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séville

  • 8-Samedi après-midi, au MP3

    La série "À la lumière de..." reprend les photos que Georges a. Bertrand m'avait proposées pour la série "À l'aveugle". Il m'a depuis donné les indications concernant leur localisation et les conditions dans lesquelles elles ont été prises.

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    ... encore un coup...



     

    ...Fernando et Jaime ne viendront pas. Ils sont partis voir Rafael à Valence. Pour trois jours. J'aurais bien voulu venir mais je suis à court. Plus un centime. J'ai téléphoné à Firmin et Angelica parce que sérieusement je ne me vois pas ramer quatre heures ici, et c'est pourtant ici qu'on est le mieux, ou le moins mal, à glander, oui, glander bien sûr, mais au frais de l'air conditionné, dans les boutiques, quand on sent le souffle qui vous transit, et même si on raconte qu'il y a des risques dans les écarts de température ; vrai d'ailleurs : le frère de Jaime a attrapé une pneumonie à Madrid l'été dernier en travaillant dans l'approvisionnement frigorifique, il a failli y passer, mais ici on a de la marge, juste une clim ; il fait frais, juste frais, quand dehors, on crève de chaud, presque la mort, quarante et plus, l'été à Séville, si bien que même assis sur un banc, à l'ombre de la Giralda, tu crèves, à vouloir boire sans cesse du granizado de limon, parce qu'à en boire trop, c'est chaud-froid, et les intestins qui prennent, ce qui fait qu'on n'a pas le choix, quand on ne veut pas rester à la maison, le père, la mère, les deux frangines, insupportables, il reste la galerie marchande, l'ancienne gare transformée en galerie marchande, une ancienne gare, là où on pouvait traîner, déjà, avant, comme toutes les cloches qui traînent autour des gares, j'en ai vu, de toutes les gares, un nid à cloches, pour une pièce ou une cigarette, et moi, un peu pareil en somme, des fois à taxer une clope, sauf que, évidemment, je ne suis pas une cloche, et je ne veux pas, seulement un gars qui attend Firmin et Angelica, en espérant qu'ils viennent, pour faire le tour des magasins, et ne rien acheter mais faire semblant de pouvoir, quoique les vendeurs, pas idiots, et traîner, encore, des fois qu'il y aurait une jolie nana, un peu comme Nati, déjà six mois, Nati, même si alors, une fille, j'ai besoin de fric pour qu'on aille ailleurs, hors d'ici, je veux dire, parce qu'ailleurs ne peut pas être si loin d'ici, à la galerie marchande, qu'on n'y revienne pas de tout l'été pour s'y embrasser, appuyés à la rambarde, et c'est pour ça que Nati est partie, quand elle a compris que je n'avais pas les moyens, les moyens, et pourtant elle disait que ce n'était pas grave, mais pour moi, grave, une embrouille, mon orgueil, elle est avec un autre, je les ai croisés, devant chez Suarez, éclairage bleu et orange au coin de mon œil gauche, j'y pense souvent, à Nati, surtout quand je suis avec Firmin et Angelica, qui se sont rencontrés là, devant chez SuperStarzzz, sur une affaire de chemises à carreaux, elle avait un petit boulot, en clair : il a emballé la vendeuse, et l'affaire fonctionne, et moi je traîne, comme chaque samedi après-midi, avec pour la énième fois pas le choix : ou tu regardes en marchant lentement, lentement, les fringues, les pochettes CD, le packaging des jeux vidéos, les gens buvant une bière fraîche ; ou tu t'appuies contre la rambarde et tu espères qu'une fille passera, jeune, jolie, douce, mais ça arrive une fois l'an, et parfois l'histoire dure, comme Firmin et Angelica qui n'arrivent toujours pas, ce qui n'est pas plus mal, en fait, parce qu'ils vont à peine regarder les vitrines, à peine me parler surtout, et s'embrasser à longueur de temps, pendant que je serai là, à tenir la chandelle, sans qu'on ait grand chose à se dire, et tout compte fait, autant se tenir contre la rambarde, ne rien faire, penser à la chaleur dure de Séville, se convaincre qu'on est bien, là, mieux qu'ailleurs, prendre l'habitude, garder l'habitude d'attendre, prier que Firmin me téléphone pour dire non, attendre, et croire : ce n'est que pour un temps. Et je remets du son,





    pour que ça passe, pour que tout passe...

     Photo : Séville, une ancienne gare transformée en galerie marchande
    Texte "À l'aveugle" : La Rambarde