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urbanisme

  • Éclairage

     

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    Une mienne connaissance moquait ces jours derniers les nouveaux lampadaires du quartier, leur esthétisme kitsch, qui rappelait et les fausses lanternes chinoises, et la maladresse des découpages enfantins. Ils sentent la volonté racoleuse de bien faire, sans le ravissement des anciennes œuvres forgées ; ils se veulent agréables à la vue sans la discrétion des banals éclairages angulaires hérités des années 70. Ils ont la laideur blafarde des aspirations décoratives grâce auxquelles les Homais municipaux pensent gagner la reconnaissance des administrés.

    C'est bien la pire des choses que le triomphe démocratique du mauvais goût, puisqu'on peut désormais se prévaloir de tout. Cette mienne connaissance s'en attriste et préférerait sans doute marcher dans des rues pleines d'obscurité.

    *

    Cette histoire de lampadaires ne peut être, dans le tracas qu'elle cause, anecdotique. Il y a tant d'horreurs qui nous agressent ! Ce mobilier urbain n'est pas pire que bien des artifices dits modernes. Mais il est, dans le fond, indissociable de ce triomphe de la ville tel qu'il se dessina au milieu du XIXe siècle. L'éclairage public signe l'établissement d'une métamorphose hideuse qui a fait croire à l'humanité que son bonheur tiendrait dans l'accumulation des trouvailles propres à épater sa curiosité. Le lampadaire (ou le réverbère...) est, d'une certaine manière, l'étoile de la modernité et Paris la nuit, le recueil de Brassaï, en fut, il y a près de quatre-vingts ans, l'illustration magistrale. Sa lumière blanche et/ou jaune est indissociable d'un imaginaire expressionniste dont la photographie a évidemment fait son miel.

    Mais, justement, ces nouvelles décorations ont abandonné cet héritage. On en trouve dans le quartier deux versions. Pour l'une, l'éclat est d'un rouge orangé qui donne au monde un air d'Halloween ; pour l'autre, c'est une nappe verdâtre, comme une absinthe diluée. C'est laid. On nous entoure de couleurs en croyant embellir le cadre. Belle illusion qui oublie simplement que tout se fait d'abord dans le regard des hommes...

     

    Photo : Brassaï

     

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    ville,nature,urbanisme

    Telle était la réalité de l'arbre sous le pont, la chronologie insensible à la rêverie que nous aurions voulu garder. Réalité intransigeante. Non celle de l'arbre vainqueur des masses betonnées, contraignant architectes, maîtres d'œuvre, hommes de l'art et simples exécutants à se plier à sa loi, à se loger à son enseigne ; mais tout autrement : d'avoir été planté après, comme un défi ou une décoration. L'arbre n'avait pas passé outre ; il s'était fondu dans le décor, avait épousé les règles en vigueur pour être cette curiosité amusante, capable de nous faire croire que la nature était reine alors qu'elle réussissait, comme la balafre, petite, au menton d'un beau visage, à nous faire ignorer le reste.

    Ainsi construit-on, en dure et en paroles, une esthétique faussaire de la résistance, dans les jardins d'agrément, les parcs fleuris où vient éclore l'urbanité des poussettes, de familles endimanchées, dans le slalom des Nike et des Rebook ; ailleurs, ce sont les squares ombragés, ou les linéaires d'arbres, sur les quais ou les avenues, arbres vils, aux rebelle écorchures (la maladie de l'air irrespirable, ou l'aveu, en cœur, que Victor aime Jessica).

    Chaque soir, l'arbre disparaît. Ne demeure plus que la froissure du vent comme signe de son existence. On l'entend. Parfois le craquement d'une vieille branche qui tombe ; ses inquiétantes cambrures au dessus de nos têtes n'amusent plus et nous leur préférons le droit et fade chaperonnage des réverbères.


    Photo : Ludovic Maillard.