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conformisme

  • D'un bout à l'autre

    La première voiture du convoi te semble toujours courir vers son destin, quand la dernière renonce à échapper au sien...

    Il y a une forme aporétique à croire, dans bien des circonstances de notre existence, que la posture que nous prenons, ce qu'on appelle désormais un positionnement, soit une attitude réfléchie et conséquente. Qui plus est lorsque, dans le jeu des apparences de la démocratie narcissique, chacun cherche à ne pas trop ressembler aux autres, mais à se ressembler, à être fidèle à soi-même.

    C'est le paradoxe du hipster, dont Jonathan Touboul a très sérieusement exposé la réalité dans une communication au Collège de France.

    Au-delà de la formalisation mathématique, autour d'un phénomène assez identifiable, la démonstration nous amène à creuser cette étrange observation d'un monde de plus en plus segmenté, si l'on s'en tient aux impératifs et diktats marketing, et de plus en plus conforme. Cette course à l'autre-de-soi dans une infime variation face à l'image de l'autre a de quoi laisser songeur.

    On notera, par exemple, la récente tendance féminine au tatouage déployé sur le bras (en particulier le bras gauche). Après la modestie graphique des temps précédents (le petit dauphin sur la fesse ou sur l'épaule), on s'encanaille, on se rebelle, on accède à une maturité transgressive. Chacune expliquera que la différence (elles ont beaucoup lu Derrida, sans doute) est dans le détail, dans cette appropriation de leur corps, de leur histoire et de leur (corps et histoire) mise en scène. Il y a tout un babil et des sentiments. Vraiment touchant.

    C'est sans doute ainsi que se fait désormais la communion des pairs : même taille de barbe, même chemise, même japonaiserie de pacotille sur l'avant-bras. Rien d'autre qu'une vanité muette quoiqu'intempestive, pour ne pas rater le train du présent, de l'hyper-modernité et de la sensation d'exister...

  • La voix d'une seule...

    Dans Toxic Blues de Ken Bruen (lecture pas trop concentrée pour ceux et celles qui veulent échapper à l'angoisse de l'avion), le héros rappelle qu'à ses débuts Dire Straits bénéficia d'un succès public certain mais aussi d'une reconnaissance du monde de la musique pop (revues, magazines, spécialistes...). L'affaire se gâta le jour où Lady Di dévoila que c'était son groupe préféré. Dès lors, il n'était plus possible, quand on était un amateur éclairé, d'apprécier Mark Knopfler et sa bande. Ceux-ci tombaient radicalement du côté des productions easy-listening, commerciales, de celles qu'on doit mépriser.

    Pour être simple : peut/pouvait-on partager (sur un point s'entend) les goûts d'une princesse permanentée, au sourire un peu niais ? Sans doute pas, quand on se voulait décalés, underground, ou, pour le moins, hors des cadres bourgeois, etc, etc, etc.

    On en revient, mais dans un sens inversé, à la question de la distinction qu'avait abordé il y a déjà longtemps Pierre Bourdieu sur ce qui détermine nos choix et ce par quoi nous nous affirmons. Les goûts ne sont pas qu'une affaire de réflexion ou d'affect. Ils sont aussi, dans le double sens du terme, un placement sur le marché, une manière de se distinguer et d'être distingué. En clair, l'appartenance revendiquée, l'effet de démarcation et le souci de reconnaissance comptent autant que l'objet dont il est question. 

    Dans le cas présent, on retiendra que ceux qui ne veulent pas être pris dans le mainstream se sont comportés comme des petits bourgeois de base. Ils ont illustré, à leur insu, combien la singularité culturelle, dans un monde de récupération systématique, est un leurre (1). Ils ne valent pas mieux que Giscard prenant de la hauteur avec son accordéon tout en voulant faire peuple. Beaucoup de bruit pour du vent...

    Dire Straits n'en a pas pâti. Knopfler a accumulé les millions. Mais ce revirement m'amuse.

    Même si l'on rétorquera qu'il ne pouvait pas en être ainsi, on jubilera à l'éventualité qu'un normal président ait un jour glissé son irréductible passion pour Dominique A., ou que son bling-bling prédécesseur, plutôt que Barbelivien et Bruni, n'ait eu d'oreilles que pour Noir Désir. Un Hollande ou un Sarkozy un tantinet alternatif, indie ou grunge. Juste pour embarrasser Libé, les Inrocks et toutes les poubelles du même genre...


    (1)À lire, malgré tous ses défauts de construction et ses raccourcis, Joseph Heath et Andrew Potter, Révolte consommée. Le mythe de la contre-culture, ed. Naïve, 2005