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société de contrôle

  • Transparence (substantif)

     

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    La transparence, ça nous regarde. Voilà bien la formule qu'on nous adresse du haut des assemblées, des couloirs dorés, des arcanes du politique. La transparence est notre droit, notre inscription égalitaire dans l'univers démocratique. Elle est la synthèse de nos pouvoirs dus par le monde qui parle pour nous. Le donnant-donnant. Homme normal ou arriviste vulgaire, ils viennent, comme des destins nus et purs le dire au citoyen : la transparence, ça vous regarde. C'est votre bien, votre blanc-seing nécessaire à notre crédibilité. Ils viennent avec comptes et bilans, dans leurs costumes inquiets d'hommes intègres, forcément intégres (et ce n'est pas tant leurs écarts qui troublent, nous ne croyons pas à la vertu du politique, moins encore à sa pleine lumière, mais leurs impossibles reconnaissances de pris-dans-le-sac.)

    La transparence. Rien dans les mains, rien dans les poches.

    La transparence, listée, légiférée, mise en scène, pour pas grand chose, en fait, car les mots doivent être remplis, être une matière et une épaisseur du monde, san quoi je peux aisément découvrir l'horreur réversible qui se cache, là et ailleurs.

    Comme cette transparence qui nous regarde, à laquelle nous nous exposons, qu'on le veuille ou non, sur les réseaux, dasn l'organigramme insondable des connections, du numérique, de la vidéo-surveillance, de la structure eye fish de l'espace, de l'historique des appels, des indices de satisfaction, des numéros de transactions, des cryptages, des cookies, des bases de données, comme cette transparence de nous-mêmes à la machinerie marchande et sécuritaire, sécuritaire parce que marchande,

    transparence sécurisée en zones, délivrant les plus nantis de l'angoisse, accroissant la terreur, ailleurs, entre miséreux.

    Transparence qui nous regarde : terrible, reptilienne et fluide. La seule, l'essentielle, toujours plus galopante et que l'on masque et protège en offrant, sans même y croire tout en dramatisant l'annonce, cette autre transparence qui ne dit absolument rien du politique.


    Photo : Elliot Erwitt

  • Quelques indices...

     

     

     

    carte d'identité 1 73 06 33 373 228 clé 14 ; tatung7979@hotmail.fr ; carte de photocopies 412 ; carte bancaire 555 56 354 892 656 ; code d'entrée d'immeuble 47A01 ; professionnel autoritaire (test printanier Le Nouvel Obs) ; place de parking -554 ; carte abonnement bibliothèque 054859238430999E ; code accès comptes bancaires HHU666, mot de passe **** ; contrat téléphonique ZOZI2390989 ; carte Smiles sncf 99478 ; police d'assurance habitation 2002938374 ; licence fédération française de badmington 494903 ; carte grise SV2341HA ; amoureux réservé (test estival Elle) ;  carte Flying Blue DON646H7H ; browneyes_h2@gmail.com ; 00100 1000001 1111 010101 0010 0010 1010 (quelque part dans un fichier qu'il ne connaît pas) ; lkdklfleaifnflmfefailkfonnnfa ; brun, type caucasien, yeux gris ; métrosexuel (test Biba) ; plus sucré que salé (test Cuisine aujourd'hui) ; Facebook n°32865445 ; carte abonnement bus 09853998 ; Tolstoi, Kierkegaard, Morand ; pointure 41 ; rhésus B+ ; numéro fiscal 14 78 969 213 101 V ;  (en cours)...

  • Le code barre c'est...

    code barre codes barres

     

    comme qui dirait le caryotype de...


     

    de l'objet, du truc, du machin, de la chose, les choses, tout ce qui est disponible, tout ce qui se vend, je vais voir en réserve, le bruit de la lecture magnétique à la caisse, électrocardiogramme du consommateur, parcours Ikéa, pardon, mademoiselle, vous pouvez ouvrir votre sac ?, parce que le code barre induit aussi que vous vous soumettiez au droit de la chose, du détenteur de la chose, ce modèle n'existe plus qu'en bleu, là-bas, choses à vendre et nous dans la file d'attente, en face de la caisse 61, il y a une borne pour vérifier le prix, parce que l'identité de la chose est son prix, toujours TTC, gain de productivité, rayon surgelés, le film plastique enveloppant la viande, les packs de lait et d'eau, pas la peine de les sortir de votre caddy, et elle se penche avec son instrument laser, vlan, Star Wars en grande surface,  la carte maison, avantageuse une fois par mois, en temps de crise ce n'est pas rien, suivre le parcours du colis, sur ce nuancier vous avez le choix entre trente-neuf rouges différents, vous me dites j'introduis le code et je vous sors le pot, la petite lumière et la sonnerie à la porte du magasin, le règne des choses, rien ne doit se perdre parce que tout est cassable, putrescible, comestible, consommable, et doit être consommé, mais il faut qu'on le sache pour nos statistiques, réapprovisionner, fitter/happier/more productive/confortable/, savoir où on en est du stock, éviter le stock et privilégier le flux tendu, alors il faut qu'on sache où on en est des choses, ça n'a pas de prix,  traçabilité, tra abilité, ra abil té, a   il té, a    i té, a      té, a      t...

    L'homo œconomicus de la présente postmodernité  a ainsi posé une symbolique égalité entre les êtres et les objets...

    alors que nous ne sommes pas des objets, des choses, parce que nous ne vivons pas des choses mais des moments, avoir des souvenirs, le répertoire toujours indécis de l'existence, l'aléatoire, faire des listes, oublier sa liste, rayer de la liste, partir, revenir, revenir sur ce à quoi on tient,  même quand on n'y tient plus, aimer, que tout se joue, infiniment, dans l'espace non linéaire du cœur, du sexe, des yeux, du cerveau, des mains, des odeurs, n'être pas toujours sous contrôle, ne pas être sa carte d'identité, son numéro de passeport, fût-il biométrique, avoir un certain  goût pour la mer à 16°, la brume de chaleur, Franck Sinatra (et s'entendre dire : mais comment tu peux aimer Sinatra ?), etc, refuser de s'abonner et de collectionner les cartes à code barre qui te feront gagner du temps, de l'argent, de la considération (you are a VIP, man, with all these cards : Printemps, Nocibé, Auchan, Leroy-Merlin, Marrionnaud, Fnac, UGC, Ikéa., Galeries Lafayette,...), je ne veux pas être soluble dans le brouet libéral (chant du présomptif...), mais insoluble, y compris à soi-même, surtout à soi-même peut-être, tout ce que nous gardons dans notre mémoire (c'est-à-dire, tout ce qui ne se met pas en mémoire), mémoire vraiment vive, ce que je ne saurais jamais de l'autre, qui n'est pas un code barre, n'est pas une chose,  parce qu'il y a le petit pan de mur jaune, le petit pan de mur jaune, éternellement, le petit pan de mur jaune, tout ce que nous n'oublions pas, ne voulons pas oublier, ni toi, ni moi...

                                     

     

     

  • D'un usage terrorisant du voisinage

    Une rue de Prague

     

    Peut-être cela a-t-il changé, maintenant que Prague est tendance, mais en 2002, on trouvait encore dans des cafés de cette ville de grandes tables dont les clients sans forcément se connaître devaient partager l'occupation. L'amie tchèque expliquait que c'était là une survivance des temps communistes, lorsque le contrôle des individus devaient s'exercer dans tous les endroits et tous les moments de l'existence, ce qu'Hannah Arendt a défini sous le terme d'Etat totalitaire. Ainsi chacun était-il contraint à partager un espace semi-privé avec des étrangers dont il ne savait pas ce qu'ils pensaient. Potentiels séides du pouvoir. La puissance de neutralisation des personnes passait donc par l'imposition d'une auto-censure et d'une paranoïa de chaque instant, meilleur garant pour étouffer dans l'œuf les idées subversives (et la subversion commençait tôt en ces territoires).

    Regarder quelques épisodes de Desperate Housewives ne manque pas d'intérêt, une fois que l'on a fait abstraction de toutes les considérations esthétiques. Quoique d'une grande médiocrité, cette série américaine offre le panorama d'une autre société de contrôle. Ces femmes, caricaturales de sottise, campent dans le fond, et du mieux qu'il puisse être fait, puisque l'idiotie file aisément vers l'infini et n'est jamais si innocente qu'on le prétend (1), elles campent, disons-le, la forme totalitaire en espace libéral. La rue de ce petit lotissement propret est un microcosme. Les fenêtres derrière lesquelles chacun observe ses voisins sont les miradors civils d'un droit inaliénable d'autrui à l'intrusion. Plus qu'un droit même, un devoir. Nous sommes bien loin de la vieille madame Michu qui veille : la jeunesse de ces femmes est en soi la marque d'une éducation. Ce n'est pas l'aigreur d'une fin de vie ennuyeuse qui les met en mouvement mais un fond de structuration sociale. Que cela soit présenté sous la forme d'une comédie ne change rien. On pense plutôt à l'univers des gated communities, des common-interest developments (CID) dont Jeremy Rifkin, dans L'Âge de l'accès, a décrypté les logiques terrifiantes. Être entre soi n'est qu'une liberté en trompe l'œil et les quelques lignes qui suivent, tirées de son ouvrage, ne sont pas des caricatures, mais la maximalisation du système.

    À Ashland, dans le Massachussetts, un vétéran de la guerre du Vietnam s'est vu interdire de déployer la bannière étoilée le jour de la fête nationale du drapeau. À Monroe, dans le New Jersey, un homme a été poursuivi en justice par l'administration du CID parce que sa femme, âgée de quarante-trois cinq ans à l'époque des faits, avait trois ans de moins que le minimum exigé par les statuts de l'association des résidents. Les tribunaux ont donné raison aux plaignants et ont ordonné à la personne en question de choisir entre vendre ou louer sa propriété et cesser de cohabiter avec son épouse. À Fort Lauderdale, en Floride, l'administrateur d'une co-propriété a ordonné à un couple de cesser d'utiliser leur porte de derrière pour entrer et sortir de leur domicile, car leur va-et-vient laissaient des traces sur la pelouse. (2)

    Pourquoi rapprocher ainsi la Tchécoslovaquie des temps post-staliniens et les États-Unis, libéral. Parce qu'ils ne sont que deux modalités d'une même logique politique. Le degré de cœrcition, l'une semblant plus douce, plus invisible que l'autre, n'est pas, me semble-t-il, un critère suffisant pour remettre en cause, sur le fond, les impératifs qui sous-tendent l'objectif qu'on leur assigne. Il s'agit bien de conformer au maximum des individus, de leur rendre le plus difficile possible tout acte d'insoumission et de poser comme rationnel l'effacement de la limite privé/public, alors même que, aux États-Unis, le respect de la liberté individuelle est prétendument une vertu cardinale de cette nation. Mais il faut comprendre que l'essentiel est de pousser les citoyens à faire eux-mêmes le chemin vers le silence et l'ordre. Le développement des CID (près de 48 millions de personnes, selon Rifkin) va ainsi de pair avec la pression aliénante d'une société de plus en plus moralisante, car il est évident que les participants à ce système proprement fascisant sont socialement et politiquement ceux qui profitent (ou croient profiter) des bienfaits de ce nouvel ordre. Croient profiter : parce qu'il n'est pas sûr qu'un jour ils n'en paient pas, pour les moins forts d'entre eux, la facture et que le prix n'en soit pas exorbitant. Comme nul état ne peut engager des moyens infinis pour que chacun reste à sa place, il faut déléguer à la base un semblant de pouvoir dont, avec innocence le plus souvent, celle-ci se délecte. Le modèle communiste s'en tenait à une version dure, trop visible, trop coûteuse pour ne pas aller, sur le long terme, à la faillite. Le modèle libéral a, lui, compris qu'en introduisant dans le jeu une part de jouissance (3) et la perspective d'un profit symbolique immédiat, on pouvait obtenir des résultats beaucoup plus durables et efficaces.

    Ce choix commence à prendre dans l'espace européen, plus ouvert, historiquement, à la formalisation social-démocrate. Il ne faut pas se méprendre : l'inquiétude autour de la surveillance vidéo est une sorte un leurre. Derrière toute technique, il y a l'homme et pour se charger des basses besognes, il demeure le meilleur agent qui soit.


    (1)Quoiqu'en la matière il faille là aussi être dans la nuance, car Dostoïevski dévoile avec le Prince Mychkine il y a des personnes dont l'idiotie est une forme supérieure d'humanité. Mais la comparaison a-t-elle un sens ? L'une de ces malheureuses femmes au foyer face à l'aristocrate russe... Que les amoureux de l'écrivain russe me pardonnent.

    (2) Jeremy Rifkin, L'Âge de l'accès, Pocket, 2002 (2000), pp.198-199.

    (3)Cette jouissance se trouve dans le potentiel de paroles offert à chacun, potentiel qui gagne sa légitimité dans une structure éthico-linguistique ne relevant pas de la seule humeur du sujet. Soit : la médisance se transforme en une évaluation objectivée. On passe du reproche au procès, comme le montre très bien Rifkin.