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  • Du danger de l'insignifiance.

     

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    Fallait-il se contraindre à écouter pérorer télévisuellement le si normal président de la République, hier soir ? Certes non. Il suffisait d'attendre les comptes rendus du lendemain pour vérifier une fois de plus que rien n'en était sorti. Il en eût été autrement que je m'en fusse étonné.

    François Hollande est comme un livre grand public. Le nom de l'auteur et le titre sont une invitation au pays des songe-creux. La quatrième de couverture et on en a fait le tour. Encore serait-il hâbleur, orateur vaguement sophiste que l'on pourrait passer un agréable moment de spectacle. Mais, sur ce plan-là aussi, il est terriblement mauvais, avec une articulation et un phrasé désastreux. Sa victoire de juin 2012 est le fruit d'un malentendu, c'est-à-dire une situation qui renvoyait à deux paramètres distincts mais complémentaires :

    1-du point de vue de Hollande lui-même, la vacuité en trompe l'œil de son programme (vacuité au sens où il ne différait en rien, sur les principes économiques notamment, de celui de Sarkozy, et il faut être bête comme un journaliste de Libération pour poser ce matin la question « Hollande est-il encore de gauche ? ». Il ne l'a jamais été !)

    2-du point de vue de Sarkozy, la cristallisation du rejet de sa personne.

    Tout cela est une affaire de bruit, de parasitage, comme dirait Shannon. L'égocentrisme sarkozyen, la suffisance de l'hyper-président (1), l'auto-glorification et la vulgarité du bling-bling ont été les vrais indices de l'orientation démocratique, ce qui en dit long sur la santé de la démocratie hexagonale. Sarkozy était le point nodal de l'équilibre politique et de ses variations. Grenouille hypertrophiée, il apparaissait à toute heure, en toutes circonstances, pour n'importe quel sujet. Il fallait donc que tout se fît face à/contre lui. Il était un signe plein. Ce constat ne suppose nullement que ce signe qu'il était avait un sens précis, cohérent, valable, tant il est vrai que désormais le « faire-signe » suffit à créer de la valeur politique (comme il y a une valeur marchande).

    Sarkozy était un signe plein, voire débordant. Il occupait le terrain ; il nous occupait, à défaut de s'occuper de nous (2) ; il nous préoccupait. Ce tir de barrage qu'il entretenait, en vue de sa victimisation, et qu'entretenaient ses ennemis socialistes, en vue de leur réussite électorale, a masqué l'abandon du politique qui nous guettait. L'histrionisme sarkozyen a été un spectacle ; il a été le spectacle auquel ont participé les parties prenantes politiques et sociales du pays, parce qu'elles y trouvaient leur compte, présent ou à venir.

    Ce signe plein a concentré tous les maux/mots du moment. Il était la tension même de l'espace politique français et sans lui, jamais Hollande n'aurait été élu. Jamais il n'aurait pu jouer sur le registre de l'homme normal. Jamais monsieur Hollande n'aurait fait son entrée à l'Élysée. Cette normalité n'avait rien à voir avec la common decency d'Orwell. Elle n'était qu'un artifice communicationnnel, une posture, un positionnement marketing. L'affaire a réussi. De peu ! Oui, de peu, car il faut avoir un esprit sévèrement encarté pour ne pas voir que les 48,5% de Sarkozy sont un exploit qui en dit long sur l'illusion Hollande, dès le départ. La normalité avait déjà des limites. Sa vocation (?) à être monsieur tout le monde pouvait tenir comme slogan électoral, tant que le signe plein entrait dans le processus combinatoire. Mais après...

    De la normalité du corrézien, il a vite fallu déchanter. Il ne va pas au Fouquet's ; il n'est pas l'ami de Bolloré, mais on trouve chez lui un souci de l'État socialiste, du copinage et des équilibres partisans qu'on en revient vite. Sa normalité de preneur de train et d'aviateur en lignes régulières, elle ferait rire s'il n'y avait pas du tragique à l'horizon.

    La normalité, c'était, face au signe plein, l'exaltation de l'axe moral. Hollande imposait un semblant d'éthique face à l'arrogance. Une fois le signe plein sarkozyen parti se refaire la cerise on ne sait où, restait le roi nu.

    L'illisibilité de la ligne politique, la composition d'un gouvernement d'ectoplasmes (3), l'absence d'idées force, la permanente cacophonie inter-ministérielle,... Voilà ce qu'est Hollande. Ce qui nous avait été vendu pour un retour à un État humble, responsable, travailleur et moral tourne à la farce autour d'un personnage sans prise sur le monde.

    Et pourquoi cela ? Certains qui ont, comme moi, moqué la candidature Hollande le faisaient souvent au regard de l'historique de sa carrière politique. L'homme fut sans doute une brillante bête à concours (Sciences-po, HEC, et l'ENA) mais c'est à peu près tout. Il ne fut jamais ministre. Il fut le premier secrétaire de deux défaites électorales (dont un désastre, celui de 2002), sans que jamais ne l'effleurât l'idée de sa démission. Insubmersible apparatchick d'un parti sans âme, sans valeur, sans projet, sans ambition, tel apparaissait Hollande. Il était non seulement un personnage sans relief, mais aussi un homme sans idées et sans vision. Il était insignifiant.

    Insignifiant : passe-partout, capable de se fondre dans le décor, d'épouser les formes que prendront les opportunités. Ce qui lui réussît fort bien tant qu'il fallait manier la barque socialiste et jouer des différents courants qui formaient l'équipage. Mais lorsqu'il fut question du pays, de la France, qu'il n'y avait plus que lui face à lui-même, qu'avons-nous vu ? Rien.

    Insignifiant : le vide. Qui ne signifie rien, en somme. Après le bruit sarkozyen, l'aphasie hollandienne. Le signe vide. Du bavardage inaudible et de l'ankylose. La normalité s'est très vite transformée en un terrible silence. Hollande est là où, peut-être, comme Sarkozy, il avait rêvé d'être. Comme Sarkozy, à ceci près que chez ce dernier demeurait cette intime conviction de l'exception qu'il représentait. Et cette exaspérante nécessité de remplir le vide, d'aller au devant des choses, même pour ne pas faire grand chose, avait une vertu, oui, une vertu. Elle attirait vers elle la crispation sociale et politique qui traverse depuis de nombreuses années le pays.

    Il n'est pas très agréable de le dire ainsi mais tel est, me semble-t-il, la dimension salvatrice de l'hypertrophie sarkozyenne : en signe plein qu'il était, le président bling-bling phagocytait une partie du délitement social et politique. Contrairement à ce qu'on aura entendu pendant un quinquennat, ce n'est pas ses accointances supposées avec le FN, la promotion de la ligne Buisson, qui expliquaient le maintien des aspirations lepénistes et des replis identitaires dans certaines limites. C'était le rapport que Sarkozy avait imposé aux autres politiques qui amoindrissaient les extrêmes (et par effet de transfert donnaient de l'air aux socialistes qui auront, comme toujours depuis trente ans, été les vrais bénéficiaires du lepénisme, ce qui explique pourquoi ils ne veulent nullement l'éradiquer).

    Avec l'insignifiance hollandienne, il en va tout autrement, et la mise en examen de Sarkozy est peut-être la pire des nouvelles qui soient pour les élections à venir. L'UMP s'étant ridiculisé, le PS ne pouvant se désolidariser d'un pouvoir dirigé par l'insignifiance, un boulevard s'ouvre pour Marion et ses copains, parce qu'il n'est pas possible, c'est un principe fondateur de la politique lorsqu'en régime démocratique son expression est structurée par la concurrence, qu'un espace vide ne soit pas comblé.

    La présidence d'Hollande, dans son déroulement, dans le délitement progressif qu'il consacre de la politique active mise au rebut au profit d'un mensonge permanent (ne jamais prononcer le mot rigueur, ne jamais avouer que trois mois auront suffi pour mettre au placard les quelques promesses de campagne, ne pas avouer que le mariage pour tous devait être un cache-misère et que même la réaction du pays n'avait été prévu), dans l'abandon de toute volonté ambitieuse au profit d'une gestion au jour le jour, dans la promotion, même bidon, d'une gouvernance normale alors que la Ve République est conçue pour l'affirmation d'une personnalité, cette présidence Hollande est une catastrophe. Non pas en considération de ce qui n'a pas été fait, mais de ce qui est à venir.

    La preuve la plus belle de cette insignifiance est sans doute à prendre dans ce duo gouvernemental que l'homme normal a adoubé. Taubira à la Justice, Valls à l'Intérieur. Peut-on faire plus insignifiant ? C'est-à-dire, ici, significatif. Significatif de celui qui cherche à ce que tout s'annule, à ce que deux son discordants finissent par se neutraliser et que ce soit le silence.

    Il faudrait lui dire que, paradoxalement, si l'on peut être maître de ses paroles et responsables de ses actes, on n'est jamais maître du silence et de l'immobilité. Et surtout pas en politique. Parce que le silence et l'immobilité vous effacent, de toute manière. Quand le pays aura fait le tour de la normalité réduite au radotage incantatoire du président, il est à craindre qu'il veuille chercher raison du côté de la force et de l'affrontement. La montée de l'argumentaire identitaire dans toute l'Europe est un signe. vrai, celui-là. Une réalité sensible. Une perspective. Une aspiration. Il est urgent d'y réfléchir.

     

    (1)Une fumisterie de plus. Hyper ? Où ? Quand ? Comment ? On a confondu le pouvoir et la mise en scène de soi. On a identifié la capacité de faire à la turbulence médiatique.

    (2)Sauf si l'on veut bien comprendre l'expression ainsi : « je vais m'occuper de vous », soit : « je vais vous faire votre fête ». Et sur ce point, Sarkozy n'a pas menti. Il faut un efficace liquidateur.

    (3)Ayrault n'existe pas. Émergent, qu'on les apprécie ou non, Taubira, Valls et Montebourg. Pour le reste, un théâtre d'ombres. Le gouvernement le plus grotesquement nul de toute la Ve République. Malgré la parité...


    Photo : Olivier X.

  • Philosophie du formol

     

    Pol Ubeda.jpg

    "Puisque tout ce qui passe est éliminé à jamais, les modernes ont en effet le sentiment d'une flèche irréversible du temps, d'une capitalisation, d'un progrès. Mais comme cette temporalité est imposée à un régime temporel qui va tout autrement, les symptômes d'un désaccord se multiplient. Ainsi que Nietzsche l'avait remarqué, les modernes ont la maladie de l'histoire. Ils veulent tout garder, tout dater, parce qu'ils pensent avoir rompu définitivement avec leur passé. Plus ils accumulent les révolutions, plus ils conservent ; plus ils capitalisent, plus ils mettent au musée. La destruction maniaque est payée symétriquement par une conservation tout aussi maniaque. Les historiens reconstituent le passé détail après détail avec d'autant plus de soin qu'il s'est englouti à jamais. Mais sommes-nous aussi éloignés de notre passé que nous voulons le croire ? Non, puisque la temporalité moderne est sans grand effet sur le passage du temps. Le passé demeure donc et même revient. Or cette résurgence est incompréhensible aux modernes. Ils la traitent alors comme le retour du refoulé. Ils en font un archaïsme. "Si nous n'y prenons garde, pensent-ils, nous allons revenir au passé, nous allons retomber dans les âges obscurs." La reconstitution historique et l'archaïsme sont deux des symptômes de l'incapacité des modernes à éliminer ce qu'ils doivent pourtant éliminer pour avoir l'impression que le temps passe."

    Bruno Latour, Nous n'avons jamais été modernes, 1991 (1997)


    Photo : Pol Ubeda.

  • Souterrain(s)...

    off_shore2 fabrice leroy.jpg

    Ces six derniers mois, plusieurs lecteurs et lectrices de ce blog ont regretté que les commentaires soient désormais fermés. Pour ceux qui suivent le fil des publications, ils se rappelleront que ce choix est intervenu à la suite de la campagne présidentielle de 2012. On dira que je n'avais pas envie de participer plus avant à un répétitif ping-pong pseudo-partisan, à un babil de commerce acrimonieux, sans portée ni intérêt majeurs. Dans le fond, la teneur de ce blog (je n'ose dire : sa ligne) est désormais suffisamment claire pour ne pas perdre de temps à des joutes contre/avec ceux pour lesquels je serais un ennemi, une parole fielleuse, réac, fasciste et nauséabonde, etc, etc, etc.

    Clore les commentaires fut donc, en un premier temps, un acte économique, au sens où je m'épargnais de l'énergie et des minutes, et, sans doute, quelques agacements. Je me suis aussi astreint à ne plus intervenir ailleurs, ce en quoi j'ai failli, me fendant de quelques incursions chez Solko, Sophie K. et le regretté Depluloin.

    Ce premier temps passé, j'ai progressivement compris que ce choix était moins un confort qu'une détermination même du blog tel que je le voulais. Pour moi, s'entend : je ne dresse pas une nomenclature ni règlement de quelque "bon usage" numérique. De fait, Off-shore n'est rien, ou si peu, et dans la logique du nombre, des pourcentages et des parts de marché, une ultime dérision de la parole disséminée... Dès lors, ce n'est pas un lieu de débats, un forum ; ce n'est pas un territoire d'invitation, une boutique ouverte sur une allée marchande faite pour accueillir les cris de joie, les récriminations ou les interrogations du promeneur. Le promeneur, fût-il numérique, doit admettre que ma parole publique ne peut faire publiquement débat sur le lieu même où elle apparaît, et ce, pour la raison strictement inverse qu'on croirait invoquer : non pas parce que ma parole est sacrée, et que je suis au dessus du promeneur, mais parce qu'il n'a pas à répondre à l'impudeur lyrique de celui qui écrit. Les textes d'Off-shore ne sont pas pour lui, moins encore contre lui, mais hors de lui. Et la seule manière d'en faire quelque chose (si tant est que ces textes...), c'est de les prendre à soi, pour soi, de n'en garder que des miettes s'il le veut, de les gonfler, de les briser, de les jeter... Qui sait ? Surtout pas de venir se mettre à table (d'abord seul, puis à deux, à trois, à dix, s'adresser à l'un des dix, en particulier, répondre ensuite à x ou à b, relancer l'affaire -comme on relance au poker ou à la roulette...).

    Faut-il que nous disions notre accord/désaccord en deux lignes, avec renvoi possible à un autre lieu ? Off-shore, depuis qu'il existe, m'a fait croiser quelques belles personnes (j'aime cette expression un peu pompeuse) ; les échanges privés (j'insiste) avec elles, aussi ténus soient-ils parfois, en sont le privilège. Fermer les commentaires, ce n'est pas refuser la discussion ; c'est simplement ne pas le faire dans le hall d'entrée ou sur le parking d'Auchan. À l'endroit réduit, forcément réduit, des "prolongations" vient qui veut mais la lumière tamisée est la plus appropriée, même si le propos se pourrait être vif. Tel est cet autre réseau, cette hyphologie (pour reprendre Barthes dans Le Plaisir du texte) à quoi renvoie (ou peut renvoyer) un blog. Voilà où se niche l'ouverture

    Je n'attends la venue de quiconque (de même que je ne suis attendu nulle part) ; je n'ai jamais cherché à connaître les raisons (peut-être une fois...) de ceux et celles qui sont sur ma newsletter. je n'ai pas à demander ce qui ne m'appartient pas.

    En fait, le commentaire de blog me dérange désormais moins dans son contenu (parfois glose, parfois pur affect, parfois je ne sais quoi...) que dans le faux partage qui l'a institué, comme moyen technique. Il laisse suppose que nous échangions en vertu même du principe infini des droits de réponse. Mais le droit de réponse, c'est bon pour les acte judiciaires et les décisions afférentes. Droits de réponse : bavardage numérique des temps pseudo-démocratiques, me semble-t-il.

    J'écris, je publie, je cite, je réfère, je coupe, je commente, j'argumente, je regrette, j'arpente, j'invective. Dans tout ceci le je est secondaire. Il faut qu'il le soit. Si le blog a quelque sens, c'est dans les moyens que l'on travaille à contrer son caractère journalier, éphémère, informe ou passager. Et l'un de ces moyens réside en cette fermeture imposée, pour que puisse s'ouvrir, quelque part, ailleurs, à plus ou moins brève échéance, une envie, un agacement, une interrogation, un sourire, un doute, qui donnera envie d'aller au-delà, de débattre ailleurs, en souterrain. À moins que rien ne se passe. Parce qu'il est présomptueux de croire que ce que l'on fait serve...

     

    Photo : Fabrice Leroy

  • Tonalité


     

    Claudine-Laine---L-art-de-la-pluie.jpg

    C'était une intime désolation, que de comprendre qu'elle attendait les quelques minutes de ton appel, tous les deux ou trois jours, pour t'entretenir du futur repas du soir, de la promenade de l'après-midi (à venir, ou faite, selon l'heure) et de la météo, la tremblante iconographie des nuages que toi, si loin, tu imaginais, sur laquelle tu brodais, pour entendre finalement les anfractuosités de son ennui, celui des instants agglomérés en longues heures faites des profils des passants derrière la fenêtre, de la fragilité des frondaisons au vent, et du silence de l'appartement, de ce silence insoluble.

    Tu ne précisais jamais le moment de ta venue, pour qu'elle ne fût ni inquiète ni déçue. Tu essayais de la surprendre, en douceur, comme si tu avais pu déposer, sur les divers meubles, des petits bouts de papier qu'elle aurait découverts, et lus, d'un sourire touché.

    Mais, par tout ce rite aléatoire, tu sentais progressivement, dans sa voix, dans la répétition des histoires et le refus même d'insister -sa façon d'être presque toujours celle qui raccrochait en premier-, la frayeur muette de ce que tu ne voyais pas, de ce que tu ne pouvais voir, et qu'elle vivait, désormais, -ce veuvage de mots-, dont ton appel, toujours trop court, la tirait pour mieux l'y faire retourner.

    Et de cette affreuse souffrance, basse continue du temps, tu en mesuras l'étendue la semaine où, aphone complète, tu ne pus partager vos banalités, et qu'elle crut que tu lui en voulais, d'un mot mal compris, d'une phrase maladroite, comme si elle avait encore la force de vouloir te blesser.

    Quoique oui, ces banalités te blessaient d'une manière que tu ne pouvais pas expliquer, à personne, parce qu'on t'aurait dit que tu coupais les cheveux en quatre, qu'il te fallait d'abord penser à sa voix émue qui t'accueillait, que c'était l'aimer, d'abord, l'aimer, que de tenir ce fil, ténu, jusqu'à ce qu'il ne puisse en être qu'autrement...


    Photo : Claudine Laine

  • Populisme (substantif masculin)

     

    Le festival continue. On en parle une dernière fois, on relève une dernière fois la gangrène journaleuse et on passera à autre chose, définitivement. Il s'appelle Michaël Darmon. Il est l'analyste politique d'I-Télé. Il vient commenter à la mise en examen de Nicolas Sarkozy dans l'affaire Bétancourt. Cette décision vient après l'ouverture d'une enquête préliminaire touchant Jérôme Cahuzac. Et qu'en tire-t-il comme conséquence ? Que « c'est une mauvaise semaine pour la démocratie, et une bonne pour le populisme ». Christophe Barbier, le bavard creux qui trône sur les plateaux et dirige L'Express, est sur le plateau et acquiesce.

    La démocratie et le populisme en rivalité. Soit. Mais le problème est ailleurs. Car concevoir que la semaine qui s'achève est un coup dur pour la démocratie signifie de fait que l'inculpation d'un politique, que la demande judiciaire à ce que des élus ou des dirigeants rendent des comptes sur le agissement est une atteinte à la démocratie. Ni plus, ni moins. Cette casuistique jésuite est bien plus redoutable que l'homélie du nouveau pontife. Elle fonde le caractère d'exception qui structure désormais l'appareil pseudo démocratique. Carl Schmitt est consacré. La démocratie est en danger quand la justice essaie de faire son travail. On la dit faible quand elle ne sanctionne pas assez Rachid qui deale, Renaud qui trafique, Mamadou qui vole ou Paul qui escroque, quand le quidam du bas de l'échelle ne reste pas dans les clous ; elle est outrancière quand elle s'interroge sur les agisssements de Jérôme ou Nicolas.

    De fait : le populisme, ce n'est plus le fascisme supposé de ceux qui expriment leur défiance vis-à-vis des partis et des dirigeants de la social-démocratie pourrie (et cette défiance passe aussi par l'abstention et la réflexion, pas seulement par l'agacement épidermique et le vote frontiste...) ; le populisme dans la bouche d'un journaliste commence là où, dans un esprit de caste médiatico-politique il faut protéger les sortants. Le populisme, ce n'est plus une théorie politique, une filiation idéologique ; c'est la figure de l'ennemi. Le populiste, c'est le bourgeois des staliniens, transposé en régime social-libéral de l'entre-soi UMPS et médias réunis.

    Le petit Darmon bredouille une antienne nauséabonde faite pour incriminer ceux qui demandent, non pas le mariage pour tous, mais la justice pour tous. Celle-ci est autrement plus problématique à offrir que celui-là. Le populisme sociétal passe beaucoup mieux que l'aspiration à plus d'égalité devant la loi.

    Le statut juridique du président de la République (concession exorbitante d'un président de conseil constitutionnel de « gauche » -Roland Dumas- à un président de « droite » -Jacques Chirac) n'est pas le seul pare-feu. L'engeance journaleuse, quand le droit constitutionnel n'y suffit plus, vient à la rescousse. Et cela, ce n'est pas du populisme. Que non ! C'est un sens de l'État, une raison d'État ! Mais elle est rampante et fielleuse. Rien à voir avec ce qu'on définit comme le populisme, cet hydre qui en voudrait tellement à la démocratie...

  • Le ridicule...

     

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    Le ridicule sénateur-révolutionnaire Mélenchon continue de se confire dans sa bêtise et dans le rôle grotesque de penseur alternatif. La dernière de ses saillies creuses concerne la présence du premier ministre français pour la messe d'intronisation du pape François. "La république n'a rien à faire au Vatican".

    Il oublie sans doute qu'il s'agit d'un rapport d'État à État, selon les accords de Latran établis en 1929. Mélenchon ne peut donc fonder sa contestation sur une compromission de la France laïque avec une religion quelconque, en l'espèce la religion catholique. S'il le fait, c'est en considérant l'esprit même qui organise le Vatican comme état religion, comme théocratie.

    Théocraties, et je l'écris au pluriel, devant lesquelles on aimerait qu'il s'insurge systématiquement, demandant sans doute qu'on rappelle les ambassadeurs français installés dans des pays où la religion est ou devient le vecteur majeur de la vie civile.

    On aimerait qu'il s'agite, autant que pour le pape, devant la république islamique d'Iran, devant le furieux Ahmadinejab, grand antisémite devant l'Éternel, grand ami de Chavez qu'il est venu pleurer il y a peu. Chavez, le grand ami de Mélenchon.

    Sa vindicte anti-catholique est devenue tellement caricaturale qu'elle laisserait sourire si elle n'était pas le signe curieux d'une logique plus profonde de ce qu'on appellera les réflexes pavloviens des intellectuels de gauche...

  • Au passage...

     

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    André Dubuffet, Mur aux inscriptions, 1945

    Nous n'avons plus qu'un lointain rapport avec le monde des morts (sinon télévisuels et/ou cinématographiques), avec cette mortalité qui nous habite et dont nous voudrions nier la réalité : l'existence du passager et la vie du putrescible...

    Nous désirons qu'en ce domaine triomphe l'abstrait...

    Or, dans la plein été lucquois, alors que le promeneur quitte l'intra-muros, au détour d'une rue, on a placardé des avis de décès. Des avvisi. Rectangles larges cadrés de noir où se détache, au milieu, un nom.

    Il y en a trois, ce jour, sans photo (il arrive que...) : un homme, deux femmes, -une qui n'avait pas vingt-cinq ans. Leur nom restera au carnet. Le promeneur a pris soin de les noter. Pour soi. Rien de morbide. Certaines rencontres sont d'un ordre qui dépasse l'entendement. Il faut parfois noter, inscrire et garder, parce que ces moyens sont les seuls à notre disposition.

    Cela n'a rien à voir avec le memento mori, comme un miroir que serait l'affiche. En revanche sont poignantes cette discrète (oui, discrète) publicité de la mort douloureuse, l'annonce au monde et la force du partage que représente cet acte. Les avvisi sont tout le contraire du spectaculaire et du désir construit de commissération. Ils sont une survivance de la vraie localisation des individus. Les avvisi sont l'histoire concentrée des noms habités dont on n'a pas envie qu'ils s'effacent. Les murs de la ville portent tout à coup le deuil d'un des siens. Un des  siens qui ne demande rien, ni empathie, ni célébration particulière, que d'être reconnu comme du lieu. Il n'y a rien de triste, rien d'obscur. Au contraire : il est rassurant de ne pas faire semblant. C'est moins notre commune condition que les avvisi nous jettent sous les yeux que l'étrange économie de la disparition dans laquelle s'est précipité le monde contemporain. Ce qui est là doit être su, parce que la mort fait partie de la vie et que le silence n'est rempart de rien, et qu'il est ridicule de feindre. Ce sont plus que des papiers collés sur un mur promis à un arrachage prochain (ne serait-ce que pour le mort qui suit, afin que d'autres prennent la place) : ce sont des monuments, des monuments modestes, transitoires, humains...

  • Pour ceux et celles qui...

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    Pour ceux et celles qui veulent un pape rose...

    Pour ceux et celles qui n'en veulent même plus...

    Pour ceux et celles qui bouffent du curée sans avoir lu au moins un évangile...

    Pour ceux et celles qui trouvent que les seins nus à Notre-Dame-de-Paris, c'est juste une plaisanterie...

    Pour ceux et celles qui voient de l'islamophobie partout...

    Pour ceux et celles qui s'extasient devant le printemps arabe...

    Pour ceux et celles qui trouvent que l'Occident est sexiste, machiste et rétrograde...

    Pour ceux et celles qui veulent qu'on fournisse des armes aux rebelles syriens (comme on en a fourni aux rebelles lybiens)...

    Pour ceux et celles qui ont le colonialisme comme seule explication du monde contemporain

    Pour ceux et celles qui n'ont jamais rien lu de Tariq Ramadan et ne veulent pas s'en inquiéter...

    Pour ceux et celles qui devraient lire Abdelwahab Medded et Abdennour Bidar... 


    le refus des Frères Musulmans d'Égypte (dont est issu  l'actuel président, le sieur Mohamed Morsi) de souscrire au texte de l'ONU fondé sur le principe d'égalité entre les hommes et les femmes...

    C'est sur Slate Afrique.


    On trouve aussi l'information sur Le Figaro.fr. mais rien ni dans Le Monde ni dans Libération. Peut-on s'en étonner ? La question de l'embaumement impossible de Chavez est pour eux autrement plus cruciale...


    Photo : Zoubeir Souissi/Reuters.

  • Au delà du siècle

     

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    L'élection de Jorge Mario Bergoglio comme pape a surpris. Il y avait des favoris, des outsiders. Tout cela a été balayé. Et devant ce choix, certains, non pas parmi les croyants seulement, mais aussi parmi ceux qui, paradoxalement, disent n'attendre rien d'un édifice moyen âgeux, obsolète et rétrograde, ont trouvé que l'Église catholique ne comprenait rien à son temps.

    Mais de quel temps s'agit-il ? Quelle image attendait-on d'un pape, s'il faut justement en attendre une image ? Jorge Mario Bergoglio est âgé, sévère, austère, le visage un peu sec. Il a en lui un souvenir du Paul VI que je connus (façon de parler, bien sûr) dans mon enfance. Un jésuite, rigoureux, pour ne pas dire rigoriste, qu'on nous annonce ami des pauvres. Il n'a pas la parole facile. Son phrasé ne révèle pas un grand orateur. Il n'a pas de quoi enthousiasmer. Cela paraît évident. Il ne fait pas moderne.

    Mais qu'est-ce que la modernité en la matière ? Sans doute ceux qui voulaient un nouveau souffle, une dynamique plus engageante, envisageant que l'apparence faisait le fond de l'affaire, rêvaient-ils d'un souverain pontife énergique, emportant la foule, accessible et détendu, un brin drôle. Une figure, quoi ! Un cardinal comme Timothy Dolan, par exemple. Il est l'ecclésiastique qui répond sur CNN que pape, lui ? Sans doute sur la short-list de sa mère, mais pas plus. Que pour le voir sur le trône de Saint Pierre il faut avoir pris de la marijuana ! Dolan, c'est le bon gros, le débonnaire près à la déconne, une gouaille de yankee qui pense que rien ne lui résiste. Dolan, c'est le genre qu'on imagine à un repas finissant par un whisky 30 ans d'âge. Les modernes, les ultra-modernes même, oublieraient qu'il est évêque de New York, qu'en matière de religion, de liturgie, de culture, malgré les apparences, il ne peut pas être un grand déconneur. Certainement pas.

    Ceux qui regardent avec circonspection l'arrivée du nouveau pape sont des gens bien singuliers, et en partie ignorants. S'ils croient, ils ne peuvent que se réjouir puisque Bergoglio s'inscrit dans un courant, au delà de la grandeur intellectuelle, où la foi est mainte fois réaffirmée, où la dimension christique est revendiquée ; s'ils ne croient pas, leur déception (et c'est bien étrange), leurs regrets, voire leurs reproches (car le commentaire va parfois jusque là) sont absurdes et ne procèdent que d'une projection, un quasi fantasme, qui néglige et l'esprit du catholicisme dans ses fondements, et la logique religieuse qui en découle.

    Dieu, le Christ, ne sont pas modernes. Ils ne peuvent pas l'être, puisqu'ils signifient un certain degré d'intemporalité. Pas modernes, non. Et surtout pas lorsque cette modernité consiste pour l'essentiel en un effet de communication. Attendre un pape jeune, ou rock'n'roll, ou noir, est le signe d'une bêtise sidérante. C'est oublier le réel et transférer dans l'ordre spirituel les éléments d'un discours politique de communication. Certains pariaient sur un pape noir, par exemple. C'eût été un signe de changement, d'évolution, un tournant. Ils sont semblables à ceux qui nous avaient longuement expliqué que l'élection d'Obama bouleverserait l'Amérique. Les pauves, à commencer par les noirs des ghettos, attendent encore.

    En choisissant Bergoglio, les 114 cardinaux du conclave ont refusé, pour des motifs que je ne connais pas, de céder à cet air du temps, à cette atroce décadence du politique aujourd'hui légiféré par le culte de l'apparence, de l'éloquence normée, du faire-semblant. À une mienne connaissance, qui a abandonné le catholicisme sans pour autant se désintéresser du religieux, à elle, donc, qui me disait que l'évêque de Buenos-Aires semblait manquer d'élan, j'ai demandé si elle eût préféré le new yorkais. Certes non. La familiarité, le relâchement, arrivé à un certain degré de responsabilité, sont des cache-misère, des signes de faiblesse, d'impuissance, d'illusion et de tromperie. Ce phénomène a été suffisamment dénoncé en politique pour qu'on n'attende pas d'un collège de cardinaux qu'ils s'y complaisent.

    Sur ce point, ils sont à rebours. Les mauvaises langues diront : dépassés, rétrogrades. Tant mieux.


    À lire : le billet de Solko, Un Christ sans croix.


    Photo : Gabriel Bouys

  • Précipités

    francis-Study_after_Velazquezs_Portrait_of_Pope_Innocent_X, 1953.jpg

    Francis Bacon, Etude d'après Velasqquez, Portrait d'Innocent X, 1953

     

    Étrange atmosphère, où se percutent les époques et les images (l'image, là devant soi, en secrète instantanément), que ce tableau de Francis Bacon.

    Le bien nourri Giovanni Battista, précipité dans un dérèglement manigancé par la vitesse (2 G ? 3 G ? 4 G ?), n'est plus qu'une ombre émaciée. Il n'est que chairs tendues et prêtes à se désintégrer. Spectre d'une histoire antérieure. Le corps tombe ou se projette dans l'espace...

    Peindre représentait, donnait déjà à voir l'absence à venir. Un memorandum de formes et de couleurs, au creux duquel Velasquez avait glissé un vers malicieux. Une ruine dans le pouvoir. Mais la peinture gardait le feu de ce qui avait été, sauvait les apparences, en quelque sorte.

    Avec Bacon, c'est fini. Innocent X est dissout.

    La peinture est bandée de tout ce qui l'arrache ; elle arrache aussi le souvenir de Velasquez. Le tableau désosse l'illusion. Le corps se décharne, la bouche un cri vide, comme vitrifié.

    La chaire pontificale se réduit à son ossature incandescente et électrisée. Westinghouse est passé par là, et le spectateur filant quinze plus tard les péripéties de l'art pense à Warhol, et nous aussi.

    Le passé est en feu, aux fers. Tout ce que l'on veut, Bacon ne le salit ni ne le bafoue. il en fait pâlir l'étoile. Le pape n'est plus, de ne pouvoir être, ces temps matériels et post-atomiques, qu'une fonction qui régresse, qu'une image déchirée, comme s'il l'on y avait appliqué des bandes de scotch tirées d'un coup.

    Et la pourpre cardinalice a disparu pour le violet épiscopal.

    Plus rien, bientôt. Plus rien...