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  • Drapé de lin blanc et de vertu...

    Savoureux que de lire l'éditorial du Monde, en date du 30 juillet, où il est question du désastre libyen. Savoureux que ce constat apocalyptique et les raisonnements qui en découlent. Car, après avoir brossé un rapide panorama du désastre vient le temps de la réflexion (ou de ce qu'on voudrait faire passer comme tel), et sur ce point l'éditorialiste offre deux perles.

    Commençons par la première :

    "Impossible de ne pas poser la question de la pertinence de l’intervention des Etats-Unis, de la France et de la Grande-Bretagne à l’appui de la rébellion de 2011 – intervention que Le Monde a approuvée sans réserve à l’époque. Washington, Paris et Londres ont-ils eu raison de mener cette campagne de bombardements aériens qui a permis aux rebelles de l’emporter sur Kadhafi ?"

    Étrange rhétorique qui veut que l'on pose une question que certains, opposés à cette aventure libyenne et aux élucubrations de BHL et de son copain Sarkozy, avaient déjà posé dans les temps où ces deux-là se prenaient pour Tintin. Ce que le journaliste regarde avec gêne, d'aucuns s'en étaient déjà émus, ne voyant dans les printemps arabes que des nids à islamistes, d'Al Qaïda ou d'ailleurs. Ce n'était pas un simple désir de neutralité ou une forme de désintérêt, mais de la lucidité. Les torsions diplomatiques pour nous faire avaler des couleuvres ne suffisaient pas mais il était alors odieux de dire qu'on préférait Khadafi aux exaltés d'Allah, comme on préférait Ben Ali à Ennhadha et Moubarak aux frères musulmans. Ce n'était peut-être pas dans l'air du temps ni très droits-de-l'hommiste mais constatons qu'au moins, sur ce plan, les réfractaires n'ont pas à prendre l'air faussement sceptique du plumitif mondien...

    Certes, il y avait plus d'entrain à suivre le refus de Chirac à suivre Bush, et à applaudir la verve de Villepin, mais on en comprendra aisément le fond : se rallier au corrézien et au diplomate à la mèche prêtait moins à confusion que de se joindre à la voix de Rony Brauman ou à celles des dirigeants FN. On peut se lamenter : les mois qui ont suivi ont donné raison à ceux-ci, et ce serait grotesque de chercher de fausses explications ou de pratiquer l'art du détournement pour expliquer que leurs positions justes se fondaient sur de mauvaises raisons. Que les pisse-froid reprennent leur livre d'histoire, les festivités de 14-18 battent leur plein, ils pourront toujours méditer. La catastrophe de la Libye était courue d'avance mais Sarkozy et ses suiveurs (en particulier de gauche) se voyaient en sauveur du monde, sans même savoir vraiment ce qu'est le monde et ce que les peuples attendent (et qui les manipulent).

    Seconde perle :

     

    "Questions faciles à soulever a posteriori : la décision politique de l’intervention se prend parfois dans l’urgence, souvent pour des raisons humanitaires. Mais questions auxquelles, au regard du chaos qui emporte la Libye, il est difficile d’échapper aujourd'hui." 

    Il arrive que le réel finisse par toucher le plumitif mondien, que ses bavardages et ses positions de naguère se fracassent devant les morts, les exactions, les délires de ceux qu'il a aidé à armer. Mais il n'oublie jamais qu'il est de gauche (ou de centre droit, ce qui revient au même), et donc fondamentalement bon, sympathique, empathique, juste. Les questions (c'est-à-dire le signe de son échec analytique, de sa faillite intellectuelle et de sa bêtise politique) sont "faciles à soulever a posteriori". Il balaie à la vitesse de l'éclair la lucidité des autres, il met en perspective, selon la formule consacrée. Et comme il est l'architecte de l'univers intellectuel, qu'il se prend pour l'un de ces prétentieux obtus dont La Bruyère ou La Rochefoucauld ont su avec tant de finesse peindre la figure bouffie, il passe sur sa mésaventure (et donc sur sa culpabilité morale) pour nous servir une fois de plus l'excuse magistrale : le monde est bien difficile à comprendre et bien malin qui peut en déchiffrer le sens et en prévoir l'évolution. Une sorte de réflexion de comptoir ou de marché, au choix. Le propos n'est sans doute pas sans fondement, mais, dans ce cas, que le gratte-papier mondien la ferme (et si l'on pouvait rêver que ce soit définitivement... Seulement, nous sommes lucides, alors...), qu'il nous évite et ses manières de penseur creux, et ses illusoires retours sur soi pour se refaire une virginité.

     

  • A posteriori

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    Où que tu ailles, quoi que tu fasses, à prendre ou à laisser. Il n'y a ni partage de midi, ni crépuscule des dieux.

    Tu auras froid. C'est la règle ; et il te dit merci, malgré tout. C'est le jeu.

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Condamner (verbe)

    Un attentat vient d'avoir lieu. Les réactions fusent ; les uns et les autres, dans la sphère politique, condamnent, souvent avec la plus extrême fermeté, l'acte odieux.

    Une parole, plus ou moins outrancière, un jugement, plus ou moins polémique sont prononcés. L'indignation (mère contemporaine de tous les droits à parler pour ne rien dire...) se dresse et l'on condamne le propos.

    On aura entendu ce lamento cent fois et le troublant emploi du verbe condamner persiste. Troublant emploi, en effet, car vide de sens. On ne peut guère par exemple condamner un acte répréhensible puisque son caractère violent et illégitime le rend de facto condamnable. Quant à condamner des paroles, c'est corseter le droit dans une morale étroite la liberté d'expression. Ainsi une telle déclaration n'a-t-elle pas lieu d'être. Je peux m'affliger d'un attentat, le déplorer, le regretter, je peux être révolté par sa violence et sa barbarie, je ne peux pas le condamner, parce que cela signifierait qu'en d'autres circonstances je pourrais justement ne pas le condamner. C'est bien d'ailleurs ce qui se passe quand, en certains endroits de la planète (je pense au Proche-Orient), devant certains actes terroristes, tel ou tel état refuse de condamner l'action. 

    Mais, aujourd'hui, le politique se sent le devoir de condamner. Mais quoi, au juste ? puisqu'on savait qu'il ne pouvait approuver. Si l'usage de ce verbe avait une quelconque nécessité, celle-ci viendrait du fait qu'il prend ses distances avec quelqu'un dont on pourrait penser qu'il le soutient. Pour être clair : si Valls pouvait (ou se devait) de condamner les agissements de Cahuzac, pour éviter le risque d'être confondu avec lui, il n'était pas nécessaire que Copé use du même verbe. Et on tiendra le même raisonnement, mais inversé, dans des acteurs en cause, pour l'affaire Bygmalion.

    Le verbe condamner est donc employé à tort et à travers. Il est une des plus belles impropriétés de la novlangue politique. La raison en est assez simple. Elle répond à ce besoin de plus en plus net du discours (faussement) efficace et compassionnel des temps médiatiques. La condamnation qui, logiquement, est le fait de la justice, trouve son versant politique moralisateur. C'est un point crucial. La politique sous le vernis de la morale et la théâtralisation humaniste est devenue la règle alors qu'elle se vide de son contenu. Restent donc les signes vertueux sous projecteurs médiatiques. Il ne faut jamais manquer une occasion de montrer la fermeté morale en paroles. Dès lors, on condamne à tout va. On condamne l'adversaire, ce qui est absurde ; on condamne un attentat, ce qui est dérisoire ; on condamne des propos, ce qui est risible. À défaut d'avoir toujours prise sur le monde, le politique joue les censeurs faussement rigoureux et les parangons de vertu. Condamnés qu'ils sont à ne plus rien faire qu'à suivre les ordres du pouvoir caché de la finance ultra-libérale, les politiques se doivent de paraître présents, puisqu'ils ne sont plus efficaces. À ce jeu-là, les considérations, même les plus vaines, quand elles engagent l'émotion et le registre compassionnel, sont toujours utiles, parce qu'elles permettent d'occuper le terrain et de réconcilier (du moins le fait-on croire) le politique et l'humain.

    Condamner est un des verbes contemporains de l'ectoplasmie politique. Il est d'autant plus nécessaire que celle-ci couvre, quand besoin est, bien des horreurs du monde. Condamner, faute de mieux. 

    Encore quelques efforts et il ne tardera pas que l'une de ces belles âmes condamne les orages sur les vignes de Gevrey-Chambertin, les requins dans l'Océan Indien ou la prochaine irruption de la Soufrière...