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De l'atonie en milieu tempéré

 

 

J'ai déjà expliqué l'an dernier l'inquiétude que m'inspire la structure Facebook comme dispositif sournois d'une société de/sous surveillance, forme moderne d'une politique de contrôle qu'avait théorisée Foucault. Ce réseau social -mais il n'est pas unique en son genre- contraint, avec une certaine finesse il faut le reconnaître, les individus (les jeunes surtout), au-delà du conformisme des pratiques qu'on y trouve, à un fichage inavoué/inavouable, prouvant au passage que les listings économiques et sociaux pouvaient s'avérer autrement plus efficace que les fichiers policiers.

Pour l'heure, néanmoins, mettons un bémol à nos critiques. Les divers observateurs, et les témoignages directs, ont en effet souligné quelle place avait prise Facebook (entre autres, certes) dans la mobilisation populaire, aussi bien en Tunisie qu'en Egypte, dans certains pays du Golfe, et aujourd'hui au Maroc. Le réseau social a facilité les rencontres, les échanges, les rassemblements. Il a été un moyen efficace pour contrer la répression et le contrôle des individus. En permettant aussi d'ouvrir vers l'extérieur une parole étouffée, d'exfiltrer des images qui démentaient l'optimisme des pouvoirs en place, Facebook a pu aider à ces mouvements d'émancipation (dont il n'est pas ici temps d'analyser le futur. Il n'est pas certain que l'avenir soit si magnifique...).

Cette situation et ce détournement à des fins clairement politiques d'un instrument de pacification, pour ne pas dire de neutralisation, de l'espace public, feront sans doute rêver les observateurs d'une Europe aveugle et sans souffle. L'usage purement festif qui est fait ici de ce réseau social, sa réduction en un outil de pure signalétique existentielle, en disent long sur le manque de vigueur d'une agora politique exsangue. Que Facebook ne soit que l'agenda grotesque d'une société qui compte ses amis, étale ses vacances et bavarde de néant montre à quel point l'entreprise d'acceptation d'un ordre inégal, producteur de misère et de précarité, a réussi. Peut-on imaginer qu'il soit dans l'hexagone une arme structurelle pour une révolte des laissés-pour-compte de l'ultra-libéralisme ? Ne soyons pas naïfs. Dans ce système, chacun cherche désormais son ilôt, son utopie. C'est ainsi que la futilité devient une manière d'être ou, tout du moins, une stratégie d'évitement et de préservation. Croyant que le si peu que nous ayons soit à perdre vaille le coup, nous nous plongeons sans réserve vers une sociabilité dépolitisée. Facebook, en Europe, est pour l'essentiel, un bonheur de bien-nourris (même s'ils sont pauvres...), la signature devenue universelle d'une existence normée/normale. Il est un loisir, une distraction, un divertissement pascalien. Nous ne sommes plus capables, à l'inverse de Tunisiens pour qui le joug était alors insupportable, de mobilisation. Quoique ce ne soit pas tout à fait vrai. Les apéros géants : voilà, semble-t-il, une autre manière de faire de la politique... Il faut donc croire alors que la crise est une illusion, un jeu de miroirs et que tout va très bien. Quand certains luttent, d'autres font la fête. Ce n'est pas tant le médium qui est en cause que leurs utilisateurs. Ici, il n'y a pas d'urgence. Tout va bien, très bien...

 

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