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Hemingway's : allégorie pour un début de siècle

En décembre. Elle faisait sa couverture sur une jeune femme blonde. Belle certes (ce qui revient à reconnaître la régularité des traits et le respect de normes dans les mensurations. En somme : une évaluation technique.) mais sans pour autant être quelqu'un d'autre que ses semblables glacées, emmagazinées de la société du spectacle ; rien d'autre qu'un visage oublié après dix mètres de marche, quand j'avais dépassé le panneau du buraliste où elle s'affichait. Cependant, un détail m'avait retenu. Elle s'appelait Dree Hemingway. C'est l'arrière-petite-fille de l'écrivain, et la fille de Mariel, l'actrice. Ernest Hemingway, Mariel Hemingway, Dree Hemingway.

On pense alors à cette filiation posant, fictivement, pour un tableau (comme on faisait parfois pour les âges de la vie). Ernest et sa barbe grise, son œil ombrageux, un homme dans sa maturité, au physique massif. Mariel et sa blondeur de quarante ans, son air parfaitement américaine. Dree et la plastique conforme, sans origine claire, lisse. Trois moments, trois mondes, trois symboles. L'écriture, le cinéma, la mode. On comprend bien que nous remontons le temps et passons du muet (présent) au parlant (passé). Plus encore : de la taxidermie à la vitalité. Dree ne nous parle pas, n'ayant rien à nous dire parce que les yeux maquillés, la chevelure étudiée, la pose charmante sont les irréalités choisies pour une époque de fantômes qui se noie dans le culte des formes vides. De Mariel, à la filmographie insignifiante, il ne faut retenir que son rôle de Tracy dans Manhattan. Elle est belle, parle peu, a dix-sept ans et tombe amoureuse de Woody Allen. Film noir et blanc assez magique et touchant, où le réalisateur arrive à marier la tendresse et la satire, l'émotion et le sarcasme jouissif. Mariel, comme toutes les actrices (et acteurs), parle mais elle porte les mots d'un autre, comme dans un exercice de ventriloquie. Ernest, lui, ne cesse de livre en livre de nous emplir le cœur et la tête de son monde difficile et rageur. Il se bat contre/avec la langue et les personnages nés de son besoin de vivre (car il ne fut pas un  contemplatif) s'imposent à nous, accroissent notre propre univers, comme il en est pour tout auteur engagé sur le front de la littérature. Bien que nous n'ayons jamais entendu sa voix réelle (moi, du moins), il nous parle. Éternellement. Il écrit.

 

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