usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Notule 17

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.


    Ce n'est pas d'être un plus lucide sur le monde qui rend la vie plus sombre. Au contraire : on sait à quoi s'en tenir. La désillusion, aussi, peut être vitaminée. Voici un second échantillon...

     

     

    1-Marc Fumaroli, L'État culturel, Fallois, 1991 (LdeP, 1999)

     

    2-Philippe Muray, Après l'Histoire, Folio, 2000

     

    3-Jordi Vidal, Servitude & Simulacre, Allia, 2007

     

    4-Ippolita, Le côté obscur de Google, Rivages Poche, 2008

     

    5-Francesco Masci, Entertainment !, Allia, 2011

  • Vapeurs journalistiques

     

    le monde,italie,beppe grillo,berlusconi,élections italiennes,corruption,populisme,démocratie,front naitonal,philippe ridet,protestation,légitimité

     

    Je ne connais pas Philippe Ridet. Je n'ai rien contre lui. Je pourrais éventuellement envier le fait qu'il vive à Rome, c'est tout. Il est le correspondant du Monde dans la Ville éternelle.

    Ce n'est pas l'homme qui m'intéresse mais la fonction, et dans la fonction la posture implicite qui se dévoile, et qui me paraît refléter l'hypocrisie majeure de l'univers médiatico-journalistique.

    À la suite des résultats électoraux de la fin février, dont les faits les plus remarquables (ceci écrit sans jugement de valeur) sont l'insubmersibilité de Berlusconi, l'émergence du mouvement protestaire de Beppe Grillo, la défiance envers la social-démocratie et le rejet de la politique « technique » de Monti, à la suite de ce grand chambardement, le sieur Ridet s'est fendu d'une lettre à ses amis italiens : « Chers amis italiens, cette fois, vous avez fait fort », en date du 4 mars, consultable sur le site du Monde.fr...

    On sait quelle forme prend l'amitié, le plus souvent, dans ce genre de circonstances. C'est moins une déclaration d'amour que l'expression d'un dépit. L'auteur se place délibérément dans le registre de l'affect, ce qui ne laisse d'étonner quand on fait du journalisme. Les humeurs ont-elles leur place à cet endroit ? Oui, si un espace y est clairement dévolu. J'ai plus de doute, quand le geste procède des circonstances. Les sentiments de Philippe Ridet, ou d'un autre journaliste, m'importent peu. Ils sont même la dernière chose que j'attends de lui (1).

    Il n'est pas question de faire une analyse exhaustive de l'objet. Je renvoie à sa lecture  complète toujours possible. Je m'en tiendrai à deux pièces symptomatiques.

    Après avoir rappelé combien il aimait l'Italie, ses singularités, sa culture, ses mœurs, l'espace et les gens, Ridet finit par écrire que devant les résultats de février, il est «en colère». Monsieur Ridet est en colère ! Fâché tout rouge, il est ! Il avait jusqu'alors supporté beaucoup de l'inconséquence transalpine mais cette fois, ils sont allés trop loin ! Ils lui ont déplu ! Ils n'ont pas fait ce que lui, le sieur Ridet, attendait d'eux. On peut difficilement faire plus fort dans le registre de l'outrecuidance. Il aurait donc fallu, du moins peut-on le supposer, qu'avant d'aller aux urnes, les citoyens italiens consultassent la lumière Ridet afin de rester dans les clous. Le journaliste se fait donneur de leçon. Au-dessus de la mêlée, il est la voix de la sagesse devant le désordre ambiant. Cela rappellera au lecteur, je pense, les cris d'orfraie de la caste journaleuse au moment du vote, en 2005, pour (et plutôt contre) la Constitution européenne. La petite phrase de Ridet n'est pas une erreur, une faute de style, pas un excès de langage : elle est la trace de ce droit que s'est arrogé le monde journalistique face aux événements. Ils sont progressivement devenus des « généraux sans armée qui voudraient s'assujettir le monde » (Musil).

    Dans le cas d'un vote, on s'étonne. À moins de considérer que Ridet, comme d'autres de son espèce, ait une conception assez étroite de l'expression démocratique... Celle-ci ne serait plus un droit au choix mais un devoir à voter comme il faut ! Magnifique perspective ! Concernant le vote d'un pays étranger, on frise le délire d'ingérence. Depuis quand puis-je être en colère pour un vote où je ne suis pas moi-même pas impliqué (2) ? Quand la Russie vote Poutine, l'Espagne Rajoy, le Royaume-Uni Cameron, les États-Unis Obama, je dois être en mesure, si je suis journaliste, d'en analyser les motivations, les conditions et les effets, nullement de traiter le choix des autres en termes épidermiques. Mais la caste journalistique, dans la bulle médiatique hypertrophiée où elle opère, s'est persuadé qu'elle savait mieux que tout le monde. En regard de cet effet, elle a substitué à la pensée le sentiment et la croyance. Elle s'est forgé une légitimité dont elle assure elle-même la promotion. Philippe Ridet peut exprimer sa colère, sa colère être publiée comme une information, comme un sens face aux contre-sens démocratique, et nul n'y voit un excès de pouvoir, la prétention d'un ballon de baudruche.

    Cet artifice égocentrique ne serait rien s'il ne célait un problème bien plus grave, une terreur intellectuelle plus funeste.

    Le sieur Ridet est en colère devant les dérives populistes du vote italien. Et par populisme, il désigne deux directions contradictoires : le refuge berlusconien et ses alliés de la Ligue du Nord ; le vote protestataire du M5S de Beppe Grillo. Un populisme de droite et un populisme de gauche. Il y aurait lieu, déjà, de contester ces démarcations et l'usage qui s'est répandu de voir du populisme partout, avec en toile de fond la préfiguration du fascisme.

    Comme souvent, c'est dans ce qui est dénié mais écrit que la vérité indicible affleure. Ainsi le journaliste fait-il le tour du malaise de l'élection transalpine :

    «Voici les politologues et les sociologues (ainsi qu'une armée de journalistes) au chevet de l'Italie. Tous ont cerné une partie du problème : la crise (- 2,4 % de croissance selon le dernier chiffre), la baisse du pouvoir d'achat (- 4,3 % de consommation), le chômage (11,2 % de la population active), l'austérité imposée par Bruxelles et Francfort (300 milliards d'euros d'économie et de taxes nouvelles jusqu'en 2014). Ces experts ont écouté vos plaintes sur la corruption, sur la "caste des élus" et ses privilèges. J'ai aussi parlé avec des jeunes diplômés qui n'en peuvent plus de cette gérontocratie qui s'accapare les postes. Avec des retraités qui, chaque premier du mois, font la queue à la poste pour une pension de moins de 1 000 euros.» 

    Devant ce constat d'un délabrement profond tant politique, économique, social que culturel, il tire la conséquence logique pour lui que la raison démocratique doit trouver sa voix dans une confiance nécessaire en la social-démocratie. Devant le tableau de la démocratie transalpine déliquescente, il est plus qu'urgent et censé de s'en remettre à ceux qui ont été les fossoyeurs de la démocratie :

    «Partout ailleurs, le résultat aurait été couru d'avance. Mais vous, vous avez bien failli élire le premier pour une quatrième fois (il s'en est fallu de 150 000 voix à la Chambre), vous avez éliminé l'économiste qui, il est vrai, vous avait assommés d'impôts, et vous avez probablement empêché le social-démocrate de devenir un jour président du conseil.»

    Ce n'est même pas la reprise de la formule du comte Salinas (« Il faut que tout change pour que rien ne change »). Ridet pose comme acte raisonnable : « il faut que rien ne change pour rien ne change ». Peut-il envisager, soit : faire entrer dans le périmètre intellectuel de son analyse, hors des beaux quartiers romains, du Montecitorio, du Quirinale et du Palazzo Madama, que c'est le cadre désolant lui-même dans lequel évolue le peuple italien qui le pousse à récuser la social-démocratie. Les voix de Beppe Grillo sont le fruit des compromissions, du népotisme, des concussions, des ententes mafieuses, etc. Demander à ce que ces voix se taisent, c'est non seulement absoudre les fautifs mais aussi culpabiliser les électeurs sans autre forme de procès.

    Le vote, à tort ou à raison, est pour certains le dernier moyen de s'y retrouver, de ne pas sombrer. Exiger qu'ils fassent comme si de rien n'était, telle est l'escroquerie morale et intellectuelle qui couvre l'indignation du sieur Ridet. Moraliste saumâtre qui demande aux pauvres, en plus de leur misère, d'être irréprochables. Robespierre dénonçait déjà ce travers  bourgeois vis-à-vis de la populace : la misère et en plus la vertu.

    Le vote dit protestataire n'est pas le fait d'une tension épidermique mais l'endroit d'une faillite qu'on ne veut pas reconnaître comme faillite. Et si l'on veut, pour un temps, revenir en France, c'est sur le même mode que l'on considère le soutien au Front national ou à Mélenchon. Un geste de mauvaise humeur, des relents fascistes, xénophobes, poujadistes, etc., alors qu'on ne veut pas voir que les partis de gouvernement se caractérisent par leur pourrissement (3). Or, de ce pourrissement-là, il n'est jamais question. C'est une abstraction ! Les belles âmes ne veulent pas croire qu'il puisse bouleverser l'électorat et l'engager hors des sentiers de la social-démocratie libérale, version eurocrates bruxellois !

    On peut toujours comme le sieur Ridet se draper de toutes les vertus. C'est facile ! Comme il est facile, et c'est mon cas, de se réfugier dans l'abstention, quand son statut de petit bourgeois, vivant bien, en milieu protégé, ne sait rien, ou si peu, de ce que sont les existences douloureuses des relégués du travail, du droit, et de la reconnaissance. Ceux-là même qui sont les rejetés de l'agora, et dont on voudrait, comme le réclame Ridet and co qu'ils votent juste. Voter juste, c'est-à-dire qu'ils votent bien, comme il faut, et qu'ils se contentent de cela, et qu'ensuite ils ferment leur gueule !

    Que devant cette réalité, celle d'un vote désespéré (plus qu'il n'est désespérant : ce serait trop simple), un journaliste du Monde détourne le regard et joue les délicates du XVIIIe qui s'offusquent. Il est pitoyable, mais le pire est évidemment qu'il n'est pas un phénomène isolé. Il est en quelque sorte le modèle qu'on nous impose...

     

    (1)On se souviendra de l'emportement ridicule de Mazerolles sur BFM au moment de l'élection du président de l'UMP.

    (2)Je laisse de côté le débat ici secondaire du droit de vote accordé aux citoyens européens dans le cadre de l'EU.

    (3)C'est Fillon qui parle, au sein de son parti, de pratiques mafieuses, pas moi. C'est le PS dont les fédérations les plus importantes, Nord-Pas-de-Calais et Bouches-du-Rhônes, sont empêtrées dans des affaires désastreuses.


    Photo : Gaëlle Josse.

  • Publication -Lord Arthur Savile (II)

    Lord Arthur Savile.jpg

     

    Aujourd'hui, sur le site des éditions Roymodus, deux planches inédites de Marc Salet ainsi qu'un texte de moi sur l'écriture des dialogues.

  • L...

    Les gonds de la porte rouilleront moins vite que toi qui ne veux pas l'ouvrir.

  • Benoît XVI et Daniel Darc

     

    C'est curieux, parfois, d'être loin, même si la distance est modeste. Mais simplement dans un endroit où la langue maternelle ne circule pas et qu'on ne fait pas attention aux kiosques à journaux, pour guetter des nouvelles de chez soi. D'être à l'étranger, et de trouver cette situation assez reposante, parce qu'elle n'a pas besoin d'éveiller en vous une tension, un mouvement d'indignation. Il y a comme une manière, même, de relativiser, d'ajouter une couche à la dérision de ce qu'on nous monte en épingle, qu'on nous fait prendre pour l'alpha et l'omega du monde, parce que nous ne cessons jamais d'être au centre, et de tracer des ronds autour de ce cœur hypertrophié. Pourquoi pas ?

    Mais rire, donc, de suivre à la RAI la déconfiture politique jusqu'à l'extrême du jeu démocratique, de voir des gens débattre sur ce qu'il faudrait désormais engager comme réforme pour qu'on sorte de ce bourbier, et qu'un vulgaire Cavaliere puisse sans cesse être sur le retour, et que le premier parti péninsulaire soit aujourd'hui celui d'un comique qui vitupère, charge, crie, éructe en voulant renvoyer tout le monde a casa.

    On s'engueule sur les plateaux télé, on réclame qui Monti, qui un nouveau vote, qui un gouvernement d'union nationale. C'est comme ici, le ici de chez vous, de chez moi. La duplication d'un air qu'on a connu. Seule la version change, je veux dire : la langue. Encore faudrait-il dire : l'idiome, car sur le fond, c'est la même langue de bois, la même putréfaction.

    On hésite entre le désarroi, de cette classe politique à demeure alors qu'elle pue de tous ses pores, et le sentiment honteux qu'il s'agit d'un état général, que ce serait même, peut-être, le fondement de la démocratie : des crabes, une marée basse, la vase, des urnes...

    Sur la RAI, c'est Grillo, le trublion, dont l'establishment attaque le populisme. Air connu qui rappelle à chacun des jours passés. Grillo, c'est, à certains égards, le Le Pen spaghetti. Pas le même bord, pas les mêmes idées (pour le si peu qu'il en développe), mais la même indignation contre lui des gens sérieux et responsables, ceux du déni démocratique de 2005, ceux de l'euro contre les peuples, ceux du parlement bidon à Strasbourg, ceux de l'espace Schengen, ceux du libéralisme à fond la caisse...

     

    grillo.jpg 

    Sinon, il y a CNN, et là, c'est Benoît XVI resigns, avec vue sur la place Saint-Pierre, les dernières minutes pontificales, John Allen qui développe des hypothèses, le cardinal Dolan ironisant sur ses chances, de comiques journalistes s'interrogeant sur les chantiers du futur pape : le mariage des prêtres ?, l'ordination des femmes ?, et alors, dit l'un, pourquoi pas des femmes évêques, archevêques, cardinaux et... Celui-là a dû relire La Papesse Jeanne de Lawrence Durrell en buvant un double scotch.

    On reste sérieux. Un homme se retire ; un homme qui a parlé au monde, qui parle encore au monde. Un vieil homme qui marche avec une canne, dont la diction est bien moins claire qu'il y a encore quelques mois, un homme annonçant sa révérence et son obéissance à celui qui lui succèdera, un homme ému au balcon de la résidence de Castel Gandolfo venant remercier les gens du lieu qui lui rendent hommage, leur parlant de ce qu'il est redevenu, « un simple pèlerin qui commence la dernière partie de son pèlerinage sur la terre » (1), avant de leur dire « bonne nuit ».

    Chaque soir, CNN essaie de creuser le mystère de ce renoncement et ceux d'un chapître imprévu (et imprévisible) de l'Église catholique et du monde. Chapître dont n'ont évidemment rien à faire les illuminés gauchistes dont j'avais oublié la logorrhée libertaire. Car, d'une certaine façon, j'en suis là : la RAI et CNN, Grillo et Benoît XVI, en version originale, sur les manchettes de journaux, aussi, me reposent de toute cette lie gauchiste qui s'arroge le droit de dire le vrai et le faux, le juste et l'injuste, le bon et le mauvais, l'original et le passé, le moderne et le réactionnaire, la tendance et le croupissant.

     

    Pope-Benedict-XVIs-farewe-010.jpg

    Je les oublie jusqu'au dernier jour, quand, sur le chemin de la gare, je m'attarde devant un kiosque. Le Monde, Le Figaro, Libération. Libération : son titre et le haut d'un crâne. Je tire le journal pour savoir à qui est dévolu cette pleine page. Et, en une fraction de seconde, je les retrouve tels que je les avais laissés (sinon qu'alors c'était le visage de Marcelu Iacub...) : pathétiques et creux. Daniel Darc est mort. Paix à son âme. Le journal est lui plus en verve. Daniel Darc en ciel (2). Que ne feraient-ils pas pour un jeu de mots...

    daniel darc.jpg

    Je ris, évidemment. Pour les gens de ma génération, Daniel Darc, c'est un minois un peu efféminé, une musique composée sur un orgue Bontempi (après trois leçons, on pouvait se lancer), Cherchez le garçon, le titre qui a fait connaître son groupe. Daniel Darc, c'est Taxi Girl. Rien de mémorable, et sans doute n'en aurais-je qu'un souvenir vague si un ami, au lycée, ne jurait que par eux. Taxi Girl, c'est un titre, dans un format musical d'une médiocrité confondante. Une chanson, et on ferme. L'après Taxi Girl est une odyssée cahotique entre la drogue et les tentatives underground pour resurgir quelque part. C'est de la mythologie de midinette, comme on peut en fabriquer au kilo, au mètre ou à la page. Cela s'appelle pisser de l'encre.

    Tout est dans la photo choisie, dans ce noir et blanc expressionniste, ce jeu facile et mille fois reproduit, d'un homme lumineux hanté par ses démons (3). La réactivation de l'artiste maudit.

    Et puis, c'est revival, pour les uns, et nostalgiques pour les autres. Parce qu'il ne s'agit pas de se méprendre. Libération et ses troupes ne détestent pas la nostalgie. Loin de là. Mais dans ce domaine encore ils décrètent. Le portrait de Daniel Darc en une est une forme d'appropriation multiple du passé (passé proche, il faut le dire). Nos jeunes années, nos premières soirées, le retour des années 80 dans les soirées branchées (4), la contre-culture, le rejet des conventions et des normes. Il y a dans la récupération de ce visage (parce que je ne suis pas certain que l'intéressé eût apprécié...) une manière de définir ce qui mérite hommage, ce qui fait la culture, ce qui fait le monde, ce qui fait le contemporain. Libération a le droit d'être nostalgique, parce que sa nostalgie est propre, digne, respectable. Elle ne se construit dans la culture bourgeoise, s'entend ; sa nostalgie est jeune, libertaire, vivante, et elle compte bien plus que les vieux débris qui s'émerveillent encore de la littérature (5).

    Le monde continue de s'entre-déchirer. La politique s'agite. Le désordre règne. Peu importe : une icône est morte. Pleine page ! Disons-le nettement : il y a comme un déficit dans la représentation. Aller chercher Daniel Darc pour faire la différence (6), c'est faire les fonds de tiroir. Il fallait vraiment ne pas faire un titre sur le départ de Benoît XVI.

    C'est, en effet, sur ce plan que l'affaire se joue. Ce chanteur est mort au bon moment. Une affaire de timing. Pour occulter le visage du souverain pontife, pour faire que rien de lui ne soit visible. À la place, un artiste. N'importe lequel, pourvu qu'on puisse broder sur lui. Le lecteur moyen pouvait comprendre les unes sur Bashung ou Salvador, sur Yves Saint-Laurent ou Michael Jackson. Mais Daniel Darc... Mais il meurt le 28 février, le jour où Benoît XVI renonce...

    Du coup, si l'on revient à la photo en une, on comprend mieux son choix. La croix tatouée. La vie tatouée à même la peau. Une spiritualité à même la peau. Pendant qu'un vieux con se barre à Castel Gandolfo, Libération (alleluia) nous offre une silhouette quasi christique. Un mec qui chante, qui vous chante, pas un has-been qui jacte en latin. Benoît XVI ou Daniel Darc : choisis ton monde, ta religion, ton temps...

    Y a-t-il lieu de s'indigner ? Pas arrivé à ce point. Cela ressemble trop à ce qu'est devenu Libération : un repaire d'adolescents attardés qui voudraient assujettir le monde à leur fantasme libertaire. Ils veulent être les seuls à dire ce que doit être le monde. Staline demandait : « Le pape, combien de divisions ? ». Ils en sont encore là. Ils sont pathétiques de puérilité.

    Mais le pire est que dans le marais du parisianisme, ils ont des appuis, et nombreux. Pas de doute que des gens bien, ouverts, à la nostalgie ciblée auront apprécié ce gimmick underground, cette ironie subtile (forcément subtile) qui efface le pape.

    C'est une manière de populisme mondain, fier cul et arrogant. Ils peuvent baver sur Grillo, ils peuvent baver sur le pape. Je leur préfère, et de loin, et Grillo et le pape (le présent et celui à venir). Ils sont, pour détourner Pascal, « inutiles et incertains ».

     

     

    (1)Ce qui nous vaut des traductions fausses, comme celle du Point qui écrit : « un simple pèlerin qui achève la dernière partie de son pèlerinage », ce qui n'est absolument pas la même chose. Passons...

    (2)Réutilisable pour Mireille Darc...

    (3)Pas lu une ligne de Libération, bien sûr, mais faut-il être grand clerc pour deviner ce qui s'y écrit.

    (4)Mais sur un mode distancié. La distance est un fondement de la distinction sociale. Relire Bourdieu sur ce point. C'est l'accordéon de VGE.

    (5)Libération fera-t-il une pleine page à la mort d'Yves Bonnefoy ? Je parie que non.

    (6)Certain qu'une telle une, ni Le Monde, ni Le Figaro, ni La Croix, ni même Le Parisien n'y auraient pensé. Les Inrocks, oui... Mais Les Inrocks....

  • Grain

    biancuzzi_01-jpg.jpg

    Tu ne le sentais pas, les jours de beaux temps. C'était, au fond, comme si tout avait concouru à ton bonheur. Le ciel était bleu, le soleil fringant, et le sable donc, d'une douceur qui te chatouillait la plante des pieds. Mais comme tu n'étais pas enfant à t'effrayer de la lourdeur des cieux, tu ne renonçais jamais et tu allais te baigner les jours de vent et de courroux. Tu avais des frissons en arrivant sur la plage ; tu jetais à la volée ta grande serviette (des motifs d'arabesques, bleu sur blanc) et tu te précipitais. À la sortie, tu n'avais plus que ton courage plus frissonnant encore pour reprendre tes biens. Il avait commencé de pleuvoir, à peine trois larmes (comme celles qui te venaient, du sel sur les paupières), et tu courais. Quelques gouttes, certes, mais qui alourdissait l'atmosphère, et lorsque tu atteignait la limite de la grève, tu sentais combien c'était un jour gris. Le sable avait une viscosité insoupçonnée ; ses grains même semblaient plus gros et plus rudes. Tu tremblais ; vous n'étiez que quelques téméraires. Et la plage, grise, sérieuse et déserte te paraissait immense, les bâtiments qu'il faudrait rejoindre des refuges lointaines, comme si la luminosité incertaine et l'humidité ambiante avaient agrandi les distances. Encore ne serait-ce qu'une étape, car dans ces imposantes architectures tu ne séjournais pas. Il y aurait encore la route à traverser. Tu tremblais, entre bonheur et rage : tu aurais voulu ce que tu avais fait (l'eau, les vagues, le sel, le roulement autour de ton corps, pouvoir dire en rentrant ce mensonge : elle est délicieuse), puis passer immédiatement à la quiétude de la chaise longue, du pull et d'une tranche de brioche. Mais avant, il y avait la plage, longue, fastidieuse, le sable lourd et agressif, freinant ta course. La plage étirée de toute cette mer qui ne voulait pas dire son nom, mer de coquillages broyés qui te collait aux jambes, et dont tu te souviens bien mieux désormais, dont la sensation ne s'est pas effacée, alors que les jours de beau temps, oui, bien sûr, beau temps, océan calme, rien à dire...

     

    Photo : Sabrina Biancuzzi, Entre deux