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  • D'un bout à l'autre

    La première voiture du convoi te semble toujours courir vers son destin, quand la dernière renonce à échapper au sien...

    Il y a une forme aporétique à croire, dans bien des circonstances de notre existence, que la posture que nous prenons, ce qu'on appelle désormais un positionnement, soit une attitude réfléchie et conséquente. Qui plus est lorsque, dans le jeu des apparences de la démocratie narcissique, chacun cherche à ne pas trop ressembler aux autres, mais à se ressembler, à être fidèle à soi-même.

    C'est le paradoxe du hipster, dont Jonathan Touboul a très sérieusement exposé la réalité dans une communication au Collège de France.

    Au-delà de la formalisation mathématique, autour d'un phénomène assez identifiable, la démonstration nous amène à creuser cette étrange observation d'un monde de plus en plus segmenté, si l'on s'en tient aux impératifs et diktats marketing, et de plus en plus conforme. Cette course à l'autre-de-soi dans une infime variation face à l'image de l'autre a de quoi laisser songeur.

    On notera, par exemple, la récente tendance féminine au tatouage déployé sur le bras (en particulier le bras gauche). Après la modestie graphique des temps précédents (le petit dauphin sur la fesse ou sur l'épaule), on s'encanaille, on se rebelle, on accède à une maturité transgressive. Chacune expliquera que la différence (elles ont beaucoup lu Derrida, sans doute) est dans le détail, dans cette appropriation de leur corps, de leur histoire et de leur (corps et histoire) mise en scène. Il y a tout un babil et des sentiments. Vraiment touchant.

    C'est sans doute ainsi que se fait désormais la communion des pairs : même taille de barbe, même chemise, même japonaiserie de pacotille sur l'avant-bras. Rien d'autre qu'une vanité muette quoiqu'intempestive, pour ne pas rater le train du présent, de l'hyper-modernité et de la sensation d'exister...

  • Le pois de l'art

    La France a Buren et ses bandes de 8,7 cm ; le Japon a Yayoi Kusama et ses points. Selon l'envie, on se croira dans une boutique de Smarties

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    ou dans un lieu dédié au Marsupilami.

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    Pour ces deux artistes contemporains, on nous sortira tout un battage théorique, à commencer par l'imposition par eux-mêmes des concepts (mais le singulier convient mieux : tout est dans LE concept) qui motivent la reproduction ad nauseam d'une trouvaille plus ou moins amusante devenue une signature, un effet reconnaissable et de reconnaissance.

    On peut en rire (et c'est notre cas) mais cela assure les fins de mois de ces charlatans de l'art. Il s'agit de vendre en faisant croire que l'on dit quelque chose. Kusama, comme Buren, c'est du toc philosophico-artistique travesti en visibilité marketing.

    Louis Vuitton ne s'y est pas trompé, qui a sollicité la Japonaise à pois pour des bijoux, des sacs, des chaussures ou des accessoires. Il sera facile d'expliquer pour la énième fois que c'est une manière de rompre les frontières, d'intégrer la beauté de l'art dans le quotidien (un petit effort pour un argument surréaliste...), donner à un artiste l'occasion de rendre son œuvre accessible, de montrer que le commercial n'est pas incompatible avec la créativité...

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    Nous nous contenterons de dire que cette collaboration souligne un peu plus la double aporie de l'art contemporain : un minimum de moyens pour un maximum de fric...

     

  • Top models

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    Le voyageur d'août, à Rome, manquera le spectacle de la via dei Cestari. Les boutiques sont fermées, les rideaux de fer baissés. Il ne peut donc jouir des vitrines où sont exposés les derniers modèles de l'élégance ecclésiastique. Car, en cette rue, on admire chasubles, étoles, soutanes, habits d'apparat. Peut-être Fellini s'en est-il inspiré pour son défilé dans Roma. L'observateur neutre et bienveillant voit la prêtrise et les religieuses s'extasier sur les nouveautés du moment, fashion victims d'une religiosité qui ne se réduit plus à la sobriété des couleurs sombres. Certes, il serait ridicule d'y voir la version pieuse des boutiques chic de la via dei Condotti. De Ritis n'est pas Armani. Malgré tout, on sent chez certains et certaines un frisson. Et nous, mécréant que nous sommes, en regardant discrètement quelque sœur à la sihouette fine, au visage angélique, loin des clichés de la laideur réfugiée dans la dévotion, rêvons aussi, un moment, à d'autres tissus mais nous nous tairons sur le sujet...

     

  • Hemingway's : allégorie pour un début de siècle

    En décembre. Elle faisait sa couverture sur une jeune femme blonde. Belle certes (ce qui revient à reconnaître la régularité des traits et le respect de normes dans les mensurations. En somme : une évaluation technique.) mais sans pour autant être quelqu'un d'autre que ses semblables glacées, emmagazinées de la société du spectacle ; rien d'autre qu'un visage oublié après dix mètres de marche, quand j'avais dépassé le panneau du buraliste où elle s'affichait. Cependant, un détail m'avait retenu. Elle s'appelait Dree Hemingway. C'est l'arrière-petite-fille de l'écrivain, et la fille de Mariel, l'actrice. Ernest Hemingway, Mariel Hemingway, Dree Hemingway.

    On pense alors à cette filiation posant, fictivement, pour un tableau (comme on faisait parfois pour les âges de la vie). Ernest et sa barbe grise, son œil ombrageux, un homme dans sa maturité, au physique massif. Mariel et sa blondeur de quarante ans, son air parfaitement américaine. Dree et la plastique conforme, sans origine claire, lisse. Trois moments, trois mondes, trois symboles. L'écriture, le cinéma, la mode. On comprend bien que nous remontons le temps et passons du muet (présent) au parlant (passé). Plus encore : de la taxidermie à la vitalité. Dree ne nous parle pas, n'ayant rien à nous dire parce que les yeux maquillés, la chevelure étudiée, la pose charmante sont les irréalités choisies pour une époque de fantômes qui se noie dans le culte des formes vides. De Mariel, à la filmographie insignifiante, il ne faut retenir que son rôle de Tracy dans Manhattan. Elle est belle, parle peu, a dix-sept ans et tombe amoureuse de Woody Allen. Film noir et blanc assez magique et touchant, où le réalisateur arrive à marier la tendresse et la satire, l'émotion et le sarcasme jouissif. Mariel, comme toutes les actrices (et acteurs), parle mais elle porte les mots d'un autre, comme dans un exercice de ventriloquie. Ernest, lui, ne cesse de livre en livre de nous emplir le cœur et la tête de son monde difficile et rageur. Il se bat contre/avec la langue et les personnages nés de son besoin de vivre (car il ne fut pas un  contemplatif) s'imposent à nous, accroissent notre propre univers, comme il en est pour tout auteur engagé sur le front de la littérature. Bien que nous n'ayons jamais entendu sa voix réelle (moi, du moins), il nous parle. Éternellement. Il écrit.