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  • Sine die

    Plus envie d'alimenter Off-Shore. Pour longtemps ou pas, définitivement ou pas, je n'en sais rien...

    Pour le moment, c'est off...

     

    Et donc un morceau de circonstance, le magnifique Let down de Radiohead

     


     

  • Pour le meilleur et pour le pire

     

     

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    Tu crois, mais ce n'est pas vraiment croire, que de croire au destin à travers ceux que tu rencontres ; ce n'est qu'une construction, le regard que tu portes sur un long cheminement et tu penses : il devait en être ainsi. Mais pour dire cela, tu as abjuré tout ce qui fut le travail de chaque instant, de cette écoute et de ce temps qui t'ont, lentement, rempli de cet être, de ces êtres dont tu croyais qu'ils t'étaient destiné, alors qu'il n'en est rien. Le hasard...

    Tu n'es pas un héros ; tu n'es pas ce Grec antique à qui des aventures mémorables étaient promises. Tu n'es rien, et ce que tu deviens, c'est à travers les fils inconnaissables de ces inconnus qui peu à peu font ton histoire. 

    Tu crois que tu as choisi de vivre. Belle histoire. Et tu oublies souvent de remercier ceux qui t'abrasent, pour le meilleur et pour le pire...

     

     

    Photo : Michael Ackerman

  • San Remo

    La pluie redoubla au passage de la frontière. Les essuie-glace ne fournissaient pas. Le vent, de la mer, ébranlait la carcasse de la Twingo. Nadège lui demandait d'être prudent.

    Entrant dans San Remo, il se gara à moitié sur un passage piétons, pour savoir ce qu'ils feraient. Il avait rêvé jusqu'à la veille de Marie Alexandrovna, des villégiatures Liberty et d'une déambulation gracieuse jusqu'au casino où, peut-être, ils auraient sacrifié quelques euros en fredonnant un air d'Adriano Celentano.

    Mais de ce programme il ne restait rien qu'un horizon de buée aux vitres, sur lesquelles, comme des enfants, ils dessinaient des formes inconnues, avant que la ventilation n'efface tout.

    -On s'en retourne ?

    -Tu veux rentrer ? On n'attend pas un peu ?

    Commença alors l'errance automobile dans la ville, que la rectification moderne avait enlaidie. ils avaient espéré Pise, Lucques ou Sienne ; ils héritaient Viareggio, Rappalo ou Rimini. L'obscurité nuageuse ne faisait qu'accroître la monstruosité crasseuse du décor. Ils prirent la via Roma où Merckx en son temps gagna sept fois la Primavera.

    Quelques menus bijoux du passé, çà et là.

    La pluie cessa presque et Nadège voulut marcher ; mais le répit fut de courte durée. Ils trouvèrent refuge dans le bar élégant et panoramique d'un grand hôtel.

    Ils prirent la table la plus proche de la baie vitrée. Quelques clients riches finissaient leur petit-déjeuner.

    -Déçu ?

    -On ne sait pas ce qu'il faut vouloir. Une ville-musée comme Florence...

    -Je déteste.

    -Ou celle qui...

    Son téléphone venait de sonner et tout de suite elle vit que c'était Nicolas.

    -Claire vient d'accoucher !

    -C'était prévu pour le mois prochain.

    -Une fille ! Elle est en avance. Cyrielle

    -Il ne dit rien d'autre.

    -C'est juste un SMS. Elle est née à 4h28.

    Les larmes lui montèrent aux yeux. Sa jumelle était mère. Eux étaient ensemble depuis trois . Ils n'abordaient jamais ce sujet.

    Elle envoya un message de félicitation. Il doubla la commande et demanda en plus une sfolliata au chocolat. La pluie tombait drue et bientôt il n'y eut plus qu'eux dans la salle. on se serait cru en pleine nuit. Les phares des voitures faisaient ballet. Il sortit son Nikon ; elle multiplia les textos et lui les prises volontairement sous-exposées d'une ville qui n'avait plus de nom.

    Ils regagnèrent la voiture en silence.

    Ainsi San Remo survivrait-elle sous le signe double d'une tasse Wedgwood à la rosace verte et d'un cœur couronnant, de manière classique et dérisoire, la mousse d'un cappuccino ; sous le signe aussi d'une rupture, quand il leur sembla clair qu'ils n'espéraient pas l'un et l'autre les mêmes choses de la vie à venir.

  • À tombeau ouvert

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    Il n'y a âme qui vive et comme le personnage de Joseph Roth à la grille interdite de la crypte des capucins, sentir la solitude la plus folle et la plus vaine, celle-là même que l'on noie, belle suspension, en Spritz renouvelés...

    Sant'Agnese s'éloigne et nous nous fourvoyons heureusement dans les venelles.

    Le ciel est chargé de nuages, mais nous éprouvons une joie incertaine de n'y comprendre rien ; joie du verre à moitié plein, dont l'ardeur orangé semble triompher des intentions plus froides du moment.

    Ce n'est pas un rêve mais nous avons l'inspiration suffisamment condensée pour trouver de quoi faire une belle légende à la dernière photo prise, avant qu'il ne pleuve et que nous n'allions nous coucher, enfin...

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Édouard Boubat, l'étendue du désir

    Est-ce l'association rebattue de la mort et du sexe qui a fait ressurgir, après les quelques lignes sur Mapplethorpe le cliché qui suit, daté de 1950, dont Edouard Boubat est l'auteur ?

     

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    Mais la manière dont je la regarde (précisons ici : la photographie, pas la jeune femme. Pas encore) ne touche pas vraiment à cette question, parce que je ne vois pas, je ne sens pas cette puissance morbide en mouvement dans ce noir et blanc. Bien au contraire : il y a une vitalité et une fluidité qui en sont l'essence, et c'est donc en me délestant de cette pensée initiale de la mort qui organisait l'autoportrait de Mapplethorpe que je me fonds dans l'univers de Boubat. 

    En fait, il s'agit surtout de comprendre la singularité prenante de cette photographie, à mes yeux la quintessence du désir photographié, quand l'époque est à la démultiplication des corps nus, si l'on s'en tient au seul ordre de l'image, il n'est guère possible de comptabiliser nos rencontres avec la nudité : clichés de mode, publicités, magazines féminins et pour hommes, porno sous toutes ses formes : revues, films, internet, pro ou amateur... Nous n'en avons jamais fini. Des culs, des seins, des sexes, féminité et virilité, selon les envies et selon des modalités très différentes : du flou lointain des paparazzi au porno chic de Richardson en passant par le glamour papier glacé de Vogue, le vaporeux de David Hamilton ou l'érotisme à corde raide d'Araki. Tout est possible et autant le dire : il y a rarement en la matière des résultats qui plaisent et émeuvent. C'est l'excitation (et la frustration) qui domine. Le thème semble épuisé.

    En découvrant cette photo de Boubat, l'histoire remonte à cinq ou six ans, j'ai vu immédiatement le sommet indépassable (et depuis lors, toujours indépassé, alors même que j'ai cherché quelque chose qui s'en approchait, ce qui fait que les nus regardés ne se comptent vraiment plus) d'un imaginaire physique, où se mélangent mystère, sensualité et une forme gracieuse de pudeur.

    Avant même de trouver un sens au cliché de l'artiste, il faut s'arrêter sur le premier tournant de l'histoire qui est, justement, la possibilité, pensée inconcevable, d'être étonné. La surprise est d'autant plus grande qu'elle se concentrait sur un sujet dont le traitement vulgaire, jusque dans ses prétendues recherches, fourvoie la photographie vers le convenu bas de gamme ou, pire encore : l'alibi esthétique ou, plutôt esthétisant (1). Et pour ce faire, la vulgarité et les effets faciles sont des critères majeurs : poses suggestives, frontalité du regard (2), le vaporeux, l'environnement chic, etc.

    Rien de tout ce n'apparaît dan le cliché de Boubat. Si l'on considère d'abord la qualité de l'exposition et de son traitement, nulle poussée dans les contrastes pour marquer le corps ou son environnement d'un sens supplémentaire, ce dont veut se charger trop souvent le travail d'esthétisation. La sobriété du spectre noir et blanc ne détourne pas l'attention : tel est le paradoxe de cette photo. En ne soulignant rien de précis par une empreinte technique bavarde, Boubat concentre le caractère fortuit de la prise. Sans doute cette œuvre procède-t-elle d'une longue élaboration ; du moins ce qu'on nous en donne en cèle-t-il la réalité. Ainsi pense-t-on au commun d'un petit matin, dans un été chaud, quand le linge même est une gêne. Tout est silencieux dans la pièce. Le lit est en désordre : reste d'amour ou simple négligence, au choix. Le photographe est en aplomb de la jeune femme, créant un effet singulier de distance. Alors que souvent l'objectif "mange" le sujet, comme la préfiguration du désir du spectateur, ici, il reste en deçà. La verticalité, dans son invraisemblance furtive ne laisse pas de place à la complaisance. La jeune femme est dans sa tranquillité abandonnée. Elle dort. Il ne peut en être autrement. Elle n'est pas là pour nous, et c'est dans cet oubli de soi et de l'autre que le désir particulier surgit (3). La suspension du temps et du mouvement engagent l'œil à la contemplation. 

    Une masse noire capte le regard : la chevelure, qui se répand, à la fois abondante et désordonnée. Elle est la marque de la sensualité et le masque absolue de l'identité. Le spectateur contemple une femme sans visage, laquelle substitue à la reconnaissance (qui elle est, à qui nous pourrions donner un nom) un mystère qui lui fournit justement une réalité plus grande. Le dépeigné est de fait le reste d'une histoire passée. C'est la trace fantasmée du plaisir, dans un écho baudelairien. Un classique en somme. Mais que serait ce signe de la féminité, ce bonheur profus s'il n'y avait ce geste impossible : le bras replié dans une angulation impossible et qui, tout en appartenant à la jeune femme, vient se poser sur le cou, ainsi que le ferait un amant attentif. Là est une des richesses magiques du cliché. Cette main, avec les doigts délicatement écartés, barre la chevelure, la traverse, et raconte une caresse sans la montrer et cette gestuelle sèche, presque acrobatique, désigne la continuité du corps par le dos, légèrement alangui. Le bras, le dos, la raie des fesses, comme une logique diagonale remplissant la photo, chargeant la surface à peine marquée du dos, justement, d'une sensualité exquise (4).

    Puis, la rondeur des fesses, qui n'aurait rien d'original, s'il n'y avait cette ombre double pour en sublimer la sensualité. C'est la chute des reins et la cambrure légèrement foncée qui rappelle, dans sa beauté désirable, un tableau de Bonnard intitulé Le nu à contre-jour, en date de 1908. C'est surtout le noir sublime et rêvé cachant par la blancheur du drap la base de ces mêmes fesses. D'être ainsi en partie cachées (sans parler alors que les jambes n'existent pas), elles s'offrent davantage au regard. Leur suggestivité douce, comme si l'œil n'avait pas besoin d'une exhaustivité anatomique pour trouver son bonheur, est la magie même de ce cliché. Tout est dans la contradiction de cette image qui, dans la retenue de sa composition, produit une sensualité inaccessible pour celles qui ne nous privent de rien. Mutatis mutandis, on trouvera une idée semblable dans le souvenir que nous laissent ces actrices des années 50 ou 60, dont nous n'avons jamais vu que les épaules nues, quand nous oublions sur le champ les ridicules nudités contemporaines.

    D'une certaine manière, la beauté de cette photo ne tient pas à son réalisme (il ne s'agit pas de photo-journalisme. Il n'est pas question de rendre compte d'un événement) mais à sa vraisemblance, à cette intrusion d'un possible et même d'un déjà-vu dont l'esprit veut garder la mémoire ou le secret. La beauté magique de cette jeune femme excède de très loin ses formes douces et généreuses. C'est dans son endormissement qu'elle révèle sa vitalité, et par sa vitalité alanguie sa physicité. Ce point est le sujet essentiel de la photo et son encadrement double : en haut les deux pans du mur et l'arête de leur "rencontre", en bas, l'obscurité qui efface le lit, n'en souligne que mieux la puissance. Cette beauté, quoique masquée et circonscrite, est pleine et entière.

    Le désir le plus profond contient en lui une part de silence et d'inachèvement. Le cliché de Boubat cerne magnifiquement ce paradoxe. (s')offrir est peu de chose s'il s'agit d'éviter à l'autre (ici le spectateur) de faire son chemin personnel vers l'objet de son désir. C'est ce qui manque trop souvent, aujourd'hui. Le photo de Boubat a plus d'un demi-siècle. Faut-il croire au hasard ? Ou bien le charme qui la constitue (5) tient-il aussi de ce qu'elle nous raconte un temps lointain, où le corps pouvait encore se voir à la dérobée ? Ce n'est pas, de toute manière, dans ce qui circule dans l'époque contemporaine que l'on peut découvrir un bonheur aussi fort. La libido  y trouve peut-être son compte mais le résultat est maigre. Cette photo est le point d'ancrage de cette tentation du nu. Pour l'heure, rien au dessus.

     

    (1) Si l'on veut bien rire des argumentaires sirupeux des photographes de "filles" cachant mal leur intérêt très "juvénile", ce que, dans le domaine littéraire, Gabriel Matzneff illustre parfaitement.

    (2) Bien loin de l'absorbement cher à Michael Fried. Mais il est notable que longtemps la frontalité fut bannie des publicités de lingerie. Il ne fallait pas "exciter" (ou provoquer ?) le spectateur, notamment sur des panneaux d'Abribus. Le "Regardez-moi dans les yeux" d'Eva Herzigová pour Wonderbra marqua une rupture.

    (3)Il suffit d'un rien, évidemment, pour que le même principe produise un effet différent. Boubat, dans ces années-là, prend le cliché qui suit.

     

    boubat, nu à la plage 1950.png

     

    Grand ratage. Impossible d'y croire, c'est-à-dire d'être séduit, emmené ailleurs. Le cliché désigne de manière excessive ce qui est offert...

    (4)Et c'est très curieux de voir que ce dos qui n'est pas l'objet majeur du désir est plus impressionnant qu'un autre cliché de Boubat gâché par l'excès citatif : Ingres et Man Ray, alors même que le dos est le sujet central de la photographie.

     

    boubat nu de dos 1950.jpg

    (5)J'entends ici par constitution ce que l'on peut dire d'un corps dans toute sa pesanteur 

  • Les Années dorées

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    Tous les clignotants sont au vert (ou au rouge, peu importe) : c'est toujours ainsi que commence le désastre...

     

    Photo : Philippe Nauher