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attentats

  • L'ignominie (II)

    En découvrant hier la composition de la nouvelle équipe hollandaise (1), on n'en croit pas ses yeux. On relit. On se fend même d'un troisième examen, pour enfin éclater de rire. Un rire sombre, écœuré, teinté de rage. On pensait que le corrézien avait atteint des sommets dans le ridicule, mais, en la matière, il faut toujours relativiser. Le pire est souvent devant nous.

    Ainsi donc avons-nous depuis jeudi une secrétaire d'Etat à l'aide aux victimes (2). L'heureuse élue s'appelle Juliette Méadel. Si je m'en tiens à l'intitulé de ses attributions et au contexte sinistre dans lequel nous vivons, j'en déduis qu'elle doit son poste à l'Etat Islamique. Sans les 130 morts parisiens, elle n'aurait sans doute pas pavoisé (3) ministériellement. Je suis certain qu'elle va nous la faire sur le mode : les victimes, le souci du gouvernement, la solidarité nationale, et j'en passe. C'est à vomir. Il fallait qu'on lui trouve un maroquin et le corrézien n'a rien trouvé de mieux. Le compassionnel ad nauseam.

    Je ne voudrais pas être Juliette Méadel parce que j'aurais du mal à me regarder dans la glace le matin. Accepter une telle nomination relève d'un comportement putassier et arriviste. Elle n'est pas la seule : le retour d'Ayrault renvoie à la même logique. Mais puisqu'elle doit s'occuper des victimes du temps, elle peut aussi s'attacher aux victimes du hollandisme : les chômeurs dont le nombre n'a cessé d'augmenter et qu'on traite de fainéants, les pauvres encore plus pauvres, les SDF qui n'en peuvent plus. C'est certain :  pour aider les victimes de son boss, elle aura du travail. Seulement, je ne crois pas que ce soit les sans-dents qui l'intéressent, son patron.

    Cynisme pour cynisme, j'espère qu'elle enverra un tweet à l'enturbanné de Baghdadi. Faut assumer, mémère, faut assumer...

     

    (1)Le terme "gouvernement" est inapproprié tant ces gens-là sont ineptes, et inaptes à gouverner...

    (2)Laquelle fait passer la secrétaire d'Etat à l'égalité réelle au second plan, c'est dire combien nous sommes tombés bien bas. La multiplication des blagues de mauvais goût finit par minorer ce qui, par ailleurs, est d'une débilité sans nom.

    (3)Faut-il alors que nous sortions les drapeaux ?

  • Trombinoscope

    Le Monde a décidé que les 130 morts de novembre, outre leur sépulture particulière, prendraient place dans un porte-folio où chaque portrait serait accompagné d'un texte commémoratif mêlant émotion et intimité. Ainsi les victimes du terrorisme ne tomberaient-elles pas dans l'anonymat d'une comptabilité technique et froide. Le journal se charge, en quelque sorte, de leur assigner une présence au-delà de leur disparition, et de le faire dans le cadre d'un espace public : le site web.

    Cette ambition peut être louée. Nul doute qu'elle le sera et que d'aucuns y verront un hommage émouvant, une manière délicate d'intégrer le malheur individuel au drame collectif. Pour faire œuvre, sans doute, dans cette histoire partagée à laquelle on voudrait nous faire adhérer selon des normes définies par le pouvoir. Soit... Mais cette démarche ne pose pas moins question.

    En agissant de la sorte, le journal vespéral ouvre une brèche dans la définition même de sa nature. La source d'information vire, en cet endroit, au mémorial. Rien moins qu'étrange, que ce glissement vers le sacré (soit, par l'étymologie : ce qui est séparé). Dès lors, pour cette tragédie qu'on dit nationale et/ou républicaine, alors qu'elle religieuse et politique, le pays ne dresse plus de chapelle ardente mais un autel de fortune (la si bien tombée place de la République) et un mémorial numérique, auxquels s'ajoute la boursouflure des Invalides où la collaboration se refait une virginité (croit-elle...).

    Nous avons donc les morts face à nous, dans le mystère d'une pose qui veut, très souvent, suggérer la vie, l'enthousiasme, le bonheur, tout ce qui peut, d'une certaine façon, exemplifier l'injustice qui leur fut faite d'avoir été fauchés en pleine vie, d'avoir payé pour être libre, d'avoir été les victimes d'un mode de vie qui nous serait propre : la musique, les terrasses, la légèreté, le fun, la convivialité, l'amour, etc, etc, etc (1). Tout ce qui serait, entend-on à longueur de temps, l'idéal français d'une République exemplaire, en phare de l'humanité. Admettons... Mais ces visages, aussi dignes soient-ils, et il n'est pas interdit d'être touché, ces visages face à moi, ce n'est pas la mort en face. La somme de ces disparitions, cet alignement possible sur le web de tous ces visages ne me renseignent pas sur le sens que l'on peut donner à ce qui s'est passé. On rabat la cruauté et l'injustice sur le plan faussement profond de l'accumulation, du quantitatif, de l'effroi que suscite, tout à coup, le dénombrement. Pour que cela marche, il faut que le nombre devienne lui-même signifiant. N'est-ce pas terrible que de se dire la chose suivante : l'aurait-il fait pour dix morts, douze morts, vingt morts ? Quel seuil donne le droit à construire un mausolée ? Je n'en sais rien mais il faut croire que certains ont, eux, l'art du curseur. Je ne les envie pas parce que je ne crois pas à la sincérité de leur calcul, justement parce qu'il est calcul. Il y a dans la récupération compassionnelle pas moins de machiavélisme que dans le cynisme classique.

    Je ne puis donc, en les regardant, ces victimes, m'empêcher de penser que leur mort amenée au rang monumental bénéficie d'un surcroît de médiatisation, d'une course à la larme, d'une valorisation de l'angoisse et de cette étrange parodie d'humanité qui consiste à se dire : j'aurais pu être à leur place. On peut toujours sortir ses mouchoirs mais cela ne définit pas de la pensée. Il ne suffit pas de se mettre à la place de pour avoir une pensée politique. Ce serait même plutôt l'inverse. Cette résolution narcissique de l'événement (c'est-à-dire sa réduction sensible et affective) est même le plus sûr moyen de ne pas regarder la vérité en face (ce qui, en effet, peut signifier qu'il faudra regarder la mort en face...).

    Soyons donc cynique et demandons-nous jusqu'à quand ce trombinoscope aurait droit de cité dans Le Monde. Y aura-t-il une obsolescence du souvenir et du recueillement ? Ou bien sont-ils destinés à demeurer sur le site ad vitam aeternam, dans le Panthéon journalistique ? Cela n'est pas rien. En se transformant en lieu de mémoire, pour reprendre l'expression de Pierre Nora, ce journal fait peut-être ce qui lui semble juste. Il met surtout en évidence que rien n'aura été fait pour que la solennité du partage puisse atteindre chacun de nous. Ce n'est pas le barnum médiatique des visites place de la République, voire au café X ou Y, comme on fait la visite du Père-Lachaise, ce n'est pas la mise en scène rhétorique et musicale (Brel et Barbara ou le secours de la chanson française...) aux Invalides qui peuvent donner au peuple la mesure de ce qui s'est passé. On ne convertit pas un espace en lieu aussi facilement. Et de facto, l'entreprise du Monde prend des allures de redite folklorique (j'ose le dire) de ce qu'on a déjà fait depuis la guerre 14-18 : inscrire le nom des disparus, faire des albums. Nihil novi sub sole...

    Le pire est évidemment que cette pratique, si elle se veut édifiante et symbolique, ne sert pas à grand chose, sans quoi l'histoire du XXe siècle ne serait pas la litanie d'horreurs qu'on connaît. Faut-il y voir le signe de notre incapacité à penser ce qui se déroule sous nos yeux ? Le "plus jamais ça" est une des pires expressions que je connaisse : sa vacuité et son inefficacité sont flagrantes. Dès lors, l'ambition du Monde peut être louable si l'on s'en tient aux besoins du cœur mais elle ne tient pas sur le plan de la raison, et ce que j'attends d'un journal, c'est qu'il explore le labyrinthe de la raison.

    En attendant, ce trombinoscope me rappelle une œuvre de Felix Gonzales-Torres, Untitled (death by gun), de 1990. On y voit les photos de tous les tués par armes à feu, aux Etats-Unis, pendant une semaine. C'est très "dénonciation facile", très "contestation à moindres frais" : de l'art contemporain engagé, dont les dernier événements américains montre l'efficacité...

    gonzales-torres_felix_guncaused_deaths_poster_1.jpg

    C'est sans doute ce côté art contemporain, dans son caractère vain et intempestif, dans sa posture et son inanité conceptuelle qui me dérange, en fait, dans l'initiative du Monde. Mais il est vrai que depuis longtemps il n'y a plus rien à espérer du côté de la rue des Italiens.

    (1)Parce que ma vie de Français est de descendre des bières en terrasses et d'écouter du heavy-metal. Voilà mon identité (puisque vous aurez remarqué, lecteur, que tout à coup on a vu surgir l'idée d'une identité française à travers une tradition de convivialité culinaro-musicaleL Le Français est festif...)

  • Pour ne jamais en finir...

    Ce matin, je me suis installé en terrasse avec une amie et son bébé. Nous avons discuté, entre autres, de ce qui était arrivé dans la nuit, et je regardais les clients autour de nous, certains sérieux, d'autres à rire. Je me demandais dans quelle partie de leur mémoire ils avaient placé ces morts qui leur ressemblent terriblement. Mais, peut-être se posaient-ils la même question à mon encontre. Les discussions étaient discrètes. C'était étrange. Je ne sentais pas la même consternation appliquée et facile de l'"après Charlie". Et cette amie de me dire : y a-t-il des manifs en perspective ? Les gens iront-ils encore, maintenant qu'ils savent qu'il ne suffit pas d'être dessinateur ou journaliste pour prendre de sang-froid une balle dans la tête ?

    C'est là que commence le courage, le vrai. Pas celui qui consiste à faire sa b-a, en se voulant citoyen du monde, caricaturiste du dimanche et amnésique politique. Or, il semble bien que l'État qui ne sait pas, ou ne veut pas, nous protéger et poser les questions qui sont au cœur de ces événements terribles, il semble bien que cet État ait voulu couper court à toute réflexion sur le sujet puisque les rassemblements en lieu public sont interdits. Voilà qui a le mérite d'être clair.

    Il ne nous reste pour l'heure qu'à revenir encore une fois sur le fond, sur ces hypocrisies mortifères qu'ici, comme sur d'autres canaux, d'autres blogs, nous avons dénoncées. Ces terroristes sont-ils, pour reprendre la phraséologie de ces dernières années, des "loups solitaires" ? Ou, pour citer ce grand penseur qui se croit premier ministre, des "enfants perdus de la République" ? Et du côté du CFCM, va-t-on, pour se dédouaner et faire ses ablutions en toute tranquillité, nous resservir la soupe classique qui commence par : "ceux qui ont fait cela ne sont pas des musulmans. Cela n'a rien à voir avec l'islam" (1) ? Aura-t-on droit à l'expert es-Lybie BHL (maintenant que Glucksmann n'est plus de ce monde) pour venir nous dire la voie à suivre ?

    Plutôt que de bavasser comme ils savent si bien le faire, plutôt que d'être, pour beaucoup, et notamment à gauche, les complices de l'islamisme rampant (mais qui rampe de moins en moins tant on lui permet de se tenir droit), les politiques devraient savoir que des âmes fortes sont mortes pour avoir, elles, affrontées la réalité. Mais l'affaire n'est pas gagné ; et de repenser à l'attribution du Goncourt à Enard qui nous fait de l'orientalisme conciliant quand Boualem Sansal fixe l'hydre en face. Ce n'était pas la peine, Pivot, d'aller à Tunis annoncer la liste sélectionnée et de nous faire croire à un symbole quand on se couche ainsi pour, je suppose, ne pas déplaire à la gérontocratie algérienne. Bel exemple de décomposition qu'il faut combattre autant que les grenades et les explosifs, car c'est ici et maintenant que nous saurons savoir être vivants.

    Je regardais la terrasse, les tasses de café et les apéritifs ; j'entendais les murmures et je me souvenais de Tahar Djaout, assassiné par les islamistes en 1993 : "avec ces gens-là/Si tu parles, Tu meurs/Si tu te tais, Tu meurs/Alors parle et meurs"...

     

    (1) à peine ai-je publié ce billet que je tombe sur la déclaration d'Anouar Kbibech, président du Conseil Français du Culte Musulman, lequel conclut son propos ainsi : les auteurs des attentats qui ont frappé Paris «ne peuvent se réclamer d'aucune religion ni d'aucune cause». Cela s'appelle la démonstration par l'exemple...