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  • Les Commentaires sont fermés.

    Un jour, pour des raisons sur lesquelles  je n'ai pas envie de revenir, raisons qui n'étaient, d'un certain point de vue pas les bonnes mais dont la fausse évidence cachait un souci plus profond, j'ai supprimé l'accès de ce blog aux commentaires. Je ne suis pas le seul. Plusieurs m'avaient précédé et d'autres ont suivi. Force est de constater que c'est une tendance plus affirmée que lorsque j'ai débuté Off-Shore.

    Depuis, le lecteur peut donc trouver la mention "Les commentaires sont fermés". Je ne sais pourquoi cette formule m'intrigue. En effet, cet énoncé suppose qu'ils étaient préalablement ouverts, que l'essence même du blog est de permettre les commentaires. J'en viens même à supputer que le texte, ou l'œuvre, à l'initiale, n'est proprement qu'un prétexte pour qu'ensuite chacun vienne y mettre son grain de sel. De fil en aiguille, il y aura peut-être des chances pour que du sujet il ne reste plus, ainsi qu'on peut s'en rendre compte dans la version web des journaux, quand les lecteurs divers et variés s'étripent pour pas grand chose, voire pour rien. Pour rien : tel est je crois la vertu maligne du commentaire. D'être un comblement et une occupation pour que tout se délite. 

    "Les commentaires sont fermés". Quelques-uns s'en étaient offusqués, en privé. Quel dommage de ne pas pouvoir abonder ou discuter. Soit. Mais c'est faire de la discussion le principe ultime de l'échange. S'immiscer dans le bavardage et attendre un retour. Pourquoi devrait-il y avoir un retour ? Le texte (si c'est un texte, pour simplifier) est-il, comme à l'école, comme au lycée, ce "point de départ" pour pouvoir "parler de quelque chose" ? Ne faudrait-il pas mieux le prendre, aussi modeste soit-il, comme un viatique qui ne renvoie qu'à nous-même, comme lecteur ? N'est-ce pas le fonds le plus riche de l'échange ? A-t-on jamais regretté de ne pouvoir "échanger" avec la littérature ?

    Si "Les commentaires sont fermés", ce n'est plus par simplification, mais par nécessité. Parce qu'on ne discute pas en public, au travers d'un écran, et parce que les compliments comme les invectives ne sont d'aucune utilité... Quelques mots, quelques lignes : on cerne là, le lissage du post, son insuffisance et sa concession à la dégénérescence de la phrase, de la syntaxe, et au bout du compte : du sens.

    De toute manière ce qui est publié est déjà derrière celui qui l'a écrit, comme une archive, et l'écriture n'est pas un débat. C'est même la contradiction de la parole, forme à laquelle n'échappe pas, ou si rarement, le commentaire...

  • Souterrain(s)...

    off_shore2 fabrice leroy.jpg

    Ces six derniers mois, plusieurs lecteurs et lectrices de ce blog ont regretté que les commentaires soient désormais fermés. Pour ceux qui suivent le fil des publications, ils se rappelleront que ce choix est intervenu à la suite de la campagne présidentielle de 2012. On dira que je n'avais pas envie de participer plus avant à un répétitif ping-pong pseudo-partisan, à un babil de commerce acrimonieux, sans portée ni intérêt majeurs. Dans le fond, la teneur de ce blog (je n'ose dire : sa ligne) est désormais suffisamment claire pour ne pas perdre de temps à des joutes contre/avec ceux pour lesquels je serais un ennemi, une parole fielleuse, réac, fasciste et nauséabonde, etc, etc, etc.

    Clore les commentaires fut donc, en un premier temps, un acte économique, au sens où je m'épargnais de l'énergie et des minutes, et, sans doute, quelques agacements. Je me suis aussi astreint à ne plus intervenir ailleurs, ce en quoi j'ai failli, me fendant de quelques incursions chez Solko, Sophie K. et le regretté Depluloin.

    Ce premier temps passé, j'ai progressivement compris que ce choix était moins un confort qu'une détermination même du blog tel que je le voulais. Pour moi, s'entend : je ne dresse pas une nomenclature ni règlement de quelque "bon usage" numérique. De fait, Off-shore n'est rien, ou si peu, et dans la logique du nombre, des pourcentages et des parts de marché, une ultime dérision de la parole disséminée... Dès lors, ce n'est pas un lieu de débats, un forum ; ce n'est pas un territoire d'invitation, une boutique ouverte sur une allée marchande faite pour accueillir les cris de joie, les récriminations ou les interrogations du promeneur. Le promeneur, fût-il numérique, doit admettre que ma parole publique ne peut faire publiquement débat sur le lieu même où elle apparaît, et ce, pour la raison strictement inverse qu'on croirait invoquer : non pas parce que ma parole est sacrée, et que je suis au dessus du promeneur, mais parce qu'il n'a pas à répondre à l'impudeur lyrique de celui qui écrit. Les textes d'Off-shore ne sont pas pour lui, moins encore contre lui, mais hors de lui. Et la seule manière d'en faire quelque chose (si tant est que ces textes...), c'est de les prendre à soi, pour soi, de n'en garder que des miettes s'il le veut, de les gonfler, de les briser, de les jeter... Qui sait ? Surtout pas de venir se mettre à table (d'abord seul, puis à deux, à trois, à dix, s'adresser à l'un des dix, en particulier, répondre ensuite à x ou à b, relancer l'affaire -comme on relance au poker ou à la roulette...).

    Faut-il que nous disions notre accord/désaccord en deux lignes, avec renvoi possible à un autre lieu ? Off-shore, depuis qu'il existe, m'a fait croiser quelques belles personnes (j'aime cette expression un peu pompeuse) ; les échanges privés (j'insiste) avec elles, aussi ténus soient-ils parfois, en sont le privilège. Fermer les commentaires, ce n'est pas refuser la discussion ; c'est simplement ne pas le faire dans le hall d'entrée ou sur le parking d'Auchan. À l'endroit réduit, forcément réduit, des "prolongations" vient qui veut mais la lumière tamisée est la plus appropriée, même si le propos se pourrait être vif. Tel est cet autre réseau, cette hyphologie (pour reprendre Barthes dans Le Plaisir du texte) à quoi renvoie (ou peut renvoyer) un blog. Voilà où se niche l'ouverture

    Je n'attends la venue de quiconque (de même que je ne suis attendu nulle part) ; je n'ai jamais cherché à connaître les raisons (peut-être une fois...) de ceux et celles qui sont sur ma newsletter. je n'ai pas à demander ce qui ne m'appartient pas.

    En fait, le commentaire de blog me dérange désormais moins dans son contenu (parfois glose, parfois pur affect, parfois je ne sais quoi...) que dans le faux partage qui l'a institué, comme moyen technique. Il laisse suppose que nous échangions en vertu même du principe infini des droits de réponse. Mais le droit de réponse, c'est bon pour les acte judiciaires et les décisions afférentes. Droits de réponse : bavardage numérique des temps pseudo-démocratiques, me semble-t-il.

    J'écris, je publie, je cite, je réfère, je coupe, je commente, j'argumente, je regrette, j'arpente, j'invective. Dans tout ceci le je est secondaire. Il faut qu'il le soit. Si le blog a quelque sens, c'est dans les moyens que l'on travaille à contrer son caractère journalier, éphémère, informe ou passager. Et l'un de ces moyens réside en cette fermeture imposée, pour que puisse s'ouvrir, quelque part, ailleurs, à plus ou moins brève échéance, une envie, un agacement, une interrogation, un sourire, un doute, qui donnera envie d'aller au-delà, de débattre ailleurs, en souterrain. À moins que rien ne se passe. Parce qu'il est présomptueux de croire que ce que l'on fait serve...

     

    Photo : Fabrice Leroy

  • Visiteur (substantif)

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    Khalil Gibran, le Sable et l'Ecume, 1926 

    S'il est bon d'avoir l'esprit acerbe sur les travers des autres, et je ne m'en prive pas, il est nécessaire de ne pas être en reste quant à ses propres contradictions. J'ai moqué suffisamment les adeptes de Face-de-Bouc et leurs théories amicales censées justifier leur raison d'exister. Je continue de penser que l'escroquerie misérable d'une société répertoriant à satiété ses liens, tous ses liens, y compris les plus illusoires n'est rien à côté des moyens de contrôle sous-jacents qu'offre un tel montage. L'amitié de la Toile Zuckerberg est le tombeau de la vie et la terreau insidieuse de ce que Dominique Wolton nomme avec subtilité les solitudes interactives.

    Mais laissons cela. Nous avons aussi nos chats noirs, et lorsqu'on ouvre un blog, qu'on le développe (je n'aime guère ce terme mais c'est un signe de la prison sémantique à laquelle il est difficile d'échapper. Nous ne choisissons nos mots que dans une certaine mesure...), que le temps passe, on devient aussi le gestionnaire d'une structure invisible : on devient administrateur. Quel bonheur ! Administrateur... Cela fait rêver. On sent la grande entreprise, la prise de décision, les jetons de présence, etc. Pas du tout. Tout ce que l'on sait de plus, au fond, tient au nombre de pages lues et à celui des visiteurs.

    Car en ce monde où nous échangeons (autre épine sémantique, mais j'arrête là...), où nous écrivons, peu ou prou, nous ne trouvons plus de lecteurs mais des visiteurs. L'effacement du premier devant le second ne pose pas tant un problème d'orgueil, lequel supposerait que le lecteur du net ou de la presse est en soi un écho de celui de la littérature. On sait que c'est faux : les journaux ont des lecteurs et la médiocrité galopante de la gente journalistique (adieu Lacouture, Blondin, Mauriac et son bloc-notes... Ne soyons pas pleureuse). Non, l'orgueil n'a rien à voir avec la question présente. C'est un problème de représentation de l'écriture. Le passage par Internet induit un saut qualitatif (encore que l'adjectif soit plutôt à prendre avec ironie). Là où l'on imaginait la pause, le temps d'arrêt, les minutes arrachées à l'air du temps, aux nécessités premières, aux aléas, le lecteur se retranchant du monde, on doit désormais envisager un homme du transport en commun, un inconnu de la correspondance quasi ferroviaire, parfois même un perdu qui arrive chez vous en se demandant vraiment ce qu'il pourrait y trouver (mais ai-je quelque chose à lui offrir ? Ai-je d'ailleurs envie d'offrir ?).

    Si le blog ne détermine sa réalité, et certains diront sa notoriété, qu'à travers l'image du visiteur, à son dénombrement le plus grand possible, cela signifie qu'il est un leurre sui generis. Il n'a de place que dans le tournoiement incessant des adresses IP. Soit : il n'a pas de place. Il n'est nulle part. Il est donc d'une grande bêtise de poursuivre une histoire dont on se dit qu'elle n'est faite que d'une façade (comme le fameux mur de Face-de-Bouc), une sorte de pallissade sur laquelle on colle des mots, des textes, des images. Puis il y a les passants, qui jettent un œil, distraits, goguenards, lassés...

    On me rétorquera que celui qui vient sur mon blog a peut-être des raisons (qui lui appartiennent) de le faire, qu'il ne s'agit pas une simple erreur d'aiguillage durant à peine une seconde avant de rejoindre la rassurante page Google générale. Se vit-il d'ailleurs comme visiteur ? Suis-je moi-même un visiteur quand je vais chez autrui ? Parfois oui, j'en conviens. Pour d'autres, non : j'ai l'impression parfois de faire chemin avec eux, un chemin certes singulier puisque je ne les connais, ne les ai jamais vus. Dès lors les doutes qui me traversent à cause de ce désagrément sémantique sont peut-être superflus...

    Je n'y crois pas pourtant. Je suis certain que le choix initial de ce mot n'est pas motivé par sa valeur plus générique que celle de lecteur (selon le principe qu'il existe des blogs de photos ou de vidéos). Il signe la vitesse prenant le pas sur la lenteur, l'écoulement sur la fixation, la consommation sur la méditation, la curiosité sur l'étonnement. Et le paradoxe d'un tel pessimisme tient justement qu'il (le pessimisme) est le plus souvent la pensée fondatrice du désir de poursuivre. Rien qui ressemblerait à un acharnement ou à un désœuvrement mais en se disant que n'y eût-il qu'un seul lecteur du texte mis ce moment-là en ligne, parmi tous les visiteurs, un seul, qui s'en chargeât pour l'emmener hors de la machine, avec lui (ou elle), dans un endroit que je ne connais pas, que je ne connaîtrais jamais, n'y en eût-il qu'un seul, que ce serait battre en brèche le dictionnaire terrible de l'hyper-modernité... Vanité... Vanité, d'accord, une simple vanité (mais on sait que ce mot contient sa propre négation)...

     

  • L'Immatériel

     

     

    Elle ne portera jamais l'usure, l'usage, traces où parfois on repérerait l'impatience, la maladresse ou la répétition (peut-être l'obsession...). Elle sera immaculée de n'être pas vraiment, sinon une combinaison binaire infiniment puissante. Elle n'est à personne, au fond. Ni à celui qui l'a écrite, ni à celui qui la lit. Encore qu'il reste le moyen de l'importer, comme on dit, et d'en faire une page, une vraie page, de donner le souffle qui lui manque, le supplément d'âme.

    Elle n'a pas d'odeur, ne porte pas le vieux. Elle est à l'image des délires de notre temps : pas d'altération (ce qui d'ailleurs, autre débat, à creuser, renverrait à l'absence d'altérité, ou aux fausses altérités du présent : visages retournés vers eux-mêmes. Moins altérité de l'échange que de l'intrinsèque). Elle ne s'écorne pas, elle ne jaunit pas, ne se désagrège pas (mais il est possible de la détruire -delete-, ou que quelqu'un vienne la détruire.).

    La page web. Objet sans consistance. Infiniment transportable sans que nul ne le sache. À disposition. Le papier (ou ses ersatz) furent choisis par les Chinois parce que la cour ne voulait plus déambuler dans le pays, il y a longtemps, avec des dalles de pierre qui servaient de mémoire. Trop lourdes, trop encombrantes. Alors vint le livre. Mais, peut-être que la technologie qui nous allège (façon ironique de parler car il me semble qu'elle nous viderait, plutôt) est-elle le signe que même le livre, ou la page, ou la feuille, tout cela est devenu trop lourd, trop pesant, comme l'Histoire ou le passé dont le commun veut aujourd'hui faire table rase.

    Étrange objet immatériel que la page web, avec laquelle j'essaie de m'accorder, dans les limites de mes compétences techniques. Froideur du clavier, infini dispositif typographique, graphique, chromatique. Et pourquoi ? Pierre Michon disait que le passage à l'ordinateur avait changé sensiblement sa façon d'écrire. La vitesse, la différence dans la relecture, l'uniformité de la graphie. L'absence de la rature.

    L'absence de la rature, comme l'absence de l'annotation pour le lecteur. Le bonheur de la rature... Lis-tes-ratures, pour citer Jean-Luc Steinmetz. Le souvenir sur lequel parfois on revient sans qu'il soit malgré tout possible d'en maîtriser la profondeur et le sens. Mais on sait que quelque chose alors s'était passé, qu'il en reste une trace, à quoi on tient dans son inconnaissable même. Portance cicatricielle d'une voie qui achemine  avec sa présence, sa généalogie. La page, elle, web impose une neutralité. C'est un no man's land. Que nous traversons sans vraiment y laisser un peu de nos forces pour exister. Elle est de tous ces lieux qui sont surtout des espaces, des zones de transit, un tarmac, un quai... Ce n'est pas la page blanche, mais la page absente, dont l'apparition correspond à l'indication "terminé" en bas à gauche de l'écran. Apparition/terminé. Quelle belle synthèse...

    Si la feuille, concrète et inflammable, peut faire penser à l'élémentaire d'un pavement sur lequel, sans que la main puisse toujours le sentir, reste le souvenir du plein et du creux, l'impression, la page web est une suspension, un flottement que notre poing n'atteint pas, bataille dans le vide. Si l'écran même peut être tactile, c'est que nous avons perdu quelque chose au bout de nos doigts, quelque chose qui dure : la main posée sur la page, pendant que nous rêvassons d'être dans ce décor, auprès de cette belle inconnue, et les heures passant. Notre main s'appuie sur la page ; les mots passent entre nos doigts, comme une eau, et cela appartient seule à  la feuille.

    Feuilleter, effeuiller, et d'une certaine manière fureter : bonheur du livre, présence de l'homme.

    Tenir un blog, au-delà de la vanité (au double sens du terme) de l'entreprise est une forme d'acceptation de cette disparition de l'homme, non en tant qu'être mais en tant que corps, une manière de vider la parole de sa physicité. Physicité que portait encore le papier, la feuille.  Il faut s'en accommoder, ne pas avoir de regrets (ou sinon, en faire un texte, qu'on intitulerait L'Immatériel).

  • 15x15

    On mettra cela sur le compte d'un clin d'œil à Perec. 225ème note, puisque c'est ainsi répertorié sur le très sérieux mur de l'administrateur que je suis devenu (eh oui, tout arrive... mais on n'y gagne rien. Je ne suis pas encore une multinationale...) par le biais de ce blog. 225, soit le carré de 15. Dès lors, on pourrait composer une mosaïque qui, dans une figure parfaite, contiendrait ces 225 petites pièces. Que s'en dégagerait-il ? Pas un visage, ou un paysage, à la manière des effets obtenus pour certaines affiches. Rien d'autres que des morceaux disparates et incertains.

    225, c'est beaucoup. Trop sans doute.  La figure se visite dans le désordre et par les hasards des allées virtuelles on retrouve des coins oubliés et de mauvais terreaux, des choses concédées à l'immédiateté, à l'instant, à l'humeur (dans ce que celle-ci a de plus rageuse et inféconde). 225 notes pour se rendre compte que la futilité de l'actualité est bien souvent une réalité, a handful of dust, ainsi qu'Evelyn Waugh intitula un beau roman. Aussi pourrait-on en réduire singulièrement l'épaisseur, de ce « journal » virtuel et en jeter les scories bavardes. Il est par exemple fort déplaisant de voir que dans les tags populaires (quelle horrible dénomination) on trouve Sarkozy. C'est avoir accordé une bien grande place à un si médiocre personnage. Comme quoi la liberté que je crois prendre d'écrire ce que je veux n'est peut-être qu'un leurre, ou bien que certaines choses s'imposent à moi à mesure que j'essaie sinon de les ignorer, du moins d'en minimiser l'importance. À moins qu'il ne faille y voir un symptôme : celui révélant le désagréable effet que je n'arrive pas, comme un certain nombre de gens de ma génération, à balayer de mon horizon le politique aujourd'hui néantisé par son ultime avatar médiatique, parce qu'à une époque nous avions encore quelques illusions. Alors nous nous indignons, ce qui est une bien dérisoire posture.

    100, soit 10x10 (1). Que garderais-je alors ? Ainsi envisagée cette mosaïque simplifiée se concentrerait sur l'essentiel : ce serait sans aucun doute quelques lignes sur la mélancolie et, surtout, des musiques, des photographies (celles de Georges a. Bertrand), des tableaux, des fragments de textes devant lesquels mon esprit s'abîme réellement, qui sont les traces actives de ce qui me compose dans le  quotidien, en croisant ce que je ne sais pas encore avant de l'avoir écrit, ce qui chemine doucement, ce qui me lie aux autres, ce qui m'en éloigne, ces intemporalités précieuses qui donnent parfois l'impression de ne pas être, dans le présent où l'on ne cesse de vouloir que nous soyons, en  direct-live, alors même qu'elles sont le signe absolu de la présence, les réelles présences dont parle Georges Steiner, et dont on ne mesure pas toujours à quel point elles sont en vous, parce qu'il faut rappeler une évidence contre laquelle lutte l'ironie mortifère du postmodernisme : l'homme est un animal historique. C'est peut-être ce qui compte : non pas de se donner à voir, mais donner l'envie d'aller voir ailleurs. Non de dire que l'on aime Proust ou Le Caravage, mais de donner l'envie de visiter (ou de retourner vers) les pages de Combray, de faire le voyage jusqu'à San Agostino pour la Madone des Pèlerins.

    Et d'aller voir ailleurs, l'ouverture de ce blog m'y a incité, et des rencontres, il y en aura eu. D'avoir croisé d'autres mondes, lié d'amicales complicités par le seul fondement des mots, sans être jamais sûrs de se voir un jour, voilà qui n'est pas rien. Peu importe le nombre et les noms (ils et elles se reconnaîtront) : d'où qu'ils soient, de France, de Pologne ou parcourant le monde, ils m'accroissent. On rétorquera aisément que cela est dérisoire, perdu dans la marée de l'information qui court, du temps qui passe, que l'immense majorité de ceux qui parcourent off-shore demeure inconnus. Et pourquoi pas, justement ? Pourquoi devoir donner son identité, justifier son apparition ? Nous avons suffisamment à le faire dans la société de contrôle qui s'installe à une vitesse vertigineuse. Le droit au silence (comme celui de s'éloigner, de partir, de revenir) ne doit pas être vain. Parfois, tout ne tient qu'à un fil. Tant mieux si ce fil tient...

     

    (1)Je sais toute la bêtise de ce réductionnisme. C'est la logique grotesque du : « et si vous n'aviez que dix livres à emporter... ». Ici le chiffre est fortuit. Il est purement symbolique et je ne vais pas passer au 5x5, 2x2, jusqu'à la désignation de l'unique à garder. Nous ne sommes pas dans un concours.