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Bérénice ripolinée

 

 

Gravure Jacques de Sève (XVIIIe)


Il est sans doute trop facile de déplorer la faillite de la culture en un sordide bouillon d'entertainment et d'associer cette catastrophe au triomphe de l'audio-visuel, au règne d'un zapping générationnel accéléré et d'un renoncement politique à la transmission d'une tradition littéraire et artistique, de l'imputer aux seuls tenants d'un marché qui n'a que faire des textes, quand on peut observer cette même tentation chez ceux qui devraient, au premier chef, en être les défenseurs.

Ainsi, que lis-je dans une publication présentant la saison d'un théâtre  qui fut loint d'être médiocre ? On y montera Bérénice. Quelles sont les intentions du metteur en scène ? Il "a voulu faire entendre l'essentiel : un éternel des sentiments qui nous place depuis la nuit des temps en spectateurs curieux de la déchéance intime de ceux qui nous gouvernent". Jusque-là, tout va bien. Un peu flou mais ce n'est qu'une évocation. Le meilleur est à venir. ""People", dit-on aujourd'hui : ils furent les mêmes à Rome ou à l'Hôtel de Bourgogne, où fut créée Bérénice. Sur Internet, en latin ou en alexandrins, les passions traversent le temps : amours mille fois brisées dans l'au-delà de leur raison". La dernière pirouette ne sauve pas le ridicule (et c'est encore trop peu que ce mot) de ce qui précède.

On y trouve tout ce que le contemporain traîne en lui de détestable. La manière de rapporter le classicisme, forcément dépassé, à une actualité  qui parle (?), la vulgarité des rapprochements, l'oubli (ou l'ignorance) de la spécificité même de la littérature, une sociologie de café du commerce écrasant les singularités des temps successifs en une sorte d'humanité immuable, aux caractères transcendants... Il y a de quoi être consterné. Plus encore : on regrette que le théâtreux qui prend cette voie n'aille pas jusqu'au bout de sa démarche, qu'il ne déstructure pas davantage le discours, n'y amène pas le reniement à son paroxysme en évoquant Bérénice comme une histoire de cul dans la haute (plutôt que comme une histoire d'amour un peu puérile pour des djeunzes vivant à coups de SMS ou de compte Face de bouc) : c'eût été porteur, je crois. C'est d'ailleurs l'un des tendances actuelles, du théâtre : le trash, le dénudé, le physique sans corporalité. La provoc' à la petite semaine.

Cette présentation a au moins un mérite : elle nous dissuade d'assister à l'effondrement de l'idéal et au prétendu choc des cultures (dans lequel le passé est forcément mort) et nous incite à retourner au texte, ce que nous fîmes avec un plaisir encore renouvelé.

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