Ravel avait le goût de l'enfance. Sa musique a la générosité d'une promenade fureteuse. Ma Mère L'Oye a été composé pour deux enfants mais l'éternité en reçoit l'héritage ; c'est une magie qui touche nos vies adultes, précieusement. Et quand Martha Argerich et Lang Lang sont les semeurs de notes, le bonheur est parfait.
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Simple
Ce qui lui ferait peur n'est pas de perdre la main, mais de ne plus sentir la tienne, croisant la sienne, comme une tresse de chaque jour à vivre.
Il y a l'âme de ces deux mains au-dessus de la porte que l'on ferme pour se prévaloir d'un droit au retranchement,
retranchement des grands froids et des lourds soleils,
et il ne s'en retourne jamais avec autant de ferveur que sachant ta main déjà posée sur la poignée de cette porte alors qu'il vient de caresser le lion du heurtoir...
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Un certain ordre de l'histoire
Un jour, tu saisis à quel point le renoncement a touché le monde et tes souvenirs, quand tu apprends que les nouvelles versions du Club des Cinq n'usent plus du passé simple mais du présent. Ce n'est rien, à l'échelle des malheurs du monde et de la rapidité de sa désagrégation. Rien. D'ailleurs, toi-même, quand tu écrivais encore des lettres, tu n'étais pas comme madame de Sévigné qui maniait selon l'éloignement de l'anecdote le présent ou le passé simple. Certes. Mais tu te souviens du ce qu'écrivait Harald Weinrich dans Le Temps, qui distinguait le présent figurant le commentaire et le passé (c'est-à-dire le fameux aoriste de Benvéniste, ou peu s'en faut) singularisant le récit.
Tel est bien le gouffre de la modernité. Il ne s'agit pas de simplifier la grammaire, et de plaire à des lecteurs de plus en plus éloignés de la langue (car, lorsqu'on est à ce point loin de sa langue, il est peu probable qu'on ait quelque passion pour le récit...). L'affaire est plus grave, dans le fond. L'effacement du passé simple est le signe de la linéarité des actions, de leur équivalence neutralisée, et par conséquent, de l'équanimité des personnages et de leurs relations. Sans passé simple, plus d'imparfait. Plus de nuances, plus d'effets. Moins encore de rebondissements. La tension est morte.
L'éviction du passé simple n'est pas seulement un jeu de simplification (comme il s'agirait en matière administrative). Le plus facile n'est pas le mieux en ce domaine. Il s'agit de broyer le passé, comme terreau de l'histoire. Coupé de l'énonciation, le passé simple était paradoxalement le sésame d'un autre monde, ce qui n'est pas le cas du présent. Au fond, rien d'étonnant, quand on considère les jeux modernes, étalonnés à l'indice de leur perfection technique et de leurs effets de réalisme. Le récit ne peut plus s'inscrire dans le temps, parce que l'effet de l'histoire doit être immédiat. Il n'est plus utile d'entrer doucement dans un univers. Il faut y être illico. La mise en place est une gaspillage. Les jeux vidéo le prouvent : l'important tient dans le saisissement, dans la captation instantané.
Le passé simple est une porte par laquelle j'entre, en toute conscience, dans un univers avec lequel j'aurai à me battre, qui fera jeu avec moi, assis, conscient, sérieux. C'est l'élément de la confrontation entre le réel et la fiction, avec, toujours, ce degré nécessaire pour que je me fonde dans la seconde sans oublier la première. Le passé simple, c'est l'aspérité du réel et l'articulation de l'imaginaire. Sans lui, je suis dans l'indifférenciation, dans l'approximatif.
La fin du passé simple, c'est le règne de l'uniformité et du lisse. Le présent, qui le supplante, est le dieu de notre époque. Il impose l'immédiat et la proximité et, par un effet pervers, il est justement ce qui neutralise la fiction, ce qui la vide de son contenu.
Une littérature au présent est inutile. Mais n'est-ce pas là le rêve du marché-roi...