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  • Plutôt que l'indignation hystérique...

    Plutôt que d'invoquer les vertus républicaines et autres balivernes laïques, il serait urgent que la France, et à travers elle l'Europe, pense à ce qui l'a fondée, à ce qu'on veut détruire, ce que l'on nous somme de taire. J'entendais dernièrement Jean Rouaud s'extasier sur Bach et conclure, avec une naïveté un peu niaise (1), qu'il avait composé tout cela parce qu'il avait, ce Bach, la foi. Voilà qui serait une découverte. Mais n'en est-il pas de ce qui donne sens à notre décor, à notre espace, à notre art, à cette historicité profonde que la modernité a voulu neutraliser en la muséifiant, en la réduisant à une patrimoine visitable dimanche et jours de fêtes (2). Revenir à la colonne vertébrale de notre histoire européenne serait une ambition plus lourde et plus sérieuse que d'être Bruxelles après avoir été Paris. L'idiote Hidalgo, reine municipale des bobos, a illustré la radicalité de la bêtise qui nous mène vers le chaos et l'asservissement : pour conjurer la violence, elle a voulu que la Tour Eiffel soit illuminée aux couleurs de la Belgique. Pauvre Belgique, dirai-je après Baudelaire. Pauvres morts que le ridicule des regrets et des repentances de circonstances tue une seconde fois en quelques heures.

    Devant tant de désordre, hier, j'ai relu Proust. Du côté de Guermantes, et écouté Bach, les Toccatas 910 à 916. Ce n'était pas très solidaire, comme on dit aujourd'hui. Mais que puis-je faire d'autre puisque ma voix, qui conchie la République, les fausses valeurs laïques, l'islamo-gauchisme au pouvoir, les compromissions des intérêts mondialistes et libéraux, cette voix n'a le droit qu'au mépris et à l'ignorance ?

    Aujourd'hui, j'ai relu Hoffmann, L'Homme au sable et, avec grand bonheur, j'ai retrouvé le Stabat Mater de Pergolesi, dirigé par Claudio Abbado. De magnifiques profondeurs qui sont aussi ce que veulent tuer les islamistes. Oui, Bach et la foi. Pergolesi et la foi. Proust s'inquiétant des églises qui partent en ruines. Oui. Mon pays, mon passé, mon présent et mon hypothétique futur.


     

    (1)Ce regret n'est pas une marque de mépris, mais un vrai étonnement, tant j'ai de considération pour cet écrivain et en particulier pour sa trilogie initiale et familiale

    (2)Quoique pour le dimanche, cela risque d'être difficile pour beaucoup, maintenant que tout doit être ouvert...

  • La belle affaire...

    Dans un texte écrit en 1733, une Lettre à un premier commis, lequel commis n'est pas un gratte-papier mais un important de ce qu'on ne peut pas encore appeler le corps des fonctionnaires, Voltaire énumère les raisons majeures qui doivent présider à la suppression de la censure pour les livres. C'est un texte que les voltairiens aiment à citer pour rappeler combien cet écrivain représente une figure éminente de la pensée libre et libérée. Ils y voient un esprit très français, une sorte de spiritualité toute hexagonale qui fonde, en partie, l'idée que les Lumières de ce pays forment le sommet de notre pensée. Référence discutable dont on peut ne pas se réclamer...

    Ce texte, donc, contre la censure. Et parmi les objections, le passage qui suit :

    "Les pensées des hommes sont devenues un objet important de commerce. Les libraires hollandais gagnent un million par an, parce que les Français ont eu de l'esprit. Un roman médiocre est, je le sais bien, parmi les livres, ce qu'est dans le monde un sot qui veut avoir de l'imagination. On s'en moque mais on le souffre. Ce roman fait vivre et l'auteur qui l'a composé, et le libraire qui le débite, et le fondeur, et l'imprimeur, et le papetier, et le relieur, et le colporteur, et le marchand de mauvais vin, à qui tous ceux-là portent leur argent. L'ouvrage amuse encore deux ou trois heures quelques femmes avec lesquelles il faut de la nouveauté en livres, comme en tout le reste. Ainsi, tout méprisable qu'il est, il a produit deux choses importantes : du profit et du plaisir."

    Ce qui frappe aussitôt tient à l'abandon de toute considération proprement littéraire ou, nonobstant l'anachronisme du terme, culturelle. Ici, il est question d'affaires, de revenus, de commerce, d'économie pour le dire en simplifiant. C'est le Voltaire anglais qui transpire dans cette analyse, celui qui voit dans le libéralisme et les lois du commerce un moyen d'émancipation. À voir... Ne s'agit-il pas surtout de brasser de l'argent, de s'intégrer dans une logique de concurrence, de considérer les livres comme une marchandise qui "produit deux choses importantes : du profit et du plaisir". L'ordre n'est pas indifférent, je crois, surtout quand le plaisir  fait écho à ces "deux ou trois heures" pendant lesquelles "l'ouvrage amuse (...) quelques femmes".

    La littérature ainsi conçue n'a plus rien à voir avec les Belles Lettres. Elle n'a pas pour objet d'élever l'esprit mais d'entrer dans le cycle vertueux de la comptabilité et des échanges commerciaux. On est loin alors du commerce des esprits tel qu'on l'envisageait encore au XVIIe siècle et que des âmes nostalgiques évoqueront encore dans les temps suivants. Avec Voltaire, nous sommes pleinement dans l'esprit du XVIIIe, lequel fut moins spirituel (1)  que sinistrement hanté par l'omnipotence de la raison, une raison qui n'avait plus rien à voir avec l'usage que voulait en faire, par exemple, un Descartes, dans l'équilibre qu'elle trouve avec le mystère de la foi. Avec Voltaire, on plonge dans l'ordre d'une rigueur utilitariste et mercantile : sa raison est, quand on y regarde bien, celle qui préside aujourd'hui à la grandeur du marché, à l'intelligence marketing, à la gouvernance indexée sur les équations économiques.

    C'est cette raison-là que l'on nous vend depuis la Révolution et la propagande républicano-maçonnique en a fait une de ses œuvres majeures. Certainement, la libre expression, la fin de la censure sont de bien belles choses. Encore faudrait-il que ces dernières ne soient pas des leurres et que les étais culturels de notre histoire n'aient pas été à ce point minés, si l'on veut bien considérer en ce début de XXIe siècle l'extension phénoménale de la bêtise et de l'ignorance...

     

    (1)Particulièrement en France où l'anti-cléricalisme trouva dans les horreurs révolutionnaires de quoi fonder un discours politique dont le bourgeon funeste est la laïcité actuelle, laquelle se prévaut d'une haine anti-chrétienne délirante et d'une collaboration avec l'islamisme radical.

  • Une légende

    Ainsi le jugèrent-ils insensé, quoique le verbe convienne mal -ce serait plutôt une estimation, comme on le fait d'une étrangeté, avec marge de manœuvre, qu'un propos sentencieux, celui qui arriva un soir de pluie, entra au bar de la Mairie, avec son sac à dos bas de gamme et un gros sac poubelle d'où il sortit un billet de vingt euros pour payer son double cognac. Puis il demanda s'il y avait une institution bancaire (ce sont ses mots) et, d'abord, un hôtel pour prendre une chambre. Il avait de l'argent à placer, et de montrer le sac plastique sombre gonflé comme une belle outre. Tout le monde le fixa avec sidération : le tenancier et les quatre poivrots de l'heure tardive. Il traversa la place, prit la première chambre qu'on lui proposa, payant, en espèces, les cinq nuitées à venir. Trois cents euros, soit cinq billets de cinquante, claqués sur le présentoir.

    Et, dans le matin pluvieux, l'affaire courut vite, entre café et petits blancs secs, d'un dingue plein aux as (pour les amateurs de belote), blindé de thunes (pour les anciens militaires), qui logeait chambre sept, selon les informations de première main de la mère Jodelle qui n'en revenait toujours pas de ce grand échalas, maigre comme le Jésus du tableau de l'église, répondant par monosyllabes, et sans un regard pour elle quand elle essaya de lui parler.

    Ils attendirent derrière les carreaux embués de le voir sortir. Ils suivraient ses pas de loin, parce qu'il leur faisait peur. Dix sonna, puis midi, et la bête ne sortait pas de sa tanière. Il devait se reposer. Ainsi passa le jour, et le lendemain, après le carillon méridien, la mère Jodelle se décida à frapper à la porte et personne ne répondit. Elle appela Perrot, le charcutier, pour ne pas être prise en défaut, être traitée possiblement de voleuse, car elle avait l'instinct des catastrophes.

    On demanda la gendarmerie qui força la serrure et on le trouva, tout habillé, allongé et sérieux, le visage déjà perdu dans la mort. On pratiqua une autopsie qui détermina un infarctus. Il n'avait aucun papier sur lui et le sac poubelle était rempli de papier journal, si ce n'est la somme fort modique de cent quinze euros, en petites coupures...

  • La quiétude

    Il y a cette singulière attention que l'on doit à ce qui passe, et la nécessité de sentir que tout vient s'achever en soi, paisiblement. Le sacré, comme un soin de l'âme. On oublie (ou l'on ignore) que depuis des siècles, dans l'antériorité de leur propre disparition, des hommes ont déjà pensé à nous. Ils ont écrit, peint, ou composé. Non pas pour nous consoler mais pour que nous ayons moins peur. Moins peur de vivre et de mourir. Ainsi ne faut-il pas prendre le Funeral Canticle de John Tavener avec angoisse mais dans la quiétude de ce qui vient de loin, passant les siècles comme nous allons nous-mêmes passer...


  • Figures de style

    Il fut un temps où l'expression "intellectuels de gauche" était une redondance. Temps béni de la terreur dans les lettres et ailleurs. Discours faisandé à partir d'une illusion rouge (qu'elle fût stalinienne ou maoïste), ou d'une rêverie libertaire dont la finalité était de facto d'installer comme une vérité absolue le laisser-faire, laisser-circuler, laisser-spéculer du néo-libéralisme. Bavardage terrifiant et mortifère dont la queue de comète s'éteint sous nos yeux, alors que cette même expression est devenue un oxymoron.