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boxe

  • La fausse gloire

    Mohamed Ali est mort. Paix à son âme. Il ne peut être comptable des inepties qu'on répand sur lui maintenant qu'il est mort. Les hommages outranciers, les éloges dithyrambiques et la vision angélique de l'homme qu'il fut passent toutefois les bornes. J'avais écrit sur Off-shore, le 6 décembre 2014, un billet à l'occasion des 40 ans du combat du siècle, Ali-Foreman, dans lequel je revenais sur l'ambiguïté sordide du contexte politique de l'événement. Ali n'est pas responsable des tortures qui se déroulaient pendant qu'il patinait sa gloire sportive et morale mais on n'est pas obligé de glorifier celui qui ferme à ce point les yeux.  Je n'ai évidemment pas changé un mot du texte.

     

     

    La presse et la télévision sont revenues il y a quelques semaines sur ce qui fut, quarante ans avant, le combat du siècle, entre Ali et Foreman, le 30 octobre 1974, à Kinshasa.

    Il est tentant de faire soi-même un retour en arrière quand cet affrontement a pris la forme d'un souvenir d'enfance particulièrement vivace. Il fallut pour cela qu'une blessure d'Ali retardât de quelques semaines le combat et que celui-ci fût programmé pendant les vacances de la Toussaint. Il bénéficia d'une retransmission exceptionnelle au milieu de la nuit. Et c'est ainsi qu'avec la bénédiction parentale, dans le silence sévère de l'appartement, toutes lumières éteintes, dans l'éclat unique de l'écran noir et blanc, je vis les deux hommes sur le ring. À la fin du premier round, même avec l'ignorance pugilistique de mes dix ans, la tragédie était en marche. Foreman frappait comme une brute, Ali parait au plus pressé. La question n'était pas de savoir si le premier triompherait du second, mais de parier sur le moment ou The Greatest, ainsi qu'il se désignait, choirait pour le compte.

    J'étais du côté d'Ali, et je le vis se faire rouer de crochets et d'uppercuts, se recroquevillant, jouant de l'esquive autant que faire se peut. Il subissait mais ne pliait pas ; les reprises passèrent ; Foreman s'épuisa ; et ce fut le renversement magique. Au huitième round, le jusqu'alors maître du ring baissa sa garde ; Ali s'engouffra et en quinze secondes, sans la moindre possibilité de se relever vaillant, Foreman perdit par K.O..

     

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    Tel est le souvenir d'une vie, en matière de boxe (1). Ce sport s'est perdu dans la multiplication des fédérations et des couronnes. Plus aucun intérêt.

    Ce souvenir, un homme est venu le dépoussiérer et lui donner une autre perspective, quand est sorti en salle, en 1996, le long métrage documentaire réalisé par Léon Gast, When we were kings.

    Le journaliste américain s'est décidé à suivre l'épopée de cet affrontement qui dépassait, de loin, les limites d'un ring. Nous y voyons Ali fanfaronner, parader, pendant que Foreman a le rôle du méchant sans envergure. On y découvre tout le battage pour que le combat se déroule en Afrique et qu'ainsi Ali puisse donner à son défi (il n'est pas le favori) une aura aussi flamboyante que son style, dans la droite ligne de ce qu'est sa vie : refus d'aller combattre au Viet Nam, conversion à l'islam, abandon de son état civil (il s'appelle Cassius Clay), investissement politique marqué. Ali-Foreman, en Afrique, sur la terre des origines, dans un temps où l'on n'a pas encore sorti l'artillerie sémantique de l'afro-américain (qui aboutit à l'Africain-Américain...) : revendication identitaire et raciale, tout simplement, comme étendard d'une dignité retrouvée. Le sport prend une tournure profondément politique, dans la continuité, ou peu s'en faut, de la marche pour les droits civiques.

    Mais il faut se rendre à l'évidence : la parade, et son vernis protestataire, tourne à la mascarade sinistre. Le combat a lieu à Kinshasa, au Zaïre, dans ce qui fut jadis le Congo belge. Le pays est dirigé d'une main de fer (et c'est un euphémisme) par le sanguinaire Mobutu Sese Seko. Le combat se déroule dans un stade dont les sous-sols, comme au Chili, sont macabres. La dictature de Mobutu n'est pas mieux que celle de Pinochet. Du combat il se sert comme d'une vitrine. Le monde entier, ce soir-là, tait ses réticences (d'ailleurs souvent étouffées. On a depuis longtemps beaucoup d'indulgence pour les pouvoirs africains) et pose un mouchoir encore plus ensanglanté sur ses prétendues convictions. Le temps est suspendu...

     

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    Et toi, enfant, tu regardes sans malice, mais avec compassion, les coups pleuvoir sur un homme qu'adulte, tu considères maintenant avec un certain dédain. L'escroquerie morale et politique de ce combat est patente et il est troublant que ce pan détestable de l'événement soit, au fond, passé sous silence. Certes le monde a continué de tourner. Mobutu est mort, Ali est un vieux monsieur parkinsonien. Faut-il céder à la facilité de la critique ? Ali n'a tué personne. Serait-il raisonnable de l'associer pleinement à un régime aussi cruel ? Ce serait ridicule, même si on regrettera qu'il ait ainsi fait le jeu d'un monstre et discrédité son propos.

    En revanche, on s'interrogera sur le fondement de cette étrange complaisance. Il est fort curieux de ne pas voir dans ce barnum politico-sportif le reflet d'une certaine Afrique dessinée en partie par l'espace colonial, mais en partie seulement, dont les turpitudes sont aussi le fait des africains eux-mêmes, et qui n'ont pas besoin du méchant européen (ou occidental) pour perpétrer leurs crimes. Il est encore plus singulier de voir des personnages aux revendications libertaires/identitaires se reconnaître de facto dans le miroir de la terreur. Alors que l'époque est si prompte à fouiller les poubelles de l'histoire européenne, les contempteurs du vieux monde exemptent le reste de la planète d'un quelconque examen de conscience (2).

    Ali en icône de la cause noire est une des plus saisissantes escroqueries morales de la fin du XXe siècle. À peu près comme Obama, dont quelques journalistes idiots annonçaient, la larme à l'œil, l'élection il y a quelques années. N'est pas Martin Luther King qui veut...

     

    (1)Seule exception, elle aussi fort ancienne : le combat entre Hagler et Hearns en 1985. Trois rounds sans équivalence, dont le premier que les spécialistes jugent être le plus remarquable de l'histoire de la boxe.

     

    (2)Il suffit de voir comment un gouvernement de gauche, qui passe son temps à nous faire la morale, a exfiltré Blaise Compaoré du Burkina Faso

     

     

  • René Char, en puissance

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    Même dans la gravité, René Char sonde l'énergie du possible. Il n'y a pas de vain combat, pas d'engagement (et cela s'entend bien au delà du politique) par quoi nous ne pouvons nous mouvoir, nous émouvoir et avancer, encore et encore. En amour, en amitié, en désir de vivre.


    LE MORTEL PARTENAIRE
                             À Maurice Blanchot

        Il la défiait, s'avançait vers son coeur, comme un boxeur ourlé, ailé et puissant, bien au centre de la géométrie attaquante et défensive de ses jambes. Il pesait du regard les qualités de l'adversaire qui se contentait de rompre, cantonné dans une virginité agréable et son expérience. Sur la blanche surface où se tenait le combat, tous deux oubliaient les spectateurs inexorables. Dans l'air de juin voltigeait le prénom des fleurs du premier jour de l'été. Enfin une légère grimace courut sur la joue du second et une raie rose s'y dessina. La riposte jaillit sèche et conséquente. Les jarrets soudain comme du linge étendu, l'homme flotta et tituba. Mais les poings en face ne poursuivirent pas leur avantage, renoncèrent à conclure. A présent les têtes meurties des deux battants dodelinaient l'une contre l'autre. A cet instant le premier dut à dessein prononcer à l'oreille du second des paroles si parfaitement offensantes, ou appropriées, ou énigmatiques, que de celui-ci fila, prompte, totale, précise, une foudre qui coucha net l'incompréhensible combattant.
        Certains êtres ont une signification qui nous manque. Qui sont-ils ? Leur secret tient au plus profond du secret même de la vie. Ils s'en approchent. Elle les tue. Mais l'avenir qu'ils ont ainsi éveillé d'un murmure, les devinant, les crée. Ô dédale de l'extrême amour !
                                             La Parole en archipel (1952-1960)

  • K.O. debout (première partie)

    Je ne vais pas recommencer à dire ce que j'ai déjà dit, et tu le sais, si ? non ?, qu'à la question : tu t'es rendu compte de ce qui se passait ? évidemment non, et d'ailleurs personne, j'ai seulement vu que sur mon enchaînement, crochet-uppercut, il a vacillé, un pas en arrière, sans avoir le moyen de se récupérer, le dos dans les cordes, et il tombe, et tu sais, à ce moment-là, tu ne penses pas, enfin, moi, je n'ai pas pensé, pas pensé à autre chose qu'à ma victoire, au fait que j'avais réussi mon coup, enfin, même pas, parce que je n'ai pas cru que j'avais gagné, parce que je n'imaginais pas qu'il ne se relèverait pas, puisqu'on n'était qu'à la cinquième reprise et qu'il n'avait pas reculé, c'était pas le genre de toute façon, jamais un genou à terre, pas une fois compté même, debout, toujours debout, je veux dire, tu sais, trente neuf combats, trente-sept victoires dont trente-quatre avant la limite, un nul. Tous ces championnats du monde gagnés, à la chaîne, avec une régularité de métronome. Alors, tu es surpris de le voir tomber, pas croire que l'euphorie prend le dessus, pas du tout, en même temps, tu restes sur tes gardes, il était si sûr de sa propre victoire, tu te souviens, ce qu'il disait dans les journaux d'avant-match, que Gurvan Michals, il était bien gentil, mais qu'il ne comprenait pas pourquoi il montait d'une catégorie pour se prendre une branlée, mais il ne serait pas le premier à avoir eu les yeux plus grands que le ventre, parce que super-welters et moyens, ce n'est pas une affaire de deux kilos de plus, et lui, il disait cela aussi, il avait tout : l'allonge, la rapidité, la force, l'expérience, tu ajoutes l'envie, important l'envie, parce qu'à plus de trente piges, il avait su s'économiser, peu de coups reçus, des matchs courts, seize championnats du monde, seize, alors, tu sais, quand il tombe, tu n'y crois pas, je le répète, je ne me suis rendu compte de rien, enfin, sinon qu'il avait le regard perdu, parce que je l'ai accompagné dans sa chute, dans le mouvement des coups, j'étais assez près quand il est tombé, prêt à mordre, moi aussi, et l'arbitre m'a repoussé pour pouvoir faire le décompte, mais j'ai vu son œil, vitreux, suspendu, pour prendre une comparaison, et je ne me place pas au même niveau que ces deux-là, mais pour dire, le regard de Hearns, quand Hagler l'abat au troisième round, tu vois un peu, alors peut-être que je savais que j'avais gagné, mais non, il y avait toute la foule et j'avais beau avoir une petite habitude des soirées de folie, là, c'était vraiment surchauffé, et quand il est tombé, je crois que les gens ont crié très fort, oui sans doute, je ne me le rappelle plus, et maintenant, c'est clair : je ne veux pas revoir une image de toute cette soirée, j'en connais qui voulaient me montrer le k.o., je m'en fous de le voir, le voir, comme si cela rimait à quelque chose, puisque à ce moment-là, j'ai croisé son regard un dixième de seconde peut-être, l'arbitre m'a poussé et après j'ai reculé dans mon coin, j'ai aperçu Berenson qui levait les deux pouces et l'arbitre avait déjà atteint la moitié du décompte, les cinq doigts de la main gauche bien écartés, et la même chose pour l'autre main, avant qu'il ne fasse le signe pour me signifier que les carottes étaient cuites pour lui, et moi, tu sais, je n'ai pas eu un geste pour lui, dans l'instant, j'ai levé les bras au ciel et j'étais habité par autre chose que de la joie, non, pas de la joie, mais un sentiment de puissance, plutôt, un truc vertigineux qui n'avait rien à voir avec ce que j'avais connu, quand j'avais pris le titre W.B.A. à Somoza, chez les super-welters, et même pas avec Henderson, pour l'unification de la catégorie, parce que je savais au fond de moi, depuis le début, que les super-welters, ce n'était rien, du moins pas assez, pas mon rêve, alors que les moyens, oui, bien sûr, évidemment, comme si au foot, tu devenais pro, mais qu'un jour on venait te chercher pour jouer au Real ou au Manchester, et là, tu te dis que c'est bon, donc, quand l'arbitre a fait le geste, le rituel du ciseau, comme je l'appelais, pour dire à tout le monde qu'on en resterait là, j'étais seul au monde, et je l'ai laissé sur le carreau, et c'était d'autant plus facile qu'il n'avait rien fait avant pour que je puisse me dire, merci vieux, un beau combat à deux, il avait trop bouclé l'affaire comme il l'entendait, et sur un terrain parfois pas très convenable, du genre : qu'est-ce que c'est que ce Gallois élevé dans du coton ? moi, je viens de la rue, mes deux poings, c'est ma vie, lui, le petit Gallois, champion d'une sous-catégorie, à un moment où le dernier des tocards peut avoir une ceinture mondiale, tu sais, sur le mode basique, lui le blanc de je ne sais où, dans son pays qui n'en est pas un, parce qu'il a même remarqué que je refusais l'hymne anglais, et que je venais drapé dans l'emblème gallois, et moi le noir, l'homme de la banlieue de Cincinatti, Ohio, tu saisis, je m'en fichais qu'il était noir, c'était sa couronne qui m'intéressait, mais je ne pouvais pas me rendre compte de ce qui se passait, parce que le combat n'avait pas été si dur, je pense, du moins dans mon souvenir, on n'était pas encore à la moitié et je me trouvais encore très frais, d'une grande lucidité pour ce que je faisais et ce que je recevais, j'avais conscience que ses jabs du gauche, je devais les neutraliser parce qu'ils me faisaient terriblement mal, mais j'avais conscience qu'il me faisait mal, voilà : Somoza, Cartridge, ou même Manera m'avaient davantage mis en difficulté, et pour être honnête, je n'avais pas l'impression non plus d'avoir eu l'explosivité nécessaire pour l'éprouver, j'avais juste remarqué qu'à la fin de la quatrième reprise il avait temporisé, moins avancé comme à son habitude, mais je pouvais me dire qu'il menait déjà, et aux points, il menait, c'est vrai, qu'il voulait gérer, jouer le contre, et tu vois, quand les choses se présentent de cette manière, tu ne vas pas chercher midi à quatorze heures, en fait, tu analyses un minimum et tu ne penses pas à l'exception. Je vais me boire un whisky. Pareil pour toi ?


    Pas un seul instant, je n'ai imaginé la suite, j'avais vu toutes les vidéos sur lui, sa manière de faire, d'avancer, les enchaînements, la facilité du pas de côté, un truc assez formidable et mon enchaînement, mon affaire crochet-uppercut, rien de magistral, mais il a dû faire son pas de côté après, avant de partir en arrière, l'arbitre a compté, j'ai levé les bras, dans mon coin et c'était fini, des gens qui montaient sur le ring, un bordel monstre, comme d'habitude et Cruz qui s'est mis à me porter en criant, et d'autres criaient, alors je ne saurais pas te dire à quel moment j'ai reposé les pieds au sol et je me suis avancé vers Finsbury, il l'avait assis dans son coin, il ne semblait pas bien, mais rien de surprenant, Warner ou Cartridge étaient beaucoup plus marqués, je m'en souviens, Warner surtout, avec des entailles, comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences, je sais qu'à ce moment-là, je n'avais plus d'animosité contre lui, rien, étonnant peut-être, mais rien, ni condescendance non plus, c'était fini, tu comprends, j'avais gagné au Madison Square Garden, Brooke Finsbury n'était plus invaincu, plus un champion du monde invaincu, je régnais sur les poids moyens, c'était fait, et de toute manière, les gars de l'organisation m'ont attrapé pour que je me retourne et qu'on me donne la ceinture, il y avait une caméra très près, je ne m'étais même pas rendu compte qu'on m'avait retiré les gants et j'ai brandi la ceinture, avec Cruz et Jones qui parlaient dans tous les sens, tout était très fort, et des micros se sont tendus, j'ai dû dire des banalités, j'étais heureux, c'était difficile, mais j'y avais toujours cru, bien sûr, on peut envisager une revanche, mais en Europe cette fois, pourquoi pas chez moi ?, rien de très original, et de toute manière, je n'avais pas vraiment envie de parler, il fallait que les choses continuent, je n'ai pas vu comment il était descendu, mais je me suis retrouvé seul sur le ring, presque pas de monde autour, pour montrer à nouveau ma ceinture, la foule applaudissait mais commençait à se calmer parce qu'il restait le combat entre Waynhorn et Krensky, et là-bas, aux Etats-Unis, ils adorent les poids lourds, alors je suis descendu, et tout le chemin jusqu'au vestiaire, je ne pourrais pas te dire combien de temps à durer toute cette histoire de remise du titre, la couronne mondiale, la ceinture du vainqueur, Cruz m'a reparlé de mon enchaînement, comment il avait vu Finsbury chanceler et il avait compris tout de suite que le décompte irait à dix, sans problème, parce que les coups, c'est une chose, mais la découverte du tapis, quand jamais tu ne l'as connu, tu sais, là, le tapis, quand tu le découvres, m'a dit Cruz, tu perds tes repères, comme la fin d'un monde, et avec Cruz, on est arrivés au vestiaire, j'ai demandé à ce qu'on ferme la porte, pour se retrouver un peu au calme, Cruz m'a refait le combat, à ce moment-là, je n'écoutais pas vraiment, d'ailleurs, il ne parlait pas pour moi, mais parce qu'il fallait qu'il évacue, il n'était pas sur le ring, tu comprends, lui, aussi, dans son genre, il avait atteint ce qui le faisait rêver depuis tant d'années, à ce moment-là, je me suis vu dans la glace et j'ai trouvé que je n'étais pas marqué, que Finsbury ne m'avait pas marqué, je crois qu'il y a eu un temps d'arrêt, à voir que je n'étais pas marqué, alors qu'on m'avait promis la chirurgie esthétique après, quand je me serais fait laminer par ses enchaînements et son jab du gauche, et je ne sais pas qui m'a dit, allez, va prendre une douche, on va aller fêter ça, moi, j'ai pensé à Samantha et j'ai demandé un portable, même si déjà, on avait dû lui dire de ne plus s'inquiéter parce que là-bas, je l'avais bouffé, Finsbury, j'ai fait court, elle m'a dit je sais, je suis heureuse, et ce n'était pas plus mal que ce soit court, qu'elle et moi, on ne sache pas quoi dire de plus, parce que c'était à peine croyable, et à Samantha je me souviens juste que je lui ai promis de repartir dès le lendemain, de toute manière, j'avais dit à Cruz que quinze jours avant le combat à New York, d'accord, pour digérer le décalage, s'imprégner de l'atmosphère, d'accord, mais ensuite, on plie les gaules, et il était d'accord, puisqu'il avait déjà acheté les billets, même en cas de victoire, on bouclerait les interviews et tout le tremblement en deux temps trois mouvements, donc j'avais fait la promesse à Samantha, j'ai pris ma douche et on est sortis, avec Cruz, Jones, Pedersen, Evangelista et Clive, dans une boîte de jazz parce que je ne voulais me retrouver dans une soirée à la con, avec du bruit et des nanas à la demande, je voulais boire tranquille, et j'ai bu tranquille, les autres beaucoup plus volubiles que moi, je me souviens qu'en montant dans le taxi, quelqu'un m'a glissé que Krensky avait fait mieux que moi, quatre rounds et l'affaire était pliée, mais il était le favori, et de toute manière, cela ne me concernait pas, puisqu'on partait se promener, voir New York la nuit, enfin, tu connais, tu vois ce que je veux dire, tout cela pour que tu comprennes que personne ne m'avait dit qu'il avait eu du mal à regagner les vestiaires, et qu'il avait fallu appeler un médecin d'urgence et qu'on l'avait emmené à l'hôpital, toute cette merde, je ne l'ai appris que le lendemain midi, quand j'ai téléphoné à Cruz pour voir s'il était réveillé, j'avais bu un peu trop de rhum, mais, lui, il n'est pas Cubain pour rien le salaud, il les enfile comme personne, cul sec, et vas-y, remets la dose, alors j'avais envie de voir si malgré tout il avait le casque, mais il était réveillé, parce qu'on l'avait réveillé pour lui dire que Finsbury allait mal, tu vois, j'ai demandé un café et un groom me l'a apporté avec les journaux qui titraient sur la chute d'un géant, Michals le chef, deux ou trois choses, et je n'ai pas compris tout de suite, tu sais, parce que la voix de Cruz était un peu imbibé quand même et c'est en voyant sa tête que j'ai senti que l'histoire prenait le roussi, parce qu'il n'avait pas envie de me reparler de mon enchaînement, absolument pas, et entre temps, il avait eu des nouvelles fraîches et Finsbury venait d'être admis en réa, situation d'urgence, et j'ai repensé à mes coups, à lui qui recule et tombe dans les cordes, pour la première fois, tu comprends, pour la première fois, il faisait grand soleil, le soleil entrait abondamment dans la chambre, et j'aurais dû être heureux, d'ailleurs, Cruz a jeté un œil sur les titres, mais il a évité les commentaires, dans un sens comme dans l'autre, il a inspecté le petit frigo d'intérieur et s'est tassé un double scotch. Tiens autant s'en remettre un autre. Toi aussi ?