2014 sera commémoratif. Et donc festif, parce qu'il ne faudra pas que nous nous enfoncions trop dans ce que fut le réel. Les huiles civiles et les baudruches gallonnées se fendront de beaux discours. On y parlera courage, bravoure, vertu, démocratie et liberté. En 2014, on sera patriotes, d'un patriotisme un peu gêné aux entournures, si l'on considère le terrorisme mondialiste ambiant.
2014 se fera partie dans les tranchées, la larme à l'œil et le sérieux politique à la bouche, pour raconter combien nous devons à ces vaillants petits gars une Europe apaisée et sûre (oui, bien sûr, 39-45, comme continuation ahurissante de la Der des Der... mais ce n'est qu'une péripétie. Il faut considérer l'Histoire sur un temps très large, être un tantinet braudelien...).
On passera sous silence le cynisme des politiques et l'incompétence militaire. On taira surtout que 14-18 était l'œuvre nécessaire pour changer de vitesse, détruire l'ancienne Europe (et la première victime territoriale fut l'Autriche-Hongrie), promouvoir un discours d'union qui nécessiterait une deuxième couche (et quelques camps de concentration ou d'extermination, dont on savait qu'ils existaient, très tôt, mais que l'on ignora, en leur temps, pour mieux les utiliser, après, dans une logique terrible de soumission des populations (1)), faciliter le démembrement de l'esprit national (en incitant soit au pacifisme ambigu des écolos des années 70 et au mondialisme libertaire, soit au nationalisme exacerbé sur lequel on pouvait jeter le discrédit).
On taira que 14-18 fut une opération de terreur, pour ceux du front et pour ceux qui virent revenir ceux du front.
On rendra des hommages comme on sait désormais le faire (l'hommage est devenu dans notre aire pseudo démocratique un exercice de rhétorique, un peu comme la dissertation de Science-Po ou le discours d'accueil à l'Académie : l'articulation plutôt que le fond. Surtout pas de fond...) : en oubliant ou en biaisant le passé. On rendra hommage non pas pour revenir sur le passé mais pour dire merci au présent, et donc neutraliser la violence du présent (car, enfin, soyez raisonnables, que diable : vous n'êtes pas sous les bombes...). On rendra hommage en tuant une deuxième fois, comme on le fait chaque 11 novembre, ceux qui n'avaient rien demandé.
Sur ces dégoulinantes démonstrations de l'année, il n'y aura rien à dire. La puanteur récupératrice ne mérite pas de mots. Nous nous contenterons, dans les trois prochaines publications de Off-Shore, de laisser la place à une voix autrement plus conséquente que la nôtre, substituant à l'écœurement présent la lucidité passé. Entendre Bernanos et Les Enfants humiliés, n'est-ce pas une manière simple, classique de remettre certains à leur (médiocre) place...
Photo : Don McCullin
(1)Ce qui fait que les plus antisémites se trouvent dans le camp de ceux qui instrumentalisèrent la Shoah, qui l'instrumentalisent encore, l'instrumentalisant si bien que les bonnes âmes, contrites, s'indignent -c'est de mode - sans se poser la question simple : à qui profite le crime ? Au regard de ces fallacieux, les éructations prétendument humoristiques de certains sont relatives. Obscènes mais relatives...