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    Dernièrement, dans un grand centre commercial (en centre ville...), mon esprit ne s'est pas seulement abîmé d'une foule qui, comme des électrons affolés, allait dans tous les sens ; d'une intempestive lumière agressant mes pupilles ; d'un flot d'écritures réduites à des marques, à des appels aux soldes et à des chiffres ; d'une myriade de visages et de corps trafiqués. Il y avait la musique.

    D'espaces traversés en espaces frôlés, je baignais dans cet abrutissement sonore fait de pièces brutales diverses et pourtant si communes, lignes dansantes et basses décervelées. Du rap, du R'n'B, de l'électro easy listening, de la FM... Un mixte de toutes ces musiques qu'on prétend inventives et d'opposition quand elles sont l'idéale bouillie de l'inconscience consommatrice. Des musiques décérébrées qui réconcilient n'importe qui, même le plus réticent, avec les mélodies des Beatles et la voix chaude de Frank Sinatra (lesquelles ne pourraient nullement convenir au temps contemporain, c'est dire...).

    Cet abrutissement continu est, au fond, un des pires signes de l'époque : celui qui permet de fondre en un seul et même lieu le divertissement d'une industrie musicale de plus en plus débile, le sentiment factice d'une création multiculturelle dit-on universel (alors qu'elle n'est que le supplétif de la mondialisation ultra-libérale), le bain homogène indispensable à l'éternelle frénésie acheteuse.

    La musique (son nappage dans les lieux les plus divers (1) ) n'est pas un decorum mais l'un des indices les plus manifestes de la modernité liquide dénoncée par Zygmunt Bauman. C'est la berceuse qui emmène avec nonchalence d'un étal à un autre.

    La musique est le rail narcotique d'une jouissance consumériste mortifère. Déjà, Thomas Bernhard, dans Maîtres anciens, écrivait :

    "... cette consommation musicale, l'industrie qui dirige les hommes aujourd'hui, la poussera jusqu'au point où elle aura détruit tous les hommes ; on parle tant aujourd'hui des déchets et de la chimie qui détruirait tout, mais la musique détruit encore plus que les déchets et la chimie, c'est la musique qui, pour finir, détruira totalement tout ce qui existe, je vous le dis."


    (1)Revenant d'Italie, l'été dernier, en franchissant le col du Mont-Cenis, je traversai Lanslebourg où des haut-parleurs installés à même la rue centrale, sur quasiment toute sa longueur, nous faisaient cortège. Un vrai bonheur.


     

    Photo : X