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  • Trois hommes

    Le marchand ambulant s'était placé sous le seul arbre au bord de la route. Il avait ajouté un parasol qui servirait quand le soleil aurait tourné. Pour l'heure, il était à la verticale. Il avait aussi disposé trois ou quatre tabourets, très bas. Un homme était déjà assis, qui mangeait sa tranche de pastèque, le regard un peu perdu. La sueur coulait sur ses joues, son tee-shirt University of Nebraska, avait de grandes auréoles d'humidité.

    Je demandai moi aussi une tranche de fruit. Le Pakistanais me sourit en me la tendant.

    -Hot, hot !

    -Yes, very hot !

    Et de me rappeler encore une fois cette réflexion toute romaine : à deux heures de l'après-midi, il n'y a que les Français et les chiens pour se promener.

    Je m'assis sans un mot à un mètre de l'étranger au tee-shirt, tourné comme lui vers le Circo Massimo sous le cagnard. Il y avait bien quelques voitures qui passaient, et des scooters mais le bruit de la ville n'était pas grand chose. C'était le silence imposé par la chaleur. L'homme se leva ; nos regards se croisèrent ; il fit une grimace et passa un revers de main sur son front pour signifier que l'heure était intenable, ou quelque chose dans le genre. Il balança la peau de la pastèque dans la poubelle à la manière d'un basketteur. Panier réussi. Je croyais qu'il s'en allait. Pas du tout. Il prit une deuxième tranche et revint à sa place. Il n'avait pas dit un mot au marchand, ne s'exprimant que par des gestes.

    J'avais presque fini ma part.

    -Crazy summer ! I don't believe it.

    Il était américain. L'accent ne trompait pas.

    -C'est souvent le cas à Rome.

    -Première fois que je viens.

    -Américain ?

    -Américain.

    -New York ? Los Angeles ?

    -Portland. Oregon. Mais je vis au Guatemala maintenant. Je bosse là-bas. Et vous ?

    -France.

    -France... Paris ?

    -Non, pas du tout. Saint-Flour.

    Il fronça un peu des yeux, comme pour chercher un souvenir impossible.

    -San Flower ?

    Je ris. Sainte-Fleur, c'eût été délicat.

    -Non. Flour, comme la farine.

    Il eut la mimique classique de celui qui reçoit une explication perdue d'avance, dont il ne pourrait même pas se resservir.

    -Vous connaissez bien Rome ?

    -Pas mal.

    -J'aurais voulu qu'il fasse moins chaud, pour changer. Mais au moins, il fait sec.

    -Pas au Guatemala ?

    -Chaud et humide. Moite.

    Je me levai pour jeter mon reste de pastèque et je demandai une petite bouteille d'eau gazeuse. Acqua frizzante.

    -Pas beaucoup de clients ?

    -Non, non, trop chaud. Mieux après cinq heures.

    Je repris ma place. Le Pakistanais s'était assis derrière son étal, apathique. L'Américain avait allumé une JPS.

    -Vous en voulez une ?

    -Trop chaud.

    -Feu à l'intérieur, feu à l'extérieur. Kif-kif...

    J'essayai de réfléchir à mon prochain point de chute. Retourner à Santa Maria in Cosmedin, ou plutôt, à San Giorgio in Velabro, dans la simplicité fraîche des murs épais et des ouvertures parcimonieuses. Oui, San Giorgio était l'endroit où reposer le corps et se remettre à penser, parce que dans le brasier on ne pense pas. L'esprit comate. Il m'arrivait fréquemment de trouver refuge contre le soleil ou la foule. Dans le centre, j'avais mes havres. Les jardins du palais Spada, le patio de San Clemente, les pins de Borghese.

    -Un sacré bout de terrain, non ?

    Je ne comprenais pas tout de suite, et d'un coup de menton il désigna le bassin pelé en partie et ses flancs herbeux.

    -C'est le Circo Massimo, quand même.

    -Je sais mais... Vu ce qu'il en reste.

    -Avec un peu d'imagination.

    -Ou revoir Ben Hur.

    -Bonne idée.

    Il s'est retourné vers le Pakistanais.

    -Circo Massimo.

    -Oui, oui.

    Il m'a fixé.

    -Il s'en fout, en fait.

    -Et nous aussi, non ?

    -Ce serait pas possible de construire ici.

    -Patrimoine de l'Unesco. Vous verriez du moderne, vous, entre le Palatin et l'Aventin ?

    -C'est plus qu'un trou. Alors, disons : on creuse pour faire une piscine. Vous imaginez, là, en ce moment, vous dire que vous êtes à quelques minutes d'une piscine. Un truc frais. Donc, une piscine...

    Il s'est retourné vers le Pakistanais en faisant en même temps de grands gestes vers l'étendue vide.

    -Piscina, piscina !

    L'autre a fait oui de la tête et m'a regardé d'un air dubitatif.

    -Une piscine et par dessus une couverture végétalisée, comme un jardin ombragé. C'est très à la mode, les aménagements végétalisés. Il faut vivre avec son temps. Et comme ça, tout serait masqué.

    -Vous trouvez qu'il y a trop de ruines ?

    -Vous trouvez que c'est une ruine, ça ? Moi, je ne vois rien, vous comprenez ? Rien. Un terrain vague. C'est moche, en fait. Très moche. Je suis sûr que tout le monde trouve ce truc moche, tout le monde, mais personne ne le dira. Seulement, quand il fait chaud, qu'on crève de chaud et qu'on regarde ça, même si vous n'avez pas l'impression qu'il y a un rapport entre les deux : suer à mort et regarder une chose sans intérêt, vous avez tort. La fatigue du corps rejoint l'épuisement de l'esprit. Un sentiment d'inutilité, vous comprenez ? Vous, peut-être que cela vous émeut, ou que vous vous dites qu'il faut absolument être ému, ou admiratif, ou habité par le passé, mais là, l'herbe grillé, la poussière, une affaire à garer des bagnoles, tout juste, là, c'est trop. Lui (et il désigna discrètement le Pakistanais), il a compris, d'une certaine façon. il ne voit pas le passé, il s'en fiche, mais il voit un espace infiniment à découvert et le soleil. Alors, il a ses pastèques, ses melons, ses canettes, ses bouteilles, son parasol. Il sait que personne, parmi ceux qui viendront, ne pensera autrement que lui : bon dieu ! un peu d'eau et de l'ombre. Et tous ceux qui en parleront ne diront rien du Circo Massimo, mais parleront du cagnard et du Pakistanais comme une oasis, une vraie bénédiction des Dieux.

    À l'autre bout de l'interminable place, une famille venait de surgir. Un père, une mère avec une ombrelle, à la manière des Japonaises, mais ils étaient blonds et grands comme des Suédois ou des Néerlandais, et deux adolescents à casquette, dont le plus vieux, treize quatorze ans, nous désigna du doigt. Il devait crever de soif. Le père avait un guide ouvert et même si nous ne pouvions l'entendre, il justifiait sûrement le pèlerinage, les risques d'insolation et la déshydratation des âmes.

    Les deux gamins pressaient le pas. Le Pakistanais était leur sauveur mais avant d'avoir atteint le tiers de la piste une voix sénatoriale les coupa dans leur élan. Le paternel barbu leur fit signe de rebrousser chemin;

    -Notre ami vient de perdre de l'argent.

    Il y eut dix bonnes minutes de silence où chacun ne voyait plus l'à peine trace du passé mais la chaleur brute mangeant notre envie de mémoire. Tous les trois, nous étions morts comme on dit, mais c'était une métaphore qui gagnait à chaque seconde en réalité. Le Circo Massimo, l'horizon ondulant, le silence (sinon un filet lointain de ronronnements), la paupière à moitié tirée, l'heure de la sieste, è chiuso, dormir, s'allonger, sentir l'effet du ventilo, les jeux il y a longtemps, Ben Hur, l'Antiquité, plus rien maintenant, et nous trois en sueur, muets, liquéfiés, en enfer, plus rien, jusqu'à ce que l'Américain nous fasse sursauter, le Pakistanais et moi.

    -Allez les gars, un coca pour tout le monde, c'est ma tournée !

  • Culinaire

     

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    Dans une impasse de Bangkok, quand on veut de délasser de la cuisine thaï, ou par nostalgie de l'Europe, on trouvera un bar à tapas qui, à Barcelone ou San Sebastian, et même en France, ne retiendrait guère l'attention. Pour une pause, passe encore... Au moins est-on à peu près coupé du bruit incessant de la ville.

    On y trouve les classiques, de la tortilla aux poivrons grillés, du chorizo à la salade mélangée artichauts-tomates. Si l'on a un peu de temps, il est même possible, 45 minutes d'attente, qu'on vous serve une paella prétendument maison, cuisinée à la demande, comme un gage de fraîcheur. La chaleur moite ne vous engage guère à un plat aussi roboratif mais l'offre est là. 

    Et c'est en lisant le détail de la proposition que l'affaire prend une tournure inattendue. Sans doute est-ce parce que les clients potentiels sont si internationaux et la paella chose sibylline, que le tenancier, asiatique, a tenu à rendre le choix plus clair et conscient. Ainsi l'emblématique plat espagnol est-il ainsi présenté sous l'intitulé suivant : "Australian sea-food risotto". On sourit, évidemment. La périphrase a pour fonction rhétorique essentielle d'expliciter un mot, en propre : d'en donner une définition. Il y a ici une certaine saveur dans le trajet symbolique que le commensal putatif devra faire pour rejoindre la péninsule. Il faut qu'il envisage un premier détour par l'Italie. Culinairement parlant, assimiler la paella à un risotto relève de l'approximation facile. Le riz, certes, le riz... Pas sûr qu'un valencien goûterait beaucoup que sa fierté gastronomique soit ramenée à une identité transalpine. Mais il est vrai qu'en Thaïlande, on trouve assez aisément des restaurants italiens (dont la couleur internationale est marquée). Il faut bien illustrer de l'inconnu par du connu. Il y a mieux, pourtant. L'australian sea-food... Une petite question de grammaire, certes. Doit-on rapporter, ce qui serait un comble, l'australian de risotto ? Cela supposerait qu'un risotto puisse être australien. Peu probable. Le bon sens refuse cette interprétation (mais le bon sens est-il toujours de mise ?). Reste donc que les coquillages (sea-food) soient australiens, ce qui ne manquera pas d'étonner parce que malgré tout l'Australie n'est pas si près. Soit, mais les Australiens sont eux en nombre. Non loin on trouve un café néo-zélandais où de grands gaillards blonds et body-buildés tapent vaillamment dans les pintes de bière. L'australian sea-food a donc deux origines possibles : ou l'importation d'une matière première océanienne, ou l'art subtil de faire un clin d'œil à une clientèle qui, à défaut d'être gastronome, aime se mirer dans l'intitulé des plats.

    Cela n'est rien, il faut en convenir. Pourtant, cet étrange détournement de la périphrase, qui obscurcit plus qu'elle n'éclaire le chaland, sur le fond, mais le rassure en surface, sonne comme un symptôme de cette langue internationale, de cet anglais creux et rance dont on nappe désormais les relations entre les peuples. Cette recette espagnole, tout à coup italo-australienne, par la grâce d'un Thaï baragouinant la langue de Shakespeare, est devenue, sinon notre pain quotidien, du moins notre plat de lentilles. On s'abstiendra d'en manger, moins par inquiétude hygiénique que par l'effet d'une raideur quasi nationaliste (ce qui n'est pas rien quand on n'est pas soi-même espagnol). Car, si l'on veut trouver un écho dans notre imaginaire gustatif hexagonal, aurions-nous envie de voir ainsi décrit un délicieux cassoulet : chilian beans with german sausages, sous prétexte  qu'on y trouve des haricots et de la saucisse. Faut-il passer par Santiago et Munich pour comprendre Toulouse ?

    Cette étrange définition culinaire fait sourire, dans un premier temps. Mais elle peut aussi concentrer tout l'appauvrissement imaginaire d'une mondialisation qui veut nous vendre de la diversité, de l'exotique quand il s'agit d'abord de trouver les meilleures recettes pour appâter le consommateur que nous sommes censés être avant tout. 

    Il aurait été curieux de la commander, cette paella, de voir ce qu'ils en avaient fait dans l'assiette. Mais il  faut un certain courage, parfois, pour se détacher des mots et croire qu'ils valent bien moins, dans leur assemblage incongru, que les étranges saveurs qu'ils suggèrent...


    Photo : Joffrey Monnier


  • Une sérieuse folie


     

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    Parmi tous les personnages peuplant l'épique Détectives sauvages de l'indispensable et disparu Roberto Bolaño, Joaquin Font n'est pas le moins farfelu. Il est interné à la clinique de santé mentale El Reposo, dans les environs de Mexico. Cela ne l'empêche d'évoquer les deux héros énigmatiques du roman, Ulises Lima et Arturo Belano, et de traiter de littérature avec toute la rigueur et la raison idoines.

    "Il y a une littérature pour les moments où on s'ennuie. Elle est abondante. Il y a une littérature pour les moments où on est triste. Et il y a une littérature pour les moments où on est joyeux. Il y a une littérature pour les moments où on est avide de connaissances. Et il y a une littérature pour les moments où on est désespéré. C'est celle-ci qu'Ulises Lima et Belano ont voulu faire. Grave erreur, comme on va le voir dans ce qui suit. Prenons, par exemple, un lecteur moyen, un type tranquille, cultivé, mûr, menant une vie plus ou moins saine. Un homme qui s'achète des livres et des revues de littérature. Bon, voilà. Cet homme peut lire ce qui est écrit pour les moments où on est serein, les moments où on est apaisé, mais il peut lire n'importe quel genre de littérature, d'un œil critique, sans complicités absurdes ou lamentables, avec détachement. Voilà ce que je crois. Je ne veux vexer personne. Maintenant prenons le lecteur désespéré, celui à qui est supposée s'adresser la littérature des désespérés. Qu'est-ce que vous voyez ? D'abord : il s'agit d'un lecteur adolescent ou d'un adulte immature, troublé, qui a les nerfs à fleur de peau. C'est le crétin typique (vous ne passerez l'expression) qui se suicidait après avoir lu Werther. Ensuite : c'est un lecteur limité. Pourquoi limité ? Élémentaire, parce qu'il ne peut rien lire d'autre que de la littérature désespérée ou pour désespérés, c'est blanc bonnet et bonnet blanc, un type ou un monstre incapable de lire d'une traite La Recherche du temps perdu, par exemple, ou La Montagne magique (à mon humble avis, un paradigme de la littérature paisible, sereine, complète), ou bien, si on va par là Les Misérables ou Guerre et Paix. Je crois avoir été clair, non ? Bien, j'ai été clair. Je leur ai parlé de la même manière, je les ai avertis, je les ai mis en garde contre les dangers auxquels ils s'affrontaient. J'aurais pu parler à des cailloux. Mêmement : les lecteurs désespérés sont comme les mines d'or de Californie. Pas plus tôt découvertes qu'épuisées ! Pourquoi ? C'est une évidence ! On ne peut pas vivre désespéré toute sa vie, le corps finit par céder, la douleur finit par être insupportable, la lucidité fuit à grands jets froids. Le lecteur désespéré (et plus encore le lecteur de poésie désespérée, celui-là est insupportable, croyez-moi) finit par se désintéresser des livres, finit inéluctablement par se transformer en un désespéré tout court. Ou alors il se soigne ! Et alors, cela fait partie de son processus de régénération, il revient lentement, comme dans du coton, comme sous une averse de pilules tranquillisantes fondues, il revient, je dis vers une littérature écrite pour des lecteurs sereins, paisibles, avec l'esprit bien centré. C'est ça qu'on appelle (ou si on ne l'appelle pas comme ça, moi, je l'appelle comme ça) le passage de l'adolescence à l'âge adulte. Par là je ne veux pas dire qu'une fois transformé en un lecteur paisible on ne lira plus de livres écrits pour les désespérés. Évidemment qu'on les lit ! Surtout s'ils sont bons ou passables ou qu'un ami nous les a recommandés. Mais dans le fond ils nous ennuient ! Dans le fond cette littérature acrimonieuse, pleine d'armes blanches et de Messies pendus, ne réussit pas à nous pénétrer jusqu'au cœur comme y réussit une page sereine, une page méditée, une page techniquement parfaite !"


    Les propos du retranché Joaquin sont à prendre pour ce qu'ils sont, certes : la voix d'un personnage, et non le discours assumé de l'écrivain chilien. Ils ont l'excès de la fiction. Néanmoins, ils circonscrivent avec beaucoup de justesse les limites d'une lecture dévolue à n'être qu'un miroir de ce que nous sommes quand nous renonçons à passer outre ce que nous ne voulons pas être. Lire n'est pas un confort, moins encore un prolongement de notre état, mais l'état autre d'une transgression qui se doit de nous heurter dans la pleine possession de nos moyens. Le détachement dont il est question n'exclut pas les épreuves, les sentiments ou les interrogations. Mais, de toutes les manières, il ne s'agit pas, comme dans le cas du désespoir, du malaise (ou de tout autre situation qui exacerbe notre ego), de venir y trouver ce que nous sommes déjà... 

    Il est tout à fait exemplaire (au sens où l'image éclaire la réflexion) que Joaquin Font lie son orientation de la lecture à un acte de changement, un quasi rite de passage, celui qui nous voit évoluer de l'adolescence à l'âge adulte. Or, le goût de plus en plus marqué pour une littérature divertissante est un indice supplémentaire pour dévoiler le désir profondément travaillé par la société postmoderne de cultiver cette rêverie adolescente. Le romanesque nombriliste, avec son modèle majeur : l'auto-fiction, en est la preuve. Mais cela ne peut suffire, à moins de plus croire à la vertu littéraire, c'est-à-dire la capacité d'une œuvre à nous contrarier.

    Et puisqu'il est bon de revenir sur l'auteur chilien, in fine, il est de ceux qui savent, en ce tournant de siècle le mieux nous contrarier...


    Photo : Jerry Bauer

  • scénique et cynique

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    Obama est fâché avec Poutine. Il boude. Ils devaient se voir mais tout compte fait ce sera niet. L'Américain visitera la belle démocratie suédoise à la place. Bien sûr, les contacts ne sont pas rompus. Les affaires continuent. Tout cela n'affecte pas en profondeur les impératifs politiques et les intérêts économiques. Juste une affaire de posture, un exercice théâtral. Encore une fois, les idiots magnifiques qui nous vendaient Obama comme une manière de faire de la politique devront déchanter (mais ils trouveront bien une dernière argutie pour nous expliquer que non, quelque chose a changé...).

    Barack a donc les nerfs contre Vladimir. Sand doute les dérives autocratiques du tsar qui ne dit pas son nom, ou celles, mafieuses, des oligarques qui s'en mettent plein les poches, ou les atteintes aux droits de l'homme, ou la presse muselées, ou la Tchétchénie, ou les lois homophobes. L'avantage avec la Russie est qu'il y a matière à s'indigner (ce qui ne peut que plaire aux adeptes de l'hesselisme bêlant...). Il faut à tout prix que Poutine reste en place : c'est une aubaine pour les bonnes âmes.

    La liste ci-dessus, pourtant, ne convient pas. L'ire obamesque est plus pointue, plus interne, plus américaine. Elle tient en un nom : Snowden, l'homme qui a révélé le scandale de la NSA, des écoutes yankees mondialisées, , lequel Snowden a réussi à fuir, a cherché des terres d'asile, mais en vain : l'Europe de l'Ouest (pour reprendre une terminologie caduque) ne voulait pas de lui, pour ne pas froisser le grand Frère US. C'est évidemment comique, mais pas surprenant, de voir la couardise européenne sur cette affaire, quand naguère on s'indignait (décidément...) des audaces d'un attaché culturel russe, chinois ou iranien... Les temps changent.

    Mais pas Obama, qui n'est qu'une version plus élégante, moins texane, de Georges W. Bush. Il a justifié les acte de la NSA, et avec son administration, au pire moment médiatique pour l'intégrité américaine, il nous a monté une alerte terroriste mondialisée et bidon, qui a fait frémir tous les lobotomisés de la terre. On attend encore, sinon les bombes, du moins les opérations de déminage. 

    Tout cela pour Snowden, dont la célébrité médiatique lui permettra de survivre à quelque accieent vasculaire, ou à une intoxication alimentaire, ou à une rupture des freins sur un véhicule ayant 3251 km.

    Qu'est-ce que Snowden ? Je ne dis pas : qui est Snowden ? Sa personne en tant que telle n'a pas d'importance. En revanche, il est intéressant de définir son statut. Pour les gens de ma génération, nourris aux écrits de Soljnitsyne, des combats de Sakharov ou Plioutch, se souvenant de toute la rhétorique occidentale qui soutenait ces hommes en lutte contre le délire soviétique, la transposition est aisée et imparable. Snowden est un exilé, mieux : un réfugié politique. Ce qu'il dévoile des opérations de surveillance américaines équivaut à ce que les dissidents de l'Est racontaient des régimes policiers et des méthodes de contrôle de la population. Encore ces pratiques se limitaient-elles à l'espace national quand les agissements de la NSA sont mondiaux et ne distinguent pas alliés et ennemis.

    Il n'y a ici aucun jugement moral sur ces pratiques. La politique est sale, par essence. Elle est faite, en grande partie, d'arcanes, de manipulations, de dissimulations, de faux-semblants. Obama en joue comme les autres, sinon il ne serait pas à la place qui est la sienne. Le reste est littérature. il sera néanmoins curieux pour certains de devoir admettre que les États-Unis ont, eux aussi, leur dissident, et comme aux meilleurs temps de l'URSS, ils n'ont pas la moindre indulgence pour ceux qui parlent. Manning vient de prendre 35 ans pour avoir alimenté Wikileaks. Snowden est dans l'expectative.

    On regrettera sans doute qu'il trouve chez Poutine un soutien. Cette collusion servira à le discréditer, à ne faire de lui qu'un traître, un opportuniste, un quidam en quête de notoriété. Quand on finit Vladimir, c'est qu'il y a anguille sous roche. Rien de politique dans tout cela. De toute manière, rien de ce que font les États-Unis n'est politique. Ce sont simplement des actes préventifs, une inflexion naturelle vers le Bien, un souci de paix perpétuelle (l'Américain est kantien, c'est bien connu...).

    Jusqu'alors, ce pays avait contenu son opposition ; la critique (à la Chomsky) était marginalisée parce qu'elle s'en tenait au plan analytique. Du bavardage, en somme. Snowden se place sur un autre plan :  il ne commente pas, il ne théorise pas, il donne des faits. Voilà bien pourquoi il est dangereux, et qu'il est, plus que quiconque, un homme politique.

     

     

     

    Photo : Reuters/Kacper Pempel

  • La voix d'une seule...

    Dans Toxic Blues de Ken Bruen (lecture pas trop concentrée pour ceux et celles qui veulent échapper à l'angoisse de l'avion), le héros rappelle qu'à ses débuts Dire Straits bénéficia d'un succès public certain mais aussi d'une reconnaissance du monde de la musique pop (revues, magazines, spécialistes...). L'affaire se gâta le jour où Lady Di dévoila que c'était son groupe préféré. Dès lors, il n'était plus possible, quand on était un amateur éclairé, d'apprécier Mark Knopfler et sa bande. Ceux-ci tombaient radicalement du côté des productions easy-listening, commerciales, de celles qu'on doit mépriser.

    Pour être simple : peut/pouvait-on partager (sur un point s'entend) les goûts d'une princesse permanentée, au sourire un peu niais ? Sans doute pas, quand on se voulait décalés, underground, ou, pour le moins, hors des cadres bourgeois, etc, etc, etc.

    On en revient, mais dans un sens inversé, à la question de la distinction qu'avait abordé il y a déjà longtemps Pierre Bourdieu sur ce qui détermine nos choix et ce par quoi nous nous affirmons. Les goûts ne sont pas qu'une affaire de réflexion ou d'affect. Ils sont aussi, dans le double sens du terme, un placement sur le marché, une manière de se distinguer et d'être distingué. En clair, l'appartenance revendiquée, l'effet de démarcation et le souci de reconnaissance comptent autant que l'objet dont il est question. 

    Dans le cas présent, on retiendra que ceux qui ne veulent pas être pris dans le mainstream se sont comportés comme des petits bourgeois de base. Ils ont illustré, à leur insu, combien la singularité culturelle, dans un monde de récupération systématique, est un leurre (1). Ils ne valent pas mieux que Giscard prenant de la hauteur avec son accordéon tout en voulant faire peuple. Beaucoup de bruit pour du vent...

    Dire Straits n'en a pas pâti. Knopfler a accumulé les millions. Mais ce revirement m'amuse.

    Même si l'on rétorquera qu'il ne pouvait pas en être ainsi, on jubilera à l'éventualité qu'un normal président ait un jour glissé son irréductible passion pour Dominique A., ou que son bling-bling prédécesseur, plutôt que Barbelivien et Bruni, n'ait eu d'oreilles que pour Noir Désir. Un Hollande ou un Sarkozy un tantinet alternatif, indie ou grunge. Juste pour embarrasser Libé, les Inrocks et toutes les poubelles du même genre...


    (1)À lire, malgré tous ses défauts de construction et ses raccourcis, Joseph Heath et Andrew Potter, Révolte consommée. Le mythe de la contre-culture, ed. Naïve, 2005 

  • O...

    On a toujours une bonne raison de se garer en double file.

  • Un siècle nouveau de lumières

     

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    René Magritte, L'Empire des lumières, 1954

    Dans le cœur de l'été, j'apprends par quelques lignes journalistiques que le normal président ne dédaigne pas les séjours à la résidence de la Lanterne.

    Ce lieu était dans la Ve République dévolu au plaisir du premier ministre avant que l'incroyable bling-bling n'en fasse son pré carré. Démesure, hypertrophie du moi, mépris envers Fillon ? Au choix. Les plumitifs qui avaient réduit la politique à un règlement de compte ad hominem ne manquèrent pas de glousser. L'affaire, anecdotique en soi (il y a bien pire et plus urgent) avait nourri la caricature sarkozyenne. L'homme qui veut tout, qui ose tout, qui prend tout.

    Il faut croire que le normal président qui pérora anaphoriquement sur sa différence, dans le comportement, a entériné la vanité de son prédecesseur. Ce qui s'appelle endosser l'habit... Ce n'est qu'un mensonge de plus dans le contrat électoral pour lequel des millions de naïfs ont signé et dont je paie, parmi d'autres, la note morale et politique. On aimerait de la critique face à cela, mais rien ne vient (ou si peu).

    En attendant, je repense au clip de campagne du triste sire (Hollande en majesté...), quand il faisait commencer l'histoire de France à la Révolution, et me revient en tête un chant célèbre, le sourire aux lèvres :

    "ah ça ira, ça ira, ça ira

    Les aristocrates à la lanterne

    Ah ça ira, ça ira, ça ira

    Les aristocrates on les pendra"

  • Satie, fructueuse ironie

     

    Érik Satie n'est pas un grand compositeur, évidemment. Ses œuvres servent aujourd'hui très bien les intermèdes paysagers dans les documentaires où un écrivain se raconte, ou bien s'il s'agit d'évoquer une cité hanséatique, avec de belles images d'automne.

    Les Gymnopédies, les Gnosiennes. Scies contemporaines pour émission de milieu de nuit.

    Il n'empêche que Satie, axé qu'il est sur le rythme autant que sur la mélodie, est souvent mal joué. Cavalcade ou niaiserie. Et c'est dommage.

    Les critiques ne furent pas tendre avec le rosicrucien et l'un trouvait que sa musique était sans forme. L'homme ne manquait d'esprit et composa ces trois morceaux en forme de poire qui suivent.