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off-shore - Page 11

  • En face

    La lucidité induit, par l'étymologie, que la lumière soit faite, que les choses soient tirées au clair. Et nous croyons fermement, semble-t-il, à cette fable. Sans doute est-ce pour cette raison que s'est, en littérature, épanoui le roman policier : la vertu salvatrice de l'enquête, l'apaisement dans la résolution du crime. Soit. Mais on peut aussi envisager cette prolifération, que Borges avait prédite, comme un symptôme. Rien ne résisterait à l'investigation et au regard, qui plus est lorsque à celui-ci suppléent les grandeurs de la science et de la technique. Si, ainsi que le disait Bridget Riley,  "ce sur quoi on se concentre n'est pas ce que l'on voit", il faut en déduire que le résultat n'est qu'un leurre. Le visible est une illusion et la solution un divertissement. 

    En ce sens, la lucidité inquisitrice de cette figure magique : le policier, le détective, l'enquêteur, quel que soit le nom qu'on lui donne, compte-t-elle moins que l'opération construite autour de sa personne et qui réduit le lecteur ou le spectateur à une sorte de pensée captive. Pour ce dernier, il ne s'agit pas de comprendre le fond des choses et des êtres, mais d'être capable de résoudre un problème, d'avoir la tournure d'esprit  propre à trouver la solution de l'énigme. La vie n'est ainsi plus qu'une équation, que le paramétrage efficace d'un décryptage du monde sous l'angle de la faute, de l'erreur et de la culpabilité.

    Or, on pourra trouver étrange que ce penchant marqué de l'époque (il suffit de voir ce que la télévision et le cinéma fournissent comme séries ou films policiers. De même pour les livres, avec la dernière mode du roman scandinave...) s'épanouisse dans un univers qui veut par ailleurs s'émanciper de toutes les contraintes possibles, à commencer par la morale et le religieux. On pourrait dire qu'à mesure que les règles de la vie réelle contourne les contraintes touchant aux libertés individuelles, à mesure que la liberté de faire comme bon il semblera à chacun, et que l'on pourchasse les moralistes et les sceptiques d'une sociabilité égocentrique (le fameux narcissisme démonté par Christopher Lasch, par exemple), la société contrebalance cette évolution par une sorte de chasse aux coupables, qui fait de nous, devant les récits, les fictions, les images, des apprentis détectives avides de trouver le criminel, parce qu'il y a un coupable, quelque part, toujours un coupable. Et ce coupable ne peut pas être nous...

  • Romance

    Comme disait la parole commune : va voir si j'y suis. Mais tu n'y étais pas. Ni toi, ni personne, une personne qui aurait pu compenser le fait que tu n'y étais pas, la surprise pour racheter la déception. Alors on prétend que ce n'était pas plus mal. Et même, d'une certaine manière,rassurant, parce qu'ainsi je pouvais envisager l'avenir avec le plus de liberté possible. J'aurais aimé, néanmoins, il ne faut pas se mentir, que tu y fusses. Non que je sois avare de mes pas et de mes heures. J'ai appris à multiplier les premiers et à perdre les secondes. Il n'y a jamais d'urgence, ou si peu. Mais tu n'y étais pas. Le redire, le récrire est une manière d'avouer que le mal était fait, et sans rémission. Telle est la vérité : le chemin que tu as parcouru pour te retrouver dans le dénuement, même bref, même épisodique, n'est jamais payé de retour.

  • Bill Frisell, tendu

    Bill Frisell est un guitariste exceptionnel. Pour preuve, le titre qui suit, de l'album éponyme, Before we were born

     


     

  • Société Anonyme

    Tu regardes la liste de ceux qui sont sur ta newsletter. Ce ne sont pas des noms mais des adresses mail. Plus ou moins énigmatiques. Tu te demandes, sans que ce soit une vraie question : rien qui t'occupe l'esprit plus que le temps qu'il ne faut pour l'écrire, ce qui leur donne envie de lire ce que tu envoies. Sans doute est-ce là une manière symptomatique de créer du lien, une manière toute contemporaine de se promener dans des univers, ou de satisfaire une curiosité qui n'a rien de malsaine, mais qui donne la certitude qu'on pourrait à tout moment disparaître... C'est l'être-là signifié in absentia, à moins que ce ne soit une forme surprenante de cette paronymie joycienne : a letter, a litter. Une lettre, un déchet...

  • Who's next ?

    Tu t'es précipité vers la bouche d'égout mais le temps, la clé des songes et les cendres de ta dernière cigarette avaient déjà filé vers l'inconnu. C'était sans doute un temps déraisonnable, comme l'écrivait l'autre guignol. N'empêche qu'une telle aventure ne pouvait pas ne pas laisser de traces. Tu crois que tu vas rafler la mise, avant de t'apercevoir combien tu es naïf. Tu t'es précipité : pas la peine d'ajouter une précision, un complément, une circonstance, ce qui aurait des allures d'excuse. La compromission commence à l'heure même où tu fais un geste pour sauver quelque chose.

  • Conjonctif

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    Jacques Villeglé, Bleu O Noir (1955)

    Tout ce qu'on ne peut pas arracher, restant à l'insoumission face à l'adversité du temps, d'une fragilité tout épithéliale sans doute mais précieuse. C'est très rigoureusement l'impartition de la mémoire, qui se déploie selon des trajectoires rappelant celles du bateau amené à tirer des bords pour remonter contre le vent.

  • Cortège

     

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    Paul Cézanne, Nature morte aux pommes et aux oranges (1898)

    Au soir du 24 décembre, elle avait le droit à une orange. Ce n'est pas du misérabilisme, mais la vérité. La vie. Et dans la coupe de fruits, sur la table, devant toi, les pommes et les oranges s'accumulent.
    Nous sommes pourtant loin de Noël. Dérisoire.
    Ayant désemparé l'histoire des autres, de nos précédents, nous nourrissons le vide de fruits anachroniques et sans goût...

     

     

  • Trafic

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    Une chose.

    Parmi d'autres choses.
    Un peu moins coloré que les choses qui l'environnent,
    parce qu'il n'est pas à vendre,
    ou qu'il s'arrange pour croire qu'il ne l'est pas.
    ou plus.
    Une chose qui s'assoit souvent
    sur les principes,
    par lâcheté, par lassitude,
    avant de voyager, de toutes les façons.
    Une chose, un matricule, un code, un identifiant,
    libre de ne pas faire de bruit,
    dans la salle d'attente d'un laboratoire
    d'analyse, où il se demande si
    le multicolore des chaises
    relève de la fantaisie médicale ou d'une stratégie
    dérisoire
    pour détendre les anxieux qui finiront,
    malgré tout,
    par avoir raison, un jour.
    La chose reste en suspens. Toutes les choses

     

    Photo : Philippe Nauher

  • noir de monde...

    Au besoin que l'on a d'écrire, il est possible, dans une formule à quatre mots (pour faire comme Beckett), de répondre : «impossible de faire autrement». Des mots, tout cela, de la formule. Ni une justification esthétique, ni un credo, moins encore une posture romantique. Le fond, c'est une question essentielle que l'on a fini par ne plus se poser, elle, étant là, comme une ombre que l'on promène avec soi le long du chemin. Une question qui contient, entre autres, pulvérisée qu'elle est en mille étais invisibles, la somme des rencontres faites, réelles, fictives, de longue durée, évanescentes, improbables, fantasmées, perdues.

     

    Tu crois que tu vas y arriver ? Je ne cherche pas à y arriver.

     

    Tu cherches, tu compenses, tu détournes, tu coutures, rayes et ressuscites... Admettons qu'on s'en approche. Ils sont cela, un peu, et plus, bien sûr, sans qu'on le sache.

     

    Préserver à perte, conserver la perte.

     

    Raconter des histoires, ou des lambeaux d'histoires, c'est n'en jamais revenir tout à fait, d'elles, et de ce qui les a suscitées. Tu marches dans la ville, ou ailleurs, n'importe où. Tu leur parles secrètement, à  celles et ceux qui, toujours, sont tes compagnons. Pour emprunter à une chanson de Bashung (mais oui, parfois, bizarrement...) je suis noir de monde.