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  • De Marilyn à Lady Gaga...


     

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    C'est en feuilletant les pages d'un livre de photographies (accompagnées d'un texte de Truman Capote) qui lui est consacré que l'on prend conscience combien l'image de Marilyn est imprégnée d'une constance capable de nous la rendre familière. Par delà ce qu'elle vécut et qui n'appartient qu'à elle, son visage reste le même et si de toute sa beauté pulpeuse et magique il est plutôt logique d'en retenir les accents mélancoliques de la fin, des Misfits, sa présence demeure, persiste, tout au long de sa vie publqiue. Il n'y a en elle aucune mystification, seulement l'apprêt nécessaire à ce sacrifice hollywoodien devant lequel nous avons une position si ambiguë : à la fois l'attrait d'un monde d'artifice et la désillusion de cette guerre du faux qui ne fera que s'accentuer.

    Les pages se tournent et ce toujours-là-même est la mesure désormais impensable d'un temps présent qui, lui, veut que nous soyons toujours autres, toujours dans le possible à venir, toujours dans la surprise, toujours dans le dérangement, c'est-à-dire le réarrangement de soi, dans une perpétuelle course à l'invention pour exister.

    Et de penser, par ricochets, à Lady Gaga dont des étudiantes me montrèrent l'an passé le véritable visage, ne sachant quel il était. De penser, oui, à Lady Gaga dont le transformisme incessant n'est pas qu'une marque de fabrique, une manière de se singulariser : il ressortit aussi d'une métamorphose plus profonde de l'époque identitaire. À mesure que s'affichent les revendications de cet ordre se développe le besoin d'être incessamment ailleurs. Les multiples apparences de Lady Gaga, qui ne font plus qu'un avec ses apparitions, soit : la concomitance de l'être et de sa recomposition en autre, n'ont rien à voir avec le grimage de carnaval ou le maquillage classique de l'artiste (par quoi, parfois, justement il se signe). Que l'art du maquillage soit inhérent à l'espace spectaculaire et à la mise à l'écran d'une réalité que l'on vend pour éventuellement vraie est une évidence. Que cet art qui fascinait tant Baudelaire fasse l'aller-retour entre la scène et la vie, nul ne peut en disconvenir. Il suffit de rappeler, comme un trait symbolique, que Max Factor et Elisabeth Arden, avant de monter leur entreprise de cosmétiques, furent des maquilleurs de cinéma. Mais  la problématique de Lady Gaga est un saut qualitatif aux perspectives vertigineuses.

    L'invisibilité de Stefani Germanotta (son nom à l'état civil) est d'une tout autre mesure que purent être, par exemple, les déguisements des musiciens de Kiss : elle est con-substantielle d'une disparition profonde de ce qu'elle est. Se montrant autrement qu'elle est, mais dans le dépassement programmé de ce qu'elle est déjà devenue, puisque le but du jeu est qu'on ne la reconnaisse pas, sinon dans une reconnaissance qu'elle soit inconnaissable, elle dévoile à travers le masque l'accomplissement du narcissisme suicidaire de l'époque contemporaine. L'être-autre est devenu la défaite annoncée de ce que j'ai déjà fait pour être autre. Les multiples visages de Lady Gaga sont proprement des images, des imago, ces masques mortuaires que les Latins portaient en procession aux funérailles. Ils ne sont pas ce qu'elle a pu trouver pour être mais le signe de ce qu'elle n'a pu trouver que transitoirement.

    Lady Gaga n'est pas une femme (ou un homme) mais une virtualité du temps présent, toujours présent, et donc toujours mort. Elle est une figure, un processus qui se montre au grand jour. Ses chansons, ses chorégraphies ne sont ni pires ni meilleures que le tout venant du easy listening FM. Ses produits n'ont rien de remarquable, ses talents non plus. En revanche, elle peut fasciner, par sa réalité d'objet virtuel. Un virtuel qui tendrait à devenir le fantasme de chacun. Faire de sa vie un perpétuel jeu de masques, où la réalité est suspendue de n'être plus qu'un arrière-plan permettant de se mettre en scène. C'est une course plus lourde de sens que le toujours plus du consumérisme classique, quand on pouvait croire faire la différence entre l'objet et soi. Lady Gaga, c'est l'objet en soi, l'objet de soi, et un soi diaphane, qui ne peut se fixer à rien.

    Le précurseur pop de ce naufrage est évidemment Bowie, le Bowie qui se grime en Ziggy et multiplie ensuite les accoutrements, les modes, les orientations musicales, surfant sur ce qui peut se vendre, Bowie dont on fait une expo et qui sort un album minable.

    Nous sommes loin, avec eux, de la chair de Marilyn, loin de ce temps où coûte que coûte la supposée superficielle et facile Norma Jean Baker demeurait fidèle à elle-même, et nous, fidèles à elle, parce que nous y trouvions une part de nous-mêmes, parce que nous savions que tout jeu a ses limites, parce que le fait de n'avoir qu'une vie est peut-être une désespérance, certes, mais une désespérance qui ne se contre pas en se démultipliant, en fracassant les miroirs.

    De Marilyn à Lady Gaga, il y a bien plus qu'une perte qualitative sur le plan artistique, bien plus que le triomphe de la société du spectacle : c'est la suppression volontaire et jouissive du sujet. C'est la mort de l'Autre, l'angoissante mort de l'Autre qui hantait la pensée d'Emmanuel Lévinas. Autant dire un crépuscule...

  • À l'écart

     

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    Tu es dans le train, alors que le jour passe. Les nuages font des tâches sur le blé encore ras et vert. Au milieu des champs de colza éclatant, le long d'un chemin de terre, alors que pas un édifice, bâtisse, corps de ferme, ni même mur miné, ne pointe, un rectangle petit, entretenu, militaire. Au milieu de rien, un rien qui passe comme un éclair pour toi, ce lieu commémoratif qu'on a relégué, visible de ceux seuls qui descendent vers le soleil pour trouver du repos.

    Rectangle sans destinée, sans vie, de ne pouvoir accueillir le moindre nouveau. Rectangle clos et pour tout dire définitif.

    Ce n'est pas le saisissement fugace d'une scène, comme tu te souviens de l'évocation de Réda, un rectangle vivant de lumière dans la vie, vertical et vitré, mais l'inimaginable de l'Histoire. Cette géométrie de croix éconduite du moindre hameau même, qu'un agriculteur longe aux temps des labours, de la semaille, et de la récolte, tu peux croire qu'une lointaine famille est venue y retrouver un sien. On voyait bien au loin la colonne centrale surtout dans toute cette platitude mais les chemins vicinaux étaient si abstraits qu'il lui a fallu un certain temps pour arriver à son point de chute. Un cycliste du dimanche matin, lui, s'est retrouvé par hasard, devant le petit portail de fer et, par curiosité, cuissard et maillot de la Mapei, gourde à la main, il est allé lire quelques noms qui n'ont rien évoqué. À l'heure d'aujourd'hui, a remarqué un nouvel administré, on pourrait reporter les noms sur le monument aux morts, sur la place du village, et donner la parcelle à Brisson : cela lui ferait un beau carré. Il faut bien passer à autre chose.

    Tu es dans le train, très loin désormais, toi aussi passé, et tu fomentes encore deux ou trois anecdotes possibles, comme des départs de feu.

     

    Photo : X

  • Transparence (substantif)

     

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    La transparence, ça nous regarde. Voilà bien la formule qu'on nous adresse du haut des assemblées, des couloirs dorés, des arcanes du politique. La transparence est notre droit, notre inscription égalitaire dans l'univers démocratique. Elle est la synthèse de nos pouvoirs dus par le monde qui parle pour nous. Le donnant-donnant. Homme normal ou arriviste vulgaire, ils viennent, comme des destins nus et purs le dire au citoyen : la transparence, ça vous regarde. C'est votre bien, votre blanc-seing nécessaire à notre crédibilité. Ils viennent avec comptes et bilans, dans leurs costumes inquiets d'hommes intègres, forcément intégres (et ce n'est pas tant leurs écarts qui troublent, nous ne croyons pas à la vertu du politique, moins encore à sa pleine lumière, mais leurs impossibles reconnaissances de pris-dans-le-sac.)

    La transparence. Rien dans les mains, rien dans les poches.

    La transparence, listée, légiférée, mise en scène, pour pas grand chose, en fait, car les mots doivent être remplis, être une matière et une épaisseur du monde, san quoi je peux aisément découvrir l'horreur réversible qui se cache, là et ailleurs.

    Comme cette transparence qui nous regarde, à laquelle nous nous exposons, qu'on le veuille ou non, sur les réseaux, dasn l'organigramme insondable des connections, du numérique, de la vidéo-surveillance, de la structure eye fish de l'espace, de l'historique des appels, des indices de satisfaction, des numéros de transactions, des cryptages, des cookies, des bases de données, comme cette transparence de nous-mêmes à la machinerie marchande et sécuritaire, sécuritaire parce que marchande,

    transparence sécurisée en zones, délivrant les plus nantis de l'angoisse, accroissant la terreur, ailleurs, entre miséreux.

    Transparence qui nous regarde : terrible, reptilienne et fluide. La seule, l'essentielle, toujours plus galopante et que l'on masque et protège en offrant, sans même y croire tout en dramatisant l'annonce, cette autre transparence qui ne dit absolument rien du politique.


    Photo : Elliot Erwitt

  • De...

    Cela avait commencé à son entrée dans le primaire. Pas en cours préparatoire, parce que l'institutrice était nouvelle dans l'établissement, mais dans la classe suivante, quand il avait eu monsieur Béquart (il n'avait jamais oublié son nom) et que celui-ci, à l'appel, avait marqué un temps d'arrêt après avoir levé les yeux pour identifier le nouveau qu'il était (un nouveau parmi tous les autres, puisqu'il n'y avait pas un seul redoublant), et qu'après ce temps d'arrêt il lui avait dit, à lui, et à lui seul (les autres n'auraient pas ce traitement de faveur).

    -Vous êtes le frère de Nicolas ?

    Il avait répondu timidement oui. Avec le recul, trente ans plus tard, il avait d'autres mots que ce monosyllabe. D'autres mots lui venaient, un peu agressifs.

    -Ben oui, mon grand ! Parce que des Lebray-Chassin-Galay, peut pas y en avoir des tonnes !

    Fabrice Lebray (le nom du père) Chassin-Galay (le nom de la mère). Ce qui fit de lui une bizarrerie identitaire toute sa scolarité, et au delà. Il était né à Oviedo et les Espagnols n'avaient rien trouvé à redire. Personne pour souligner à ses ascendants que la progéniture pouvait se passer de ce genre de fantaisie.

    Il devint donc, pendant les quatre ans qui suivirent, n'ayant pas la chance de tomber sur d'autres énergumènes éducatifs que ceux de son frangin, le frère de. Il fut frère de. Et le malheur voulait que le Nicolas qui ne serait jamais frère de brillât plus que lui. Ce qui lui valut, comme une deuxième couche, d'éternels parallèles dont il sortait forcément perdant. Il n'était plus alors frère de mais au regard de, en comparaison de. En comparaison de la réussite, des résultats, de l'intelligence, du brillant...

    Il crut, au collège, que l'affaire était plus jouable, le nombre d'enseignants étant singulièrement plus élevé. C'était histoire de probabilités. Sur six profs de maths et huit de français, sept d'anglais (il pensa un temps choisir l'allemand pour avoir la paix mais renonça), le sort pouvait se montrer généreux et lui donner sa chance. Évidemment, il n'en fut rien. La sixième fut un calvaire. La cinquième itou. Une accalmie en quatrième (sinon la mère Gendrot qui déplora son manque d'esprit scientifique, en comparaison de. Comme si disséquer trois grenouilles exsangues était le sommet de la scientificité !). En troisième, l'affaire recommença. L'apothéose avant la délivrance.

    Il s'orienta à l'inverse du frère bien-aimé. Pire que l'inverse : pas les lettres contre les maths, pas les langues contre le bec Bensen. Il vira de bord, fit un apprentissage en ferronnerie, au grand dam de la parentèle qui aurait bien vu un artiste, un écrivaillon dans la famille, puisqu'il tenait dans le saint Nicolas du lieu leur Pasteur fin de siècle.

    Il apprit à tordre le métal, à dompter le feu et le fer. Cela lui plut. Il rencontra Rosaline (Il l'aimait tout en trouvant qu'elle avait un prénom de cheval. Elle lui expliqua qu'en fait elle aurait dû s'appeler Rosalinde mais l'officier d'état civil s'y était opposé et pris de court le père se rabattit sur cette forme abâtardie). Elle avait, elle aussi, eu envie de marteler la matière. Elle était douée. Quelques années passèrent et un jour, à pas même vingt-cinq ans, elle eut une révélation en visitant une exposition consacrée à cet idiot de Tinguély, oui, idiot, disait-il, tant l'affaire lui semblait une fumisterie même pas belle. Ce fut un point de discorde si fort qu'il faillit réduire leur amour en capilotade.

    Nicolas entrait au CNRS.

    Il travaillait, lui, chez Paul Montero, faisait des grilles, des rambardes de balcons, des ballustrades, des aménagements d'intérieur.

    Rosaline passait la moitié de son temps à des projets sculptés délirants qui le faisaient marrer.

    Marrer jusqu'à ce qu'un Belgo-Slovène qui tenait une galerie à Bruxelles tombe sur quelques photos exposées dans un café qui la jouait underground. Il voulut qu'elle lui fournisse des œuvres. Elle s'exécuta.

    Et c'est ainsi que Rosalinde Corcy prit son envol, qu'il fallut faire des expos, des vernissages, passer des soirées où des gens beaucoup plus riches que lui se demandaient ce qu'il faisait là, l'air un peu perdu, jusqu'à ce qu'il la montre du doigt discrètement et qu'un crétin, ou une idiote, ne puisse s'empêcher de conclure :

    -Ah, oui ! Vous êtes le compagnon de...

    Et la phrase était étrangement suspendue, comme s'il n'avait pas fallu écorcher le nom de l'autre, comme s'il était impensable, au fond, de les associer...

  • Bruxelles, capitale funèbre...

     

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    Que l'artificielle Belgique ait donné, par sa symbolique capitale clivée, l'identité bureaucratique d'une Union européenne qui n'existe que pour les boutiquiers, les affairistes et les voleurs, est, pour reprendre Hegel, "une ruse de l'HIstoire". Comme quoi, ce qui n'a jamais été peut réussir à faire que nous ne soyons plus. L'absorption d'un trou noir en quelque sorte...


    Photo : Charles le Bresseler

  • Ne jamais se départir politiquement d'une grimace de joie...

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    Claude Monet, La rue Montorgueil -Fête du 30 juin 1878, Musée d'Orsay, Paris.


    "Pendant que les fonds publics s'écoulent en fêtes de fraternité, il sonne une cloche de feu rose dans les nuages"

                  Arthur Rimbaud, "Phrases", Illuminations.

  • La gauche libérale (II) : le coût du devoir

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     Commençons par un petit rappel : nous devons aux théories pédagogistes des gauchos post-soixante-huitards (les mêmes qui ont protégé leur marmaille en les plaçant, via un contournement sournois de la carte scolaire, dans les meilleurs établissements publics, ou dans le privé...) la faillite intellectuelle dans laquelle se trouve désormais le système éducatif français. On ne dira jamais assez combien la prétention vulgaire d'un Philippe Meirieu aura assombri l'horizon hexagonal. Il est un des plus sinistres énergumènes du dernier quart du XXe siècle. En substituant l'apprendre à apprendre à l'apprendre seul, en gonflant, à coup de mots oiseux, de formules bidon, de procédures creuses, le contenu par le contenant, il a participé de la haine de la culture dont avaient besoin les tenants les plus ardents du libéralisme dur.

    Penseur raté et méprisable (parce que méprisant), Philippe Meirieu est un objectif collabo du tournant libéral. L'abandon des référents culturels, la mise en avant du savoir de l'élève (c'te blague...), l'égalitarisme entre le maître et l'élève, le renoncement à la chronologie (quelle soit historique ou littéraire), le nivellement des valeurs, tout cela avait besoin d'un vernis populaire et d'un rhéteur magnifique, tout cela avait besoin d'un toc scientifique et d'un Diafoirus éducatif. Et pour que la pilule soit acceptable, il était préférable d'aller chercher le maître d'œuvre, non chez un vrai libéral incompétent et intéressé, mais chez des gauchistes bredouillants un catéchisme vaguement social. Ce fut donc, pour le pan syndical, le SNES, pour le plan politique les ministres des gouvernements Mauroy and co (mais la droite avait déjà flairé l'intérêt d'un donnant-donnant avec la réforme Haby de 1976), pour le plan bureaucratique, les IUFM (où des enseignants ridicules et imbus d'eux-mêmes pantouflèrent joyeusement), pour le plan des idées (!!) le pédagogue Meirieu.

    C'est un principe fort ancien : pour faire passer ce qu'on désire, il est parfois préférable de créer des complicités auprès de ceux qui produisent des idées afin se faire une niche dans le paysage. Au propre de l'étymologie grecque : des cyniques. Et les cyniques de gauche ont une maîtrise de la dialectique remarquable.

    Collabos donc d'un système qui feignait de vouloir le bien du peuple, des petites gens et des enfants de ces petites gens, ils ne faisaient que renforcer le terrible rouleau compresseur des inégalités de classe. On ne peut pas leur en vouloir : ils ne croient pas aux classes en tant qu'élément discursif et procédure d'analyse politique. Ils savent qu'elles existent mais veulent à tout prix les ignorer. Rappelons encore une fois que la gauche mitterrandienne s'est convertie au modèle ethnique et communautariste anglo-saxon et que l'ouvrier à la chaîne, surtout quand il s'appelle Dupont, ne les intéresse plus. Il n'est plus électoralement porteur.

    La destruction de l'école comme sanctuaire du savoir était leur but, en même temps qu'elle était l'attente des libéraux (des rêves de Brzeziński aux volontés de l'OCDE en matière d'éducation). Pour le coup, ils auront au moins réussi quelque chose en trente ans...

    Leur mépris en la matière est tellement souverain qu'ils ne se cachent plus. En témoigne la décision de Vincent Peillon de supprimer les internats d'excellence. Ces internats d'excellence étaient destinés à des enfants de milieux sociaux défavorisés, que l'on retirait pour la semaine d'un univers violent et pauvre, afin d'établir des conditions de travail capables de leur donner l'envie et les moyens de réussir. Une enquête qui vient d'être publiée soulignait les effets bénéfiques d'un tel choix.

    Ce choix avait un coût et Vincent Peillon a jugé que ce coût était trop élevé.

    J'attends donc que dans la semaine le même Vincent Peillon

    -Supprime Normale Sup qui permet à des étudiants de bénéficier de conditions d'études exceptionnelles, pour un coût exhorbitant, sachant que les normaliens sont pour l'essentiel le produit d'un conservatisme de caste que dénonçait déjà (et cela date) Pierre Bourdieu. Au moins les aide-t-on au mieux en les guidant comme il faut dans l'exercice des concours... Ils ont le droit à une bibliothèque qui leur est propre, ouverte H24, par exemple. L'escroquerie est d'autant plus grande que les meilleurs normaliens, qui sont censés enseigner après l'agrégation, filent aussi à l'ENA (Wauquiez, Le Maire, Fabius, Juppé) pour faire carrière en politique...

    -Supprime Science-Po, dont les dépenses par étudiant mériteraient qu'elles connaissent elles aussi la rigueur budgétaire. Il faut croire que l'aisance que s'était attribué le défunt Descoing n'embêtait pas grand monde et que les conditions faites à ceux qui se prétendent la future élite politique et médiatique de la nation doivent être à la hauteur de leur vanité. Science-Po est le terreau de ce qui mine notre actuelle démocratie : le triomphe du vernis intellectuel et des éléments de langage tirés de la com. Tout cela pour masquer une uniformité de penser. Science-Po est un titre, et rien de plus. Et tout comme l'ENA, mais bien plus que l'ENA, cette institution est la gangrène de la nation. Elle demeure parce qu'elle est le levier des nantis et des affidés pour pouvoir reproduire, et reproduire encore les valeurs dominantes. Science-Po, c'est la sécurité de l'emploi d'un petit monde, dont les thuriféraires socialistes ont leur part qu'ils comptent bien préserver. Et, dans cet esprit, l'étudiant de Science-Po ne sera jamais trop cher.

    -Revoit les droits universitaires des classes préparatoires. Est-il normal que cette espèce protégée (le prépa...) soit, en plus, celui à qui on ne demande rien.

    S'il faut faire des économies, il n'y a pas de problème. On est capable d'en faire. Mais évidemment, cela ne se fera pas.

    Pourquoi ?

    Parce qu'en ces lieux, le pédagogisme n'existe pas. Ce sont les lieux de la reproduction élitaire (et non de la production élitaire), ce sont les lieux de l'entre-nous où les nuances entre la gauche et la droite s'effacent, ce sont les lieux où, justement, l'allégeance au libéralisme bien compris se fait. Il n'est donc pas question de revenir sur les privilèges (les vrais ceux-là...) qui garantissent aux mêmes de conserver leurs positions.

    L'économie prime, lorsqu'il s'agit d'infliger aux plus pauvres les diktats de la logique libérale. Et Peillon, aspirant Premier Ministre cramé par son ego et son incompétence, avait déjà donné le la quand il a décidé de supprimer les devoirs à la maison dans le primaire. Là encore, le vernis égalitariste a voulu masquer les effets réels de cette décision. En apparence, lutter contre la discrimination entre ceux qui ont de bonnes conditions chez eux et les autres. En réalité, promouvoir insidieusement un modèle américain dont on connaît la double conséquence :

    -vider jusqu'à pas grand chose le contenu de l'enseignement

    -offrir une mane aux institutions privées, aux cours particuliers, etc. pour les familles qui contournent cette règle et assurent une sorte d'éducation cachée à leur progéniture.

    Ce n'est pas la privatisation de l'enseignement, évidemment. Parce que, lorsqu'on est de gauche, c'est impensable. Ou pour le dire autrement : inavouable, parce que les socialistes sont aussi libéraux que les partis de droite, l'hypocrisie en plus. Donc pas une privatisation, mais, peu ou prou, une mise en place de l'article 22 : démerdez-vous. Et dans cette optique, mieux vaut ne pas être dépourvu...


    Photo : AFP

  • Le flou

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     Parfois c'est ainsi. Le flou, et dans le flou, quelque chose qui s'écarte, tout en ne se détachant qu'indistinctivement, ou partiellement, de l'ensemble, de la globalité que tu perçois. Un jour, un objet dans une vitrine devant laquelle tu passes à vélo, à toute vitesse, un autre jour, le reflet dans la vitre qui fait miroir d'un homme en train de se raser, alors que tu t'assoupis à l'arrière de la voiture, un autre jour encore, devant un écran de photos noir et blanc, un cliché que tu dirais, dans un contexte différent, mal cadré, et pas net.

    Les phares des voitures empilées ne sont pas des yeux morts. Ils ne sont plus, tu as trop grandi, des visages avec lesquels tu t'amusais d'histoires invraisemblables, comme des citrouilles d'un temps d'Halloween qui n'existait pas encore.

    Les phares flous des voitures. Les voitures empilées, en concrétion d'histoires elles-mêmes, qui filèrent des routes et des chemins (comme des métaphores), des musiques à fond l'auto-radio, des engueulades de famille et des baisades sur la banquette arrière. Puis un jour, après tant de pérégrinations et d'aventures, de bas-côtés en gadoue, de bandes d'arrêt d'urgence et d'aires d'autoroutes, un nouveau carrosse. Et pour l'ancienne, une revente, le prix de l'argus. Parfois hors-cote. La toute première, tu t'en souviens : une quasi épave, du temps où le contrôle technique n'existait pas.

    À la casse. En pièces détachées.

    Des souvenirs à feuilleter. Un feuilletage de ce qui a été, et dont tu as, parfois, une image exacte, une quadrichromie de mots qui donnent, dans ta tête, une vérité au parcours. Le proche et le lointain. Parfois, en revanche, le moment s'est étrangement simplifié : le noir et blanc domine. Le lieu et les êtres sont là mais il manque l'esprit du temps, sa saveur. Parfois, encore, c'est un reliquat de ce qui fut vécu. Le flou. Ta parole est un carrelage où des pièces ont sauté et dans ta tête, il y a bien quelque chose qui demeure, une résistance à la disparition qui prend la forme d'une sensation, un cliché ténébreux auquel tu interdis de toutes tes forces qu'il disparaisse.

    C'est le flou, et tu es comme un homme venu chercher une pièce d'occasion (un pare-choc ou une portière) et dans le labyrinthe de la casse ton âme sourit et s'inquiète, s'agace et s'amuse. Tu étais venu pour un objet précis mais tu vois des traces qui te promènent ailleurs. Tu reconnais, là, un modèle dont tu eus un exemplaire, quarante ans auparavant, ici, une carcasse dont tu es sûr qu'elle fut tienne, il y a trente ans. Et avec ton petit portable, tu prends une photo.

    Une photo floue, que ton appareil gardera en mémoire...


    Photo : X...

     

  • Philip Glass, soliste ou orchestral

    Opening : tu ouvres la boîte...









    Closing : tu fermes les yeux



    Compositions intiale et finale de Glassworks (1981)

  • Ce qui devient lointain

     

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    La disparition de Margaret Thatcher ne me bouleverse pas. D'abord parce qu'elle était vieille, ensuite parce que, si elle fut une affreuse ultra-libérale, elle eut le mérite de l'être clairement, ce qui, au regard de la tripotée de faux-culs socio-démocrates européistes qui sont venus après, affadit son œuvre. Celle-ci n'est pas si loin du massacre social que l'on nous sert depuis Maastricht. C'est bien là un des effets de l'horreur politique qui se déverse sur nous depuis vingt ans : nuancer Thatcher. Qui l'eut cru ?

    Sa disparition ne me fait ni chaud ni froid, mais je pense aussitôt à ce que fut le dégoût du groupe lycéen que nous étions quand le 5 mai 1981 nous apprenions la mort du député IRA, Bobby Sands, après 66 jours de grève de la faim, à la prison de Maze. Nous étions jeunes et sensibles, peut-être. Nous étions surtout révoltés qu'un représentant politique fût ainsi traité dans une démocratie qui nous balançait son Habeas Corpus rituel comme le comble de sa vertu civilisatrice.

    Mais étions-nous, nous-mêmes, si grands, et pas un peu dans le spectaculaire tout de même, d'être ainsi en colère, et d'oublier que Sands n'était alors que le premier d'une série de dix, à mourir, entre mai et août 1981 ? Pourrions-nous nous souvenir, si l'occasion de nous revoir se présentait, que deux jours après avoir chanté le mitterrandisme triomphant, un autre homme, Francis Hugues, était mort lui aussi. Et de lui, je n'ai nul souvenir. Je n'ai nul souvenir que nous en ayons débattu. Le flot d'information passait, notre bonheur nous occupait, l'Irlande tout à coup était loin, et Margaret Thatcher à moitié amnistiée, d'une certaine manière.

    Suffit-il de blâmer la force dévorante de l'information pré-digérée et celle du flux qui fait passer de vie à trépas les malheurs, les tragédies du monde, quand on est soi-même capable de trier, selon ses humeurs, belles ou sombres, la valeur des morts aussi proches soient-elles...