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jack lang

  • Des problèmes de la mixité sociale

     

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    La place des Vosges, Paris, IVe arrondissement

    Il y a quelques années une bonne dame patronnesse, que j'eus l'heur de côtoyer, encartée au PC, parce qu'il fallait lutter, n'est-ce pas, c'est important, la lutte, tu comprends ?, c'est important, se plaignit avec fracas, et publiquement (c'est là le sel de l'affaire), que le candidat Sarkozy se fût permis d'installer son quartier général de campagne (pour la région, s'entend : nous ne sommes pas à Paris) au bas de son immeuble ou, pour être plus précis, au numéro juste à côté. Elle vitupérait devant le tracas que lui procurait cette sinistre cohabitation, obligée qu'elle était de croiser dans la rue la gente UMP dans toute sa splendeur (c'était en 2007 et les vents étaient alors favorables. On pavoisait à droite), de sentir le boulet obscur des forces du mal à chaque instant, de saluer (car elle était policée) l'arrogance amidonnée de ces parvenus. Oui, il n'était pas facile pour elle de partager sa rue avec des riches, oubliant pourtant (mais une mienne connaissance à l'esprit acidulé ne manqua pas de le lui rappeler avec vigueur) que si l'abominable saltimbanque de la finance avait pris ses quartiers là, c'était parce qu'il y était comme chez lui, et qu'elle-même, toute lutte des classes mise au placard, s'épanouissait dans un endroit charmant, étant même propriétaire, loin de ces zones périphériques dont elle parlait avec commisération sans jamais y avoir mis les pieds. Mais sans doute était-ce une forme d'entrisme géographique afin que le quartier tombât, après un grignotage savant, allant d'un pâté de maisons à un autre, dans l'escarcelle des forces révolutionnaires...

    Que le lecteur ne voit dans ce petit apologue aucune ironie grinçante, ni mauvais esprit, mais un souci de prendre en compte toutes les misères de notre société, car il est dur, sachons-le, d'être l'une des deux seules voix communistes (la seconde était celle de son compagnon, précisons-le) dans le bureau de vote dont dépend son domicile... Il est des douleurs qu'il faut savoir relayer...

    Plus sérieusement : je crois qu'ils sont fort nombreux les hypocrites du social à distance, de la mixité lointaine, prêts à juger avec sévérité ceux qui osent dire sans détour que non, ils ne voudraient pas vivre n'importe où et qu'à choisir, entre le XVe arrondissement de Paris et Garges-lès-Gonesse, ils préfèrent le XVe, qu'entre Faches-Thumesnil et le Vieux-Lille, ils choisiront, comme Pierre Mauroy, le Vieux-Lille, qu'entre la banlieue sympa, jeune et tellement anti-sarkozyste et la place des Vosges un peu guindé, ils feront comme Jack Lang, ils se résoudront à s'ennuyer dans le IVe arrondissement parisien...

                                               Photo : X

     

     

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  • En bulles ou en chanson

    Peut-on écrire, sans passer pour un réactionnaire de la pire espèce, que la culture, dans son sens le plus magique, le plus restrictif aussi (loin des visions élargies qui l'identifie au «social», ce qui est, en soi, une aporie), obéit à une hiérarchisation qui peut fluctuer, évoluer certes mais, faisant profit de l'inscription des œuvres dans le temps, se doit de marquer une volonté d'élévation, un souci d'élévation ?

    On savait, au moins depuis les travaux de l'École de Francfort, que la valorisation du marché, les principes de l'idéologie libérale, les leurres d'un processus démocratique reconverti en liberté du consommateur n'allaient pas vraiment avec les possibilités d'une continuité culturelle. Tout au plus fallait-il imaginer que la modernité du XXe siècle, dans son triomphe économique apparent, conèderait à l'art (pour simplifier) une porte de sortie : son adaptation aux règles d'un rapport marchand, ce que Bourdieu a éclairé par son concept de champ, ce que d'innombrables « artistes » ont illustré en se faisant plus libéraux, plus monétaires que le pire requin de la finance (oui, car ce pire-là a au moins pour lui d'être clair sur ses objectifs) : de Picasso à Ben, de Wahrol à Buren...

    Cette dernière observation pourrait d'ailleur être en soi un paramètre désamorçant l'agacement sensible dans les lignes à venir. Comment la culture saurait-elle surnager au désastre ambiant du logos, quand ses attendus premiers défenseurs se sont transformés en tartufe du geste et de la pensée ?

    Pouvions-nous alors compter sur l'État pour défendre la bannière ardente d'un passé fondant la si fameuse identité dont on fait aujourd'hui un pseudo-argument politique ? On aurait pu y croire jusque dans la création d'un ministère de la culture sous la bienveillance malrucienne. Ce fut une vaste blague. Il suffit de lire L'État culturel de Marc Fumaroli pour mesurer l'étendue de la catastrophe... Quant à l'école... Justement l'école... Ne parlons pas ici de l'entreprise de démolition accélérée qui est en cours. Remarquons simplement l'hypocrisie gâteuse d'une volonté de faire peuple quand il s'agit au contraire de renvoyer un maximum d'individus aux chaînes de leur ignorance (Et de relire le Finkielkraut de La Défaite de la pensée...). Cette hypocrisie trouve une expression tout à fait symbolique dans l'évolution de ces trente dernières années quant à l'appellation donnée aux établissements scolaires. Plutôt que de perpétuer une hiérarchie intellectuelle rendant hommage aux grands hommes, l'État, sous couvert d'un élan démocratique vers le plus connu, le plus populaire, s'est empressé d'essaimer sur le territoire des collèges Jacques-Brel, Barbara-Hendricks, Michel-Colucci, des lycées Georges-Brassens ou Robert-Doisneau... Faut-il y voir une concession à la reconnaissance moderne modalisée par une trajectoire médiatique plus ou moins prononcée ? Une redéfinition de la catégorisation des arts ? Auquel cas force est de constater que le chanteur (aussi brillant soit-il), le comique et l'artiste lyrique (mais pas la meilleure, celle qui passe le mieux...) sont de nos jours l'égal des poètes, des peintres, des hommes de science et des musiciens classiques. Derrière cette volonté de donner un nom que tout le monde (ou presque) connaît (mais à quoi répond ce «tout le monde» ?), faut-il y voir un moyen de faire du nom un produit d'appel, une incitation à la scolarité, un dernier avatar d'un discours désormais rôdé construit autour du principe suivant : comment intéresser le chaland ? comment rendre la culture -et l'école qui est censée être un lieu majeur de sa découverte- moins chiantes ? L'État et ses services ont atteint parfois un degré d'hypocrisie et de bêtise qui vous font rêver. Ainsi ai-je découvert cet été que le Lycée français de Varsovie, l'une des vitrines francophones de l'est européen s'appelle Lycée René-Goscinny ! Tout cela sous prétexte que le père d'Astérix avait des origines polonaises. Magnifique ! Il est vrai que Marie Curie ou Georges Perec sont beaucoup moins fun. Imaginons qu'à travers le scénariste d'Astérix, c'est l'idée de résistance qui affleure. Récupérons l'image politique autant qu'il est possible...

    Les esprits ultra-modernes expliqueront que c'est une reconnaissance d'un art qui a aujourd'hui ses lettres de noblesse, ses défenseurs jusque dans les cabinets ministériels. Je n'en doute pas. Si Jack Lang a réussi une chose dans sa carrière, c'est d'avoir contraint (encore que...) ses amis et ses pseudo-ennemis politiques à la démagogie jeuniste et au brouillage des codes culturels. Un vrai rebelle de l'ordre bourgeois...

    Cette entreprise de démythification de la culture est évidemment une mystification, le symptôme d'une renoncement à un certain classicisme au nom d'un rééquilibrage démocratique des sources culturelles. Cette histoire de noms d'établissements scolaires ne mérite peut-être pas qu'on cherche noise à une institution qu'on espérait être le gardien du patrimoine. Est-il si grave d'aller puiser son inspiration au Festival d'Angoulême plutôt que dans les rayonnages de la Pléiade ? Mais vous comprenez que la réponse est déjà dans la question...

    En attendant, le Lycée Jean-Monnet de Bruxelles peut angoisser car Johnny Halliday n'est pas éternel et notre rocker national a des racines belges...

     

     

     

  • Culture sportive

    Se félicitant de l'attribution du Championnat d'Europe de football, Martine Aubry a déclaré qu'elle «cro(yait) dans la culture et le sport». Voilà qui méritait d'être précisé. On peut néanmoins s'interroger sur ce rapprochement, surtout lorsqu'on sait ce qu'est devenu le sport dans la société contemporaine. Mais peut-être n'est-ce pas la meilleure approche pour comprendre le sens de cette formule. Le point aveugle est sans doute dans ce qu'une première secrétaire du Parti socialiste entend par le mot culture. Il n'est pas certain que nous y metttions ni les mêmes références, ni les mêmes enjeux. Il suffit de penser à ce que furent les actions culturelles de la Gauche depuis les années 80. Abandonnant toute prétention à l'élévation et à l'émancipation, celle-ci, avec en tête de gondole un Jack Lang en Thomas Diafoirus de l'intelligence, s'en est tenu à une démagogie qui faisait d'un lecteur de classiques un affreux réactionnaire, une sorte d'anti-moderne ne comprenant rien à son époque. Il fallait aimer l'art vivant, le théâtre de rue, le tag, le rap, le hip-hop... À ce train-là, nous glissâmes vers un relativisme dont nous payons aujourd'hui la facture, et doublement.

    Cette concession à une pseudo culture populaire, à ce folklorisme du pauvre n'a pas empêché le délitement de la société française, à la montée progressive de la violence et du désarroi d'une partie de plus en plus importante de la population. En donnant l'illusion à la banlieue qu'elle avait voix au chapitre à travers un mode d'expression qui ne l'émancipait pas mais la confondait à son état de dépendance, en laissant au petit-bourgeois, descendant en droite ligne de l'hypocrisie soixante-huitarde, le droit d'avancer sa différence comme signe de reniement du passé, de l'héritage culturel, elle a encouragé l'isolement de chacun. Isolement face à l'autre, sur le mode synchronique, isolement face à ce qui a précédé, sur le mode diachronique. L'émerveillement ministériel devant les concerts rap ou les rassemblements techno est, au-delà de l'hypocrisie qui le sous-tend (parce qu'il ne fait pas de doute que le capital culturel que transmettent les élites de gauche est tout autre), le signe du plus haut mépris. Mais il fallait bien occuper les masses, les abrutir un peu plus encore quand le projet politique se pliait aux seuls impératifs économiques. Il faut donc bien comprendre que la culture, tombée sur le versant d'une immédiateté festive (de là, toutes les fêtes possibles : de la musique, du livre, etc.), abandonnait les rives d'une interrogation sur soi, d'un travail parfois ingrat et nécessairement solitaire (1).

    Martine Aubry peut croire à la culture et au sport, associer les deux, parce qu'ils relèvent désormais tous les deux d'un protocole d'agrégation muette ou hystérique, où le principe de la manifestation joue le rôle premier. Et nous pouvons observer cette étrange évolution d'un société dans laquelle justement la manifestation comme modalité de contestation a lentement régressé, s'est progressivement désintégrée au profit de cette nouvelle forme de manifestation grâce à laquelle le pouvoir neutralise les angoisses individuelles et collectives. L'association de Martine Aubry n'est donc pas une erreur, un lapsus : elle signe le trajet radical d'une société qui en a fini avec ses aspirations intellectuelles et un projet (mais peut-être n'a-t-il jamais existé ? Peut-être n'a-t-il été qu'un effet d'annonce ?) où le devenir de chacun commençait d'abord par l'appropriation du passé. D'un vrai passé : non pas muséifié par une journée du Patrimoine ou des expositions monstrueuses où se presse la foule qui veut voir, comme dans un stade. Mais il doit bien y avoir un musée du football quelque part en France, non ? (2)


    (1)Mais qui demeure le meilleur moyen d'aller vers l'Autre. Il ne peut y avoir compréhension de l'Altérité sans construction raisonnée de soi.

    (2)Je n'ai pas cherché. Pas envie. Mais, à Barcelone, le musée du Barça est l'un des plus visités, certains disent même qu'il est l'endroit le plus visité de Catalogue. La culture et le sport...