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  • Murs (IV)

    Le mur qu’on ne voit pas. Il est là pourtant, sous nos pieds, massif, filant de part et d’autre. Sur lequel on s’est hissé ; et soudain, c’est l’horizon dégagé, le plus-que-lointain dont on défait le quotidien rasant qui cogne, justement, contre la succession des murs, entre quoi on se débat. Le labyrinthe.

    Mais, ici, c’est la vision panoramique, et le mur d’enceinte est comme une colline, le rehaussement temporaire des journées sépulcrales.

    On y monte parfois à la peine et l’horizon déçoit : il est chargé, trop lourd, gris, bouché. Mais on a gagné le repaire du plus-venteux, du plus-ardent : le découvert vertigineux par quoi on sort de la ville tout en y étant à demeure.

    Et l’on s’étonne aussi de cette opiniâtreté verticale, quand on se penche et qu’en contrebas, un court instant, on imagine, tremblant, l’irréparable de la chute.

     

  • Murs (III)

    La façade est l’animation de la surface. Il y a toujours à son endroit la question d’un visage. C’est à la fois le mur et sa négation, quoique ce dernier mot soit excessif, parce que rien ne supprime le mur, jamais, son idéal, sa muralité. Il s’agit d’une articulation de l’espace. La composition plus ou moins ardue de l’espace et du temps. Voilà pourquoi elle porte autant au souvenir, d’enfance en particulier.

    Le mur, dans son rôle de façade, prend tournure, comme on dit d’un corps. Il est alors, plus que dans sa définition austère d’élément construit en continu, une ressource pour celui qui le regarde, voire le défait.

    Ainsi cette infinité (ce fut ta vision première, ton sentiment sans voix, ton histoire sans paroles) de fenêtres devant lesquelles tu passais, dans ton enfance londonienne. Tu longeais cette bâtisse dont la géométrie t’impressionnait et lorsque tu fus en âge de bien parler, tu demandais sans cesse à ton père combien il y avait de fenêtres. Mais tu choisissais mal tes mots : c’était l’infinité des carreaux qui te fascinait. Pendant longtemps, que le pas soit pressé ou vagabond, il répondait : « beaucoup ». Puis ce fut : « des centaines ». Un jour que tu avais encore monté en graine, il en profita pour t’inculquer les tables de multiplication : celles de deux, de trois, de six en particulier. Cela t’amusait, et le calcul mental fut un plaisir tout architectural. Il parlait aussi des alvéoles d’une ruche et lorsque tu voyais la grande demeure de nuit, c’était rare, les éclairages se répandaient jusqu’aux dehors te faisaient penser à du miel.

    Tu abandonnas peu à peu cette rêverie infantile et si tu devais user d’une métaphore, maintenant adolescent, c’était, geste potachique, pour te rappeler les feuilles 21x29,7 petits carreaux sur lesquelles tu jouais avec François ou Jeanne aux petits carrés. Et c’eût été si drôle de refaire ainsi la façade en la maquillant de traits alternatifs bleus et rouges.

    Tu partis ailleurs et les tiens aussi. Voir le monde, un peu. Et recula dans ta mémoire jusqu’à ne plus exister vraiment ce pan de pierre et de vitres qui t’avait tant occupé. Ce n’est que l’an dernier, à l’occasion d’un passage furtif dans ces lieux où tu n’avais plus guère qu’un oncle mourant dont tu serais l’héritier, que tu as de nouveau déambulé dans la ville, et que tu as retrouvé ta chère façade.

    Mais, étrangement, ce n’est plus l’enchantement des carreaux sans nombre que tu as trouvé. Tu as levé tes yeux plus haut, vers la partie supérieure du bâtiment, dans cette partie pleine dont tu n’avais que faire jadis, et tu t’es surpris de n’en avoir jamais gardé souvenir. Plus encore : cette alternance de bandes maçonnées, rouges et blanches, ce rythme architectural t’a projeté bien loin de ce lieu, dans un voyage que tu n’aurais jamais envisagé a priori. Tu as revu la Toscane et ses églises, la géographie des murs bicolores, ceux verts et blancs de la cathédrale de Sienne, ceux blancs et roses de San Paolo a ripa de Florence. Mais c’est vers le San Zeno véronais que ton esprit s’est tourné et pour lequel la correspondance t’a parlé. Il s’agissait alors du pays que ton âme s’était choisie quand tu avais voyagé, ce chez-soi intuitif que les plus ambitieux des rêveurs se donnent le besoin de trouver. Tu n’avais pas, toi, mis trop de temps à vivre de la beauté toscane.

    Il s’était mis à pleuvoir ; ton œil s’était embué d’une émotion secrète ; la façade avait tout à coup un flou qui montait vers le ciel et tu ne savais pas à quel point cette trace secondaire (comme on parlerait d’une route secondaire) n’était pas la vérité profonde de ton histoire instinctive avec la lumière italienne. Comment croire que dans cette frise lapidaire que tu avais toujours ignorée, sur laquelle tu n’interrogeais jamais la rigueur paternelle, était cachée l’une des plus belles rencontres de ton existence ? Tes déambulations au milieu de l’éclat gothique, là-bas, gardaient le signe secret de ces allées et venues si souvent brumeuses ici. Tu avais toi aussi, dans un ordre que tu n’appréhendais pas encore, que tu pressentais seulement (comme si le récit de ces retrouvailles commençait maintenant et ne se prolongerait que dans ton départ, en quittant la place, quand cette partie supérieure de la façade deviendrait un souvenir, c’est-à-dire conscience du souvenir comme tel), ta rencontre fatidique et émouvante avec ton petit pan de mur. Et tu pouvais désormais reprendre le chemin de ce pèlerinage involontaire et le faire fructifier dans ta mémoire comme une vitre au carreau enfin poli.

     

  • Murs (II)

    Il avait en horreur les murs nus. Il disait d’ailleurs : murs nus, à entendre, c’est laid. Manque de poésie. Dissonant. Et dans certains cas, dans certaines circonstances, on penserait aisément que vous déformez le nom de Murnau. Le u est laid. Voyelle la moins fréquente des langues. On comprend pourquoi : mur nu. Quelle horreur !

    Il avait dit à son copain de s’occuper du mur. Il n’avait, lui, pas d’idée. De toute manière, il ne voulait rien imposer. Il ne débordait pas d’imagination. Son problème tenait moins dans les choses que dans les mots.

    Peindre le mur ne signifie pas qu’on le change. C’est trop facile, qu’on enduise pour en mettre une couche. Puis une deuxième couche, et qu’on en déduise que la couleur, vive ou sombre, mate ou brillante, voire satinée, ait résolu le problème. Elle fait office de cache-misère. La peinture n’habille pas. Elle recouvre, ce qui revient à le laisser en l’état. C’est tellement évident qu’un daltonien n’y verrait parfois que du feu, et qu’un photographe N&B annulerait, annihilerait même, l’effort. La teinte n’enlève pas la platitude. Elle la désigne.

    Il fallait une manière. Il fallait une matière. Quelque chose qui donne une perspective, une profondeur. Un relief.

    Son copain ne manquait pas de ressources, disait-il, mais devant toutes les propositions il faisait la moue. Certes, on ne vit pas avec un mur mais, si l’on y regarde bien, c’est un environnement. De dessins en dessins, d’échéances en échéances, l’affaire traînait et ce mur devint une obsession, au point qu’il décida que pendant ses vacances le copain ferait comme bon lui semblerait et qu’il se plierait à son inspiration.

    Et quand il revint, il le trouva en train d’achever son œuvre. Il eut un choc. La violence du thème. Une arme. Pouvait-il s’y attendre ? Et ce fond tout en sinuosités, comme un souvenir des années soixante-dix ? Qu’avait-il fait de son mur ? Il ne reconnaissait rien. Tout l’espace avait une autre configuration. Il était plus que dépaysé : c’était comme s’il n’était plus chez lui. Le mur s’était ainsi projeté, avait fait un bon en avant.

    Il ne savait que penser. Une arme…

    Il ne fallait rien y voir d’agressif ou de provocateur, disait son copain. L’idée lui était venue en écoutant les Beatles. L’album Revolver. Et du coup, les géométries environnantes étaient l’écho pop d’une époque qu’ils n’avaient pas connue. Rien de plus.

    Et lorsqu’il regardait désormais son mur, bien qu’il n’ait guère eu son mot à dire dans l’histoire, il imaginait toutes les gloses qui pourraient en découler dans l’esprit des visiteurs, surtout de ceux qui ne le connaissaient pas. Il y avait là matière. Comme, au hasard, celle d’un gars qui détestait les murs nus jusqu’à ce qu’un copain artiste vienne flinguer le sien.

     

  • Murs (I)

    Les veines du mur, l'irrigation jointive des pierres les unes aux autres, 
    pour faire corps
    faire masse
    et l'appareil, frais d'abord, enfin durci par le temps,
    pour que le mur soit prétendument inaltérable.






     

  • Tom Waits, des profondeurs

    La première fois que l'on entend Tom Waits, on y croit à peine. De le voir, même, ne change rien à l'affaire. Cette caverne, chaude et mélancolique, est une source d'émotion comme la pop nous en a peu donné. Tom Waits, c'est un Nick Cave sans le mystère dandy, l'ombre sans la recherche de l'énigme. Quand il chante Waltzing Matilda (dont le titre réel est Tom Traubert's Blue (1)), on reste sans voix, il n'y a pas d'autre moyen de le dire, sans voix devant cette histoire de misère dont il se fait le conteur foudroyé. Il grimace et nous, à l'écouter, prenons en sympathie celui qui commence ainsi sa complainte :

    Wasted and wounded, it ain't what the moon did
    I've got what I paid for now
    see ya tomorrow, hey Frank, can I borrow
    a couple of bucks from you, to go
    Waltzing Matilda, waltzing Matilda, you'll go waltzing
    Matilda with me
     


     

    (1)Tom Waits fait référence à une très ancienne chanson australienne. La chanson se trouve sur l'album Small Change sur lequel jouent Jim Hughart (qui accompagna Joe Pass) à la basse et Shelly Manne à la batterie. (batteur qui aura joué avec les plus grands : de Bill Evans à Chet Baker en passant par Sonny Rollins ou Art Pepper). On peut la trouver sur Youtube. Il y a un arrangement de cordes qui atténue la rudesse de la voix. C'est du studio. J'ai préféré la version concert, plus âpre et plus jazzy.

  • L'Union Européenne

    Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! Morgues pleines...