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  • Faire corps...


     

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    Le monde se voue au nombre, au dénombrement, à l'accumulation, à l'empilage, au record, au n+1 qui vous assure un peu de notoriété, à la démesure, au rassemblement, au festif et au manifestif (lequel manifestif n'a évidemment plus rien de politique ou de revendicatif, sinon à croire qu'être ensemble est un acte de contestation ou d'affirmation), tout cela jusqu'à l'absurde.

    Une mienne connaissance qui pratique le yoga, seule, forcément seule, parce que c'est pour elle une manière d'être ailleurs, de se soustraire aux aléas de la vie et à la pesanteur du quotidien (1), qui pratique cet art et cette philosophie hors du social, justement, parce que ce n'est pas pour elle une vitrine de convivialité mais un besoin et une attente qui ne concernent qu'elle, cette mienne connaissance rira certainement sous cape en apprenant que 4000 couillons se sont réunis le dimanche 1er septembre pour le plus grand cours de yoga jamais organisé, au Grand Palais.

    Tous en blanc, tous en rang, tous comme des glands...

    Quand Moon et sa secte organisaient des mariages de masse, cela soulevait l'interrogation voire l'indignation. On parlait de manipulation, de contrôle des esprits. Quand la Chine communiste organise ses réveils gymnastiques, chacun déplore. Mais quand je ne sais quel organisateur, dans ce si beau pays démocratique qu'est la France, monte un happening pseudo revival, où la petite (ou pas) bourgeoisie bobo ou alternative vient étaler son ego contestataire et vaguement orientalisé (2), c'est l'extase, la jouissance maximale, un signe de liberté et le bonheur des participants d'avoir vécu quelque chose de fffffooooormiddaaaaaablle.

    On imagine bien Marie-Rose, le 3 septembre, jour de rentrée de la marmaille, devant la grille de la primaire, raconter à Chantal (qui revient juste du Cantal) combien ce fut une expérience, mais une expérience !, je vous jure. D'ailleurs, elle ne trouve pas ses mots. Son yin et son yang, ses chakras, ses points d'énergie, et tout le tremblement : elle ne sait pas par où commencer. Et tout ce monde, Chantal, tout ce monde, qui aime le yoga, qui communiait dans le yoga, bon des fois, qui regardait quand même les kilos en trop de la voisine ou le style du voisin, parce qu'on ne pouvait pas faire autrement, non, c'était terrible. On ne peut pas imaginer. Il faut l'avoir vécu. Tu sais, Chantal, un peu comme l'apéro géant auquel on a participé l'an passé au bord d'un canal pourri, avec Jérôme. La même chose qui se passe, sauf qu'alors  j'étais un peu bourrée. Mais, au fond, là, c'était aussi un peu le cas : l'ivresse de l'ailleurs. Trop beau, trop trop beau.

    Il faut que le monde contemporain soit arrivé à un tel point d'absurdité invisible, ou bien dissimulée, pour que l'on puisse, sans coup férir, monter de telles affaires. Affaires, oui, car, derrière, cela sent a pub, le coup de bluff, le divertissement tourné en spectacle (l'un étant souvent le pendant de l'autre). Cette anecdote yogi est, en tous cas, un exemple parfait de ce que la contre-culture est foutaise et que le paysage dessiné par les escrocs politiques de 68 s'est transformé en machine à produire parfaitement huilée. Alors que le yoga nous est vendu comme un autre temps, une autre approche, fondé sur l'écoute et l'introspection, la plaisanterie du Grand Palais charrie l'image d'une foule (car c'en est bien une, silencieuse et allongée sur son tapis mais pas plus intelligente que les braillardes. Gustave Le Bon ou Gabriel de Tarde rigoleraient bien...) réduite à une posture fort contradictoire. Yogons, soit, mais en groupe. C'est-à-dire : faisons de la pause, du retrait, de la suspension un acte collectif. Soyons dans la différence mais à plusieurs. Philosophons de tout notre corps mais comme si nous étions à la plage ou à la salle de fitness.

    On hésite entre le happening éculé ou la peur de la solitude, cette si terrible solitude que ne peut tolérer une société désirant, exigeant que l'on soit en relation, en contact à chaque moment de notre vie, une société qui combat toutes les formes d'autonomie (3). Ce n'est pas le lumpenproletariat spirituel dont parle Andrej Stasiuk mais cela ne vaut guère mieux. Tout est affaire de présentation et de valorisation socio-culturelle. En attendant, ce genre de démonstration, qui  se veut certainement et convivial et signe d'une ouverture sur le monde, est une caricature de son objet et montre encore une fois que la bêtise est, comme l'univers, infinie et en expansion.

     

    (1)Ce qui n'a rien à voir avec une expression aussi sotte qu'être en phase (avec soi-même)

    (2)Parce que l'orientalisme, nous le garderons pour les souvenirs littéraires et artistiques du XIXe.

    (3)L'autonomie, quand elle est mise en avant, dans le monde contemporain, n'a qu'une fonction : placer l'individu dans la position de l'isolement social et économique. Le libéralisme aime l'autonomie lorsque celle-ci affaiblit le sujet pour en faire un objet.


    Photo : Tessier/Reuters

  • Trois minutes pile

    Tu as treize ans (ou à peine plus). Ce n'est pas encore le temps d'Internet, de Google, des réponses à la seconde pour une question (ou un doute, ou une curiosité). Cette chanson te surprend. Le sujet importe peu : une rencontre sans lendemain, ce que la contemporanéité, qui aime la crudité pour se donner l'illusion d'être vraie appelle désormais un plan cul. Rien de plus banal. Ce n'est pas cela qui te trouble et qui fera que cette chanson, jamais tu ne l'oublieras, mais le caractère mystérieux, quasi ésotérique des références : topographiques, musicales, cinématographiques, lesquelles donnent à ces trois petites minutes baignant dans la banalité d'une composition réduite à un ensemble guitares-accordéon une demi-teinte fort belle. Yves Simon ne confond pas la vitesse et la brièveté et son esquisse, parisienne et très cryptée pour toi, a la saveur d'une délicatesse sans romantisme niais, d'une tendresse sans grandiloquence. Mystère des noms propres... Clichy, Rochechouart, Dorléac, Higelin et Polanski : c'est plus qu'il n'en faut pour peupler de fantasmes un monde ennuyeux, forcément ennuyeux.