petits Lu, la bouteille d'eau, le policier écorné, les clés de la caravane et la crème solaire, qui devait vous protéger des douleurs et vous faisait puer. C'était le parasol du bord de l'eau, quand vous ne saviez pas encore nager, ou si mal, ces couleurs Argus qui vous surveillaient et que vous deviez tenir comme votre maison transitoire.

    Et, justement, il y eut un jour le monde sans lui, quand la plage fut un territoire autre, celui de la bande et que vous vous étiez émancipé du giron parasolaire, que vous ne l'aperceviez plus qu'en ennemi agaçant. Vous étiez comme les autres, ces autres auxquels vous vouliez tant ressembler (ou du moins appartenir, tant le mal est là : appartenir à autrui), grillant dans le sel et le sable, mais si heureux que vous sentiez déjà en vous cette phrase qui ne vous a jamais quitté : je n'aurai aucune nostalgie de mon enfance.

     

    Photo : Sabrina Biancuzzi, Entre deux

  • Vestiaire d'âme

    http://www.hotels-paris-rive-gauche.com/galerie/Photographes/2010/sabrina-biancuzzi/pop/capture-de-reves009.jpg


    Souviens-toi ce qu'il y avait d'ivresse, sur la balançoire, à soulever le monde (ainsi s'en détacher, poids mort...),  et d'avoir le ventre retourné d'une presque nausée  dans l'instant où tu redescendais vers le sol... Bonheur de printemps, ou d'été... Mais beaux ennuis, aussi, quand tu t'asseyais  sur la planche, des heures entières, à ne savoir où donner de ton cœur, pas encore adulte, et dont tu voudrais retrouver, parfois (jamais très longtemps, tu sais que c'est vain), la source, maintenant que tu vois les deux cordes attachées à la structure métallique, dans le jardin un peu  éteint de la maison natale que tu viens de vendre...


    Photo : Sabrina Biancuzzi, Captures de rêves 9