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consumérisme

  • La queue-chic et autres considérations sociologiques

    Étrange cécité que la nôtre parfois. La mienne en l'occurrence. De n'avoir pas vu qu'au commentaire sur le roman de Roland Thévenet avait succédé une humeur sur les superfétatoires qui font la queue. Sans doute l'inconscient des mots, ou quelque chose d'approchant.

    Et l'ami Marc Salet de rebondir en m'envoyant les références d'un article paru dans Le Monde, trois jours auparavant, que je ne connaissais pas et je retiens évidemment un sous-titre magnifique : "un attribut de la modernité". Le mot attribut est sublime. Décidément, Félix Sy était dans le vrai...

     

  • En continu

     

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    Dernièrement, dans un grand centre commercial (en centre ville...), mon esprit ne s'est pas seulement abîmé d'une foule qui, comme des électrons affolés, allait dans tous les sens ; d'une intempestive lumière agressant mes pupilles ; d'un flot d'écritures réduites à des marques, à des appels aux soldes et à des chiffres ; d'une myriade de visages et de corps trafiqués. Il y avait la musique.

    D'espaces traversés en espaces frôlés, je baignais dans cet abrutissement sonore fait de pièces brutales diverses et pourtant si communes, lignes dansantes et basses décervelées. Du rap, du R'n'B, de l'électro easy listening, de la FM... Un mixte de toutes ces musiques qu'on prétend inventives et d'opposition quand elles sont l'idéale bouillie de l'inconscience consommatrice. Des musiques décérébrées qui réconcilient n'importe qui, même le plus réticent, avec les mélodies des Beatles et la voix chaude de Frank Sinatra (lesquelles ne pourraient nullement convenir au temps contemporain, c'est dire...).

    Cet abrutissement continu est, au fond, un des pires signes de l'époque : celui qui permet de fondre en un seul et même lieu le divertissement d'une industrie musicale de plus en plus débile, le sentiment factice d'une création multiculturelle dit-on universel (alors qu'elle n'est que le supplétif de la mondialisation ultra-libérale), le bain homogène indispensable à l'éternelle frénésie acheteuse.

    La musique (son nappage dans les lieux les plus divers (1) ) n'est pas un decorum mais l'un des indices les plus manifestes de la modernité liquide dénoncée par Zygmunt Bauman. C'est la berceuse qui emmène avec nonchalence d'un étal à un autre.

    La musique est le rail narcotique d'une jouissance consumériste mortifère. Déjà, Thomas Bernhard, dans Maîtres anciens, écrivait :

    "... cette consommation musicale, l'industrie qui dirige les hommes aujourd'hui, la poussera jusqu'au point où elle aura détruit tous les hommes ; on parle tant aujourd'hui des déchets et de la chimie qui détruirait tout, mais la musique détruit encore plus que les déchets et la chimie, c'est la musique qui, pour finir, détruira totalement tout ce qui existe, je vous le dis."


    (1)Revenant d'Italie, l'été dernier, en franchissant le col du Mont-Cenis, je traversai Lanslebourg où des haut-parleurs installés à même la rue centrale, sur quasiment toute sa longueur, nous faisaient cortège. Un vrai bonheur.


     

    Photo : X

  • Pouvoir d'achat (groupe nominal)

    Voici l'un des astres les plus brillants de la politique contemporaine, l'étoile du Berger d'une société qui s'achève dans la pure consommation. S'achève, oui, car je crains que, derrière ces esprits absorbés dans l'avoir, il n'y ait une course vers l'abîme autrement plus périlleuse que celle évoquée par Dominique Fernandez lorsqu'il écrivait sur le Caravage.

    Le pouvoir d'achat...L'expression demande une réflexion, non pour en définir le sens strict sur le plan économique, mais au niveau de la charge symbolique induite par le choix sémantique. Cet objet de référence, que l'on trouve aujourd'hui dans la bouche de tous les leaders politiques et syndicaux, est en effet l'alpha et l'omega de la réussite. Les uns veulent le maintenir, d'autres le faire progresser. Aucun ne nous précise à quoi il renvoie, ce qu'on peut en faire, s'il nous rendra plus heureux, s'il est le signe d'une société plus juste. Rien de tout cela. En revanche, tous, en le magnifiant de la sorte, désignent volontairement ou par défaut, la ligne directrice de la société dans laquelle nous vivons. Ils renvoient le bonheur ou son approche à deux éléments déterminants.

    Plus que le politique ou le social, il s'agit de poser que le vrai pouvoir est dans l'économique désormais, que toute réussite personnelle tient dans notre capacité à intégrer le circuit commercial, à en être un acteur certes anonyme mais efficace sur le plan de la consommation. Le rappel constant de ce paramètre dans les discours contemporains marque l'adhésion, y compris des "forces de contestation", à un modèle où ce qui tient lieu d'existence est jugé à l'aune d'un mouvement participatif à la grande foire mondialisée des produits et des biens. La course au pouvoir d'achat n'a évidemment rien de révolutionnaire mais signe la volonté de chacun, pauvres compris, d'entériner le système, de le valider en apportant sa pierre à l'édifice du consumérisme jusqu'au boutiste, dans l'esprit d'un après moi le déluge magistral.

    Plus que les conditions mêmes du travail, du droit social (mais il faut s'adapter. Cela aussi, on nous le répète. Il faut être moderne...), de la défense des miséreux, du partage des richesses, le pouvoir d'achat, comme borne de la pensée, fait office de sésame vers un futur meilleur. C'est le deuxième élément essentiel : le pouvoir d'achat, contrairement à ce qu'on pourrait croire, n'est pas un idéal collectif. Il est un indice économique qui ne prend pas en compte les conditions de vie propres à chacun. Preuve en est que les statistiques vous diront que le pouvoir d'achat des Français a progressé depuis 25 ans. Donnée abstraite, nous semble-t-il, eu égard aux difficultés croissantes rencontrées par beaucoup pour vivre le quotidien, boucler les fins de mois, supporter le stress d'un précarité galopante et les déchirements d'une société qui a rendu le rêve spectaculaire, tous les soirs sur les chaînes de télévision.

    Il y a donc une ironie certaine à définir ce pouvoir-là comme essentiel parce qu'il qualifierait une liberté fondamentale du sujet, quand, justement, il caractérise une aliénation imparable de ce même sujet. Une société qui n'a que cela à offrir est proprement mortifère car il est illusoire de croire que c'est en accroissant le pouvoir d'achat de 1 ou 2% l'an que les plus pauvres vivront mieux. On les a tellement conditionnés, tellement travaillés par un marketing ciblé, tellement embrigadés dans le branding de toutes sortes, que le si peu qu'ils récupèrent ne sert qu'à combler (pour être plus précis, essayer de combler) la frustration produite par un monde où l'objet, l'achat, la possession sont les maîtres. Et, sur ce plan, rien ne peut atténuer la soif d'avoir : il suffit d'observer la soumission de toute la jeunesse, banlieue ou beaux quartiers, aux impératifs des signes extérieurs de richesse pour constater que nous avons atteint un stade de non-retour.

    C'est d'ailleurs à partir de ce constat que l'on regardera comme caduques les programmes électoraux de 2012 (mais l'histoire remonte à bien plus loin. Mai 68, une fois démystifié l'angélisme baba-cool, est un cimetière majeur de la pensée alternative). Le travailler plus pour gagner plus de Sarkozy n'a pas été attaqué sur le fond mais  sur l'inefficacité des procédures qui ont été mises en œuvre pour en faire une réalité. Question de forme, tout au plus. Ce qu'on nous annonce est du même tonneau. Fussent-ils d'extrême-gauche, ils ont la même logique : un consumérisme permanent, plus ou moins assumé, sur lequel se greffe la variable de la répartition des richesses, ce que certains appelleront une politique plus juste. Or, ce n'est pas de cette manière que l'avenir peut se dessiner autrement que comme une catastrophe économique, politique, écologique...