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grèce

  • La Terreur social-libérale

    Le nouvel épisode grec est édifiant quant à l'anéantissement politique dans lequel nous a plongés l'aventure européenne. Les Grecs, on le sait, paient au prix fort une déroute économique en partie organisée par des banques d'affaires. La misère et l'absence de perspective ont atteint les limites du supportable. Le diktat des grandes organisations mondialisées qui méprisent les nations et les peuples, qui en veulent la disparition (sinon pour n'être plus que des structures de pur contrôle policier afin de mettre au pas les éventuels contestataires), a rendu exsangue le pays fondateur de la pensée européenne (1).

    Pour que tout aille au mieux des intérêts de ces organismes multinationaux (c'est-à-dire anti-nationaux), il fallait que le pouvoir politique soit à la botte. Il était donc prévu que le président grec soit un ancien commissaire européen, un de ses technocrates qui s'assoient sur la pensée du citoyen et qui obéit à l'idéologie du libéralisme le plus pur. Hélas, l'affaire a capoté et le pays se retrouve devant des élections législatives pour le début de l'année.

    Et l'on ne dira jamais assez combien il est dangereux de s'en remettre à l'électeur parce que celui-ci est par nature idiot, versatile, indocile. Il est le plus souvent le dindon de la farce mais il lui arrive aussi de ne pas faire comme il faut. Tel est le cas présent puisque le favori des sondages est un parti dit de gauche radicale, anti-austérité :  Syriza. Il n'y a rien dans les annonces de cette formation qui puisse l'assimiler à un quelconque groupe révolutionnaire. Le PS des années 70 est, en comparaison, terriblement marxiste-léniniste ! Il souhaite seulement que l'on ne saigne plus impunément les petites gens et que certaines banques arrêtent de se gaver. Mais c'est suffisant pour que le FMI coupe les vivres, que l'Allemand de service (je ne sais plus quel ministre...) dise que les élections ne changeront rien (2). Le nullissime Moscovici vient soutenir les partis responsables face à une dérive qui met en péril l'équilibre européen...

    On remarquera que le parti qui inquiète n'est pas d'extrême-droite. Il n'appartient pas à cette nébuleuse nationaliste qui monte en Europe et dont les socio-libéraux font la caricature, expliquant qu'avec eux le désordre, le chaos, la misère sont au bout du chemin. Ce ne sont pas des chemises brunes prêtes à marche au pas de l'oie. Nullement. Ce sont des gens de gauche, mais d'une gauche irresponsable et quasiment marxiste.

    Qu'est-ce à dire sinon que pour les socio-libéraux (en gros, en France : le PS, l'UMP et l'UDI), rien n'est digne, qui ne soit pas eux, nul n'est responsable qui ne soit pas de leur rang. Le péril brun, l'épouvantail lepéniste est un leurre et il ferait de même si Mélenchon était en passe de prendre le pouvoir. Ils méprisent tout ce qui n'est pas eux. Ils ont la morgue et l'outrance des fascistes. Certes, pas de parti fort, pas de culte du chef, mais un discrédit systématique sur ce qui ne leur convient pas, une chasse aux sorcières contre leurs opposants (pensons à Zemmour), un travail de sape pour anéantir l'expression démocratique. Ils ont retenu les leçons des excès mussoliniens. La force est contre-productive. Il faut agir autrement, par une intimidation larvée, par un contrôle des médias discret mais efficace, par une marginalisation des voix discordantes, par une dramatisation délirante des risques politiques.

    En France, le danger, c'est le FN ; en Grèce, c'est Syriza. Ils ont comme point commun de ne pas vouloir se plier à la doxa. Les premiers sont très à droite, les seconds très à gauche (3). Tout est là, comme dans la démocratie américaine, où l'opposition républicains/démocrates porte sur les modalités d'une doxa libérale que personne ne remet en cause, à commencer par le si attendu Obama (4). La largeur de la route est étroite et il est interdit de prendre des chemins de traverse.

    Ce que cette aventure signifie est simple : il ne faut pas avoir peur d'aller contre eux et ne pas se sentir coupable de lutter contre eux. Ils appellent cela du populisme. Soyons populistes, sans honte et sans peur...

    (1)Le symbole n'est pas rien. Le libéralisme mondialisé est la négation d'une pensée européenne nourrie de philosophie grecque (entre autres). Le FMI est, dans son fondement même, l'effacement de la littérature dont s'est inspiré pendant des siècles tout un continent. Il n'est pas étonnant que la culture soit devenue cette coquille vide et pourtant spectaculaire par quoi brillent des idiots à concept et des affairistes 

    (2)Il y a dans l'Allemand triomphant un éternel souvenir de Bismarck et des aspirations à vouloir tout ramener au modèle teuton. C'est bien là son point commun avec l'Américain : son étonnement à ce que tout le monde ne soit pas comme lui.

    (3)Encore faudrait-il discuter plus longuement de ce "très"...

    (4)Ce qui rend plus fourbe encore le discours médiatique qui nous vend pour un tournant social et politique ce qui n'est qu'une variation dans le casting. Il est toujours curieux d'expliquer à des jeunes Français qu'Obama, en France, serait très à droite (on y revient...).

  • Écran de fumée

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    L'émotion que peut immédiatement provoquer l'arrêt tout aussi immédiat de la télévision publique grecque est une preuve (pas un signe, une preuve : un aveu tangible) du dérèglement contemporain. Cela ne s'était jamais vu dans une démocratie. Fichtre ! J'apprends donc que la démocratie, ou pour être plus précis : le degré d'atteinte à la démocratie, se juge à l'aune de la télévision d'État. L'affaire est savoureuse quand les trémolos viennent des voix de ceux qui veulent en purs libéraux (de tous bords : de droite comme des socialistes. C'est une affaire de déguisement) détricoter le tissu étatique, justement, et national.

    Cette réaction peut doublement s'interpréter, et à chaque fois il s'agit d'une vulgaire duperie. La télévision serait donc la démocratie et le troupeau régnant se veut l'ardent défenseur des valeurs associées à cette ambition politique. Il s'agit d'être dans l'esbrouffe d'une revendication que tous les autres actes, bien plus déterminants et nocifs, contredisent. Faire payer les Grecs jusqu'à plus soif, mettre le pays sous tutelle, épargner la racaille bancaire étrangère qui fut complice de cette déliquescence. La télévision n'est pas synonyme de démocratie. Cette dernière conception s'est élaborée historiquement bien avant que ne puisse être envisagée la moindre technique de diffusion hertzienne (ou par câbles...). Et il y a une certaine ironie à considérer que l'appareil médiatique d'état ait servi par principes la diffusion de la pluralité qui garantirait, logiquement, le devenir politique des nations qui prétendent à la démocratie. Ce serait même l'inverse. Mais il faut bien, à coup de contorsions ridicules, trouver dans l'acte symbolique du gouvernement grec une atteinte à l'information, à l'éducation, à l'acculturation du citoyen. On croit rêver. C'est mutatis mutandis pleurer la disparition médiatique de Pujadas, Drucker et Calvi. Il faut une bonne dose de naïveté pour voir une telle situation affoler celui qui réfléchit un peu.

    Deuxième point : ces lamentations posent que l'information (mais là encore, une blague : l' État redevient le pourvoyeur de la vérité et de la liberté) est l'essentiel du processus démocratique. Lecture habermasienne du monde un peu simpliste, il faut bien le reconnaître mais qui sied fort bien à l'air du temps qui nous vend la communication sous toutes ses formes comme le stade ultime de l'affranchissement des masses quand celles-ci sont de plus en plus victimes d'un processus d'abrutissement. Abrutissement qui ne tient plus, comme au temps du stalinisme bon teint, par le contrôle des canaux de diffusion mais par le mouvement inverse : multiplier les sources, les canaux, les producteurs, les pourvoyeurs (comme on parle pour les drogues) et noyer le poisson, ce qui revient à noyer le citoyen réduit en lambeaux. Sur ce point, à l'heure du numérique, de l'optique et des connections en tous genres, la disparition de la télévision publique d'État est une anecdote.

    Pour qu'il n'en fût pas ainsi, il aurait fallu que celle-ci n'eût pas cédé aux sirènes pourries de la production commerciale, qu'elle ne se fût pas auto-détruite dans la course à l'audimat et à la part de marché.

    La télévision grecque d'État est morte. Un verre à sa santé. Et que crève, dans un même mouvement, le service public français.

    Parce que cette agitation me fait rire, quand m'affligent la misère du peuple grec, sa soumission à la finance internationale et aux instances politiques qui en sont le bras armé. Et je dis bien : bras armé, car en l'espèce la violence est autrement plus destructrice que de ne plus voir des couillonnades. Mais la décomposition héllène n'occupe personne. Elle est entrée dans le paysage. Les Grecs crèvent et l'on passe son chemin ; les Grecs vivent dans la terreur d'une mort lente et l'on détourne la tête. En revanche que s'éteigne l'écran et tous les crétins s'affolent.

    En ces temps de bêtise condensée, il est difficile de ne pas céder à la misanthropie absolue et pire : de ne pas tomber dans un nihilisme qui, en soi, est une dérision et une absurdité de plus. Mais il ne m'est pas indifférent de voir le pays de Platon, d'Hérodote et Çavafy (si chère à Marguerite Yourcenar) filer dans le royaume des ombres, de le voir promise à la disparition, à n'être plus qu'un point, puis rien.

    Les manes de la Grèce sont notre tombeau et devant ce désastre, ce n'est pas un écran de plus ou de moins qui peut changer la vision du monde. Sonner la charge de l'indignation quand on coupe l'antenne, c'est être pourri jusqu'à la moëlle. C'est avouer que sa culture, on l'a faite en regardant Intervilles, Champs-Élysées, Maguy et Les Enfants du Rock... De quoi pleurer, en effet...


    Photo : Justin Arnaud

     

  • Le Sens de l'école

    C'est net, simple, imparable. D'aucuns diront que revenir aux Grecs est une illusion, une préciosité fumeuse. Certes, les Grecs (ce combat de toute une vie cher à Jacqueline de Romilly)... Mais, en général, le mépris pour les Hellènes n'est qu'un exemple particulier d'un mépris plus large pour le passé. Bernard Stiegler voit pourtant en cette invocation lointaine, à travers une anecdote socratique, un point de repère pour mieux comprendre ce qui aujourd'hui/désormais ne va plus. Encore, s'il ne s'agissait que d'aller, de faire un mouvement réparateur, pourrait-on y croire, mais la vérité est plutôt que le lien est défait. Et lisant ces pages sur la philia, qui n'a évidemment rien à voir avec la simple camaraderie consumériste des communautés de marques, il y a lieu de penser que le livre, la réflexion, l'écriture, le silence, la skholè sont plus que jamais des nécessités. Non pas pour se sentir plus mal dans un monde qui défaille, mais pour pouvoir s'en retrancher, de ce monde, aussi brief soit ce retrait, et le tenir à distance, en vainqueur pacifique... 


    "En Grèce antique, patrie de la politique et de la démocratie, la citoyenneté apparaît avec les hypomnémata littéraux qui s'y sont constitués, et elle se fonde, par l'intermédiaire du grammatistès qui est le maître des lettres (l'instituteur), sur le fait que le processus d'adoption doit être pris en charge par la cité -par cette cité dont Socrate dit à Criton, dans sa prison, et avant de boire la ciguë, que s'il fuyait l'exécution de sa condamnation, comme le lui propose Criton, ses enfants deviendraient orphelins- ce qui signifie qu'ils ne le seront pas véritablement du fait de sa propre mort prochaine : l'école est ici devenue la matrice identificatoire de cette autre forme de parentalité (c'est-à-dire de philia) qu'est la cité en tant que telle.

    L'organisation politique est un système parental qui casse les déterminations claniques, les identifications au sens habituel (ce que La République de Platon porte à son comble, et même à une extrémité qui aboutit à une absurdité, dont j'étudie les motifs par ailleurs, motifs qui reposent sur le malentendu à propos de l'hypomnésis qui est l'origine même de toute métaphysique) et la constitution de cette parentalité est précisément la philia politique.

    Ici, il faut revenir au concept de programme socio-ethnique : en tant que complément indispensable à la formation des dèmes (qui fondent la démo-cratie) par lesquels Clisthène casse les tribus, et par là substitue aux programmes ethniques, qui constituent le contrôle traditionnel des comportements collectifs, des programmes politiques fondés sur une loi commune, lisible et critiquable par tous, l'école grecque est l'opérateur d'adoption de ces nouveaux programmes. Et elle est en cela le lieu de constitution d'un nouveau processus d'individuation psychique et collective de référence. Dès son origine grecque, l'école est donc le lieu d'adoption qui forme une philia par la constitution d'un idéal du moi, mais qui est aussi, comme dèmos, le peuple en tant qu'idéal de la population qui n'est plus le groupe ethnique (et qui accueille pour cette raison ceux qu'elle appelle les métèques). Cette école est le foyer même de la démocratie, et elle le redevient dans les démocraties industrielles comme instruction publique et obligatoire, et finalement éducation nationale.

    C'est ce rôle qui est de nos jours fondamentalement menacé par la télécratie qu'impose le populisme industriel et pulsionnel, et c'est ce contre quoi la misère politique renonce à lutter."

     

        Bernard Stiegler, La Télécratie contre la démocratie, Flammarion, 2006.

  • L'État privatisé

    Pour comprendre la catastrophe dans laquelle nous ont mis les institutions bancaires et la faiblesse politique des gouvernants, les vingt premières minutes de l'interview de Jacques Généreux dans Parlons Net suffisent. Il définit avec beaucoup de clarté comment les dirigeants des états ont permis aux financiers et aux spéculateurs de jouer sans risques et de gagner toujours.