Porto est douce, calme, modeste. Les habitants sont à son image, les boutiques d'une autre époque, et certains lambeaux de rue évoquent la misère que produit le temps sur les mis-à-part du siècle. Porto est pauvre mais digne. Rien qui évoque le luxe, la grandiloquence des villes du centre européen. Les gens travaillent ; on cherche en vain le m'as-tu-vu du fric gagné facilement. C'est pourtant la deuxième ville du Portugal. Mais nous sommes à la périphérie de l'hyper-modernité et cette désuétude apparemment sereine nous attache à elle parce qu'il s'y tapit une fragilité discrète que la rigueur comptable des pouvoirs extra-territoriaux aujourd'hui dominants veut détruire. C'est à ce monde-là que l'on va demander d'être désormais raisonnable, soit : apprendre à être encore plus pauvre, plus étouffé qu'il ne l'est déjà, trompé par l'illusion que son appartenance à l'Europe politique l'avait sorti de l'ornière. À la générosité feinte, dont on sait trop bien qui en a profité, succède, plus que le marasme, la culpabilité d'avoir vécu au-dessus de ses moyens. Après la Grèce et l'Irlande, Le Portugal est le prochain esclave du FMI.
Tout cela je le savais, mais de croiser cette semaine ces déjà-perdus de la crise, que nos belles démocraties centrales germano-françaises considérèrent toujours avec un certain mépris (car il n'y eut depuis de Gaulle et Adenauer que l'axe Paris-Berlin à estimer), de les croiser ici, dans cet espace européen qui était censé nous sauver de la guerre, on comprend qu'il est des massacres plus cruels encore en préparation et qu'il serait d'un vanité grotesque de croire qu'ils pussent nous épargner. La paupérisation du plus grand nombre possible d'individus comme ligne politique est en train de s'installer. L'addition sera faramineuse sur le moment. Mais plus encore, en confisquant à la population tout moyen de faire contre-poids, en le conditionnant à se taire devant la menace d'une autre crise à venir, cette nouvelle situation, décrétée par les grands argentiers et la pieuvre FMI, nous prépare à la barbarie.
L'austérité a déjà commencé et les socialistes portugais se sont empressés de faire leurs preuves de gestionnaires sérieux. L'ami qui me parle de cette lucidité économique va voir ses revenus amputés de 8,5%, pas moins. Universitaire, il n'est pas, dit-il, le plus à plaindre. Il est comme l'immense majorité de la population un homme qui n'a jamais couru après l'argent. Il n'a pas la fièvre spéculatrice. Il a toujours voulu partager son goût de la littérature. Mais il fait partie de ceux qui paient, et le pire est à venir.
Dès lors, entendre des socialistes français se gargariser d'une miraculeuse candidature Strauss-Khan (directeur-général du FMI) comme remède à tous les maux sarkozystes et à la dérive libérale est le dernier avatar de leur bêtise. Quoique ce ne soit plus vraiment de la bêtise à ce niveau, mais de l'obscénité.