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  • Basse continue

    Le bruit des voix, le matin, dans la salle de repos, si mal désignée, ou dans le bus, avant. C'est moins la cacophonie qui te heurte que la tension de tous ces timbres et de toutes ces hauteurs, comme s'il y avait urgence à parler, à dire ce qu'on a à dire.

    Et cette convergence diffuse des éveillés sortant de leur nuit, gros sommeil ou insomnie, c'est pareil, te rend muet. Elle neutralise en toi, ils et elles retirent de toi, l'envie et le besoin de les entendre, et plus encore de les connaître. 

    Est-ce de la mauvaise foi ou de la lassitude ? Peut-être des deux, mais tu n'en t'en préoccupes pas très longtemps car, toi aussi, tu mets en place ta panoplie charmante d'oubli : une surdité qui médite les mots que tu lis, ou les phrases précieuses dont ta mémoire a fait son lit... Ainsi, se substitue à la palabre le fruit sucré dont tu jouis plus encore les yeux fermés... On croit que tu dors, que tu t'es assoupi. "Il finit sa nuit", entends-tu au lointain, alors que tu es justement en pleine clarté.

  • Unilingue

    Dans un beau billet qui discutait d'une citation fausse (ou plutôt détournée) attribuée à Franz Kafka, Pascal Adam mentionne la phrase suivante, en date du 12 juin 1923, dernier jour du Journal de l'écrivain tchèque : « Nous creusons la fosse de Babel. »

     

    Sur cette phrase du dernier jour diariste : comment la comprendre ? S'agit-il d'imaginer une cacophonie de jour en jour plus grande, ou, par un audacieux paradoxe, comprendre que l'éparpillement linguistique de Babel va vers sa fin ?

    En fait, faut-il que nous nous comprenions ? Y a-t-il un mal à la multiplicité des langues, c'est-à-dire des regards, des histoires, des rêves, des interrogations, des enthousiasmes et des pleurs, des renoncements et des formes ? Dans un monde qui veut de l'unité formelle et des comportements de cibles marketing, cette parole aux couleurs infinies dérange. On lui préférerait en hauts lieux le sabir appauvri, routinier et "efficace". C'est bien la seule diversité qu'on ne veut plus préserver (quand on nous assomme de ce mot pour tout le reste) parce qu'elle n'est pas commercialement mondiale, indéclinable sur l'échelle des valeurs marchandes.

  • L'Ignominie

    Aux idéologues et aux béats du "vivre ensemble", il faudrait demander qu'ils viennent, les yeux dans les yeux, s'expliquer devant ceux qui vont devoir "vivre avec", avec leurs morts, leurs blessés, leurs terrorisés, blessés et terrorisés eux-mêmes. Quand on a l'humanité en étendard et les bons sentiments perpétuellement à la bouche, cela ne devrait pas être difficile.

    En attendant, je suppose qu'ils se féliciteront de la visite présidentielle à la Grande Mosquée en ces temps de commémoration. Il est vrai que les musulmans ont beaucoup souffert en 2015. Douze morts dans les murs de Charlie-Hebdo, plus de cent trente dans les rues parisiennes. Ils méritaient bien d'être réconfortés. 

    Mais ce n'est pas ce qu'on attend. Pas du thé et des loukoums. Seulement une relecture sérieuse et sans appel du texte sur lequel d'autres musulmans s'appuient pour assassiner, torturer, asservir, violer, méprise. Parce qu'il faut le dire une fois pour toutes : nul ne peut, à commencer par les autorités religieuses, s'arroger le droit de contester leur foi, quand cette foi et ces actes se fondent, comme le fait l'État Islamique, sur des sourates dont ils ne modifient pas une ligne, pas un mot.

    Tant que cela n'aura pas été fait, la visite présidentielle est une insulte aux morts et à l'intelligence...

  • Les Stupéfiants

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    Les jours où tu te tais, quand pas un signe de toi n'apparaît, sur quelque canal ou liste... N'être nulle part... À moins que ce ne soit un rêve essentiel : (re)naître ailleurs, ailleurs que dans le réseau ou la toile, que dans l'écho à peine vif des mots et des images (ils et elles sont peut-être, comme la lumière des étoiles : reçus alors que l'astre est déjà mort), ailleurs que dans la parole desquamée,

    ces jours-là ne sont-ils pas les plus précieux...

     

    Photo : Philippe Nauher

  • La Mort de l'esprit

    La une de Charlie-Hebdo qui paraît demain, pour commémorer le massacre de l'année passée, fait polémique. Plus : elle déclenche l'hostilité et ceux qui ont payé un tribut démesuré pour la liberté d'expression contre l'islamisme se retrouvent sur le banc des accusés. Et pour le coup, tout le monde s'y met : les musulmans, mais aussi les catholiques. Les politiques ne sont pas en reste. Il paraît que le dessin de Riss ne fait pas rire Juppé. C'est déjà un indice. Qui peut imaginer que Juppé ait de l'humour... Passons. À gauche, Le Guen est gêné. Bref, tous ces jean-foutre ne sont plus guère Charlie. L'ont-ils d'ailleurs jamais été ou bien n'était-ce qu'une pause, une posture (une de plus) ? Est-ce d'ailleurs la bonne question ? On ne peut pourtant pas l'éluder puisque on a fustigé ceux qui ne l'étaient pas. Et je ne l'étais pas. Pour une raison simple : je ne collabore pas et parmi les émus de janvier 2015 bien des responsables politiques avaient la lâcheté comme marque de fabrique.

    Retour sur cette une. Fait-elle rire ? Pas vraiment. Est-elle faite pour qu'on se marre ? Je ne crois pas. Elle évoque un état du monde. Riss voit son environnement et les effets de la terreur avec un œil sombre et un esprit très noir. Peut-on lui en vouloir ? Moi, pas. Ce dessin ne me fait pas rire. Mais il ne m'offusque pas non plus. Ma foi n'est pas atteinte. Elle n'est pas atteinte parce qu'elle ne peut pas être ébranlée par trois coups de crayon. Je peux trouver ce dessin mal fait, imprécis, vulgaire, provocateur... Soit. Et après ? Il en faut bien plus pour que je renonce à Lui ou pour que je me sente l'envie (sans parler du droit) de faire justice. Mon catholicisme a plus d'envergure. Je plains ceux dont la croyance ne résiste pas à un dessin et les autres, qui n'invoquent pas leur croyance mais réprouvent la provocation, m'écœurent. Il leur en faut peu. À bien des égards, leur faiblesse est pitoyable. C'est un travail d'introspection qu'ils devraient faire plutôt que de désigner le coupable et de s'afficher en victime.

    L'athéisme est de ce monde, qu'on le veuille ou non. Cela signifie que Dieu (ou quelque nom qu'on lui donne quand on croit) tolère cette absence de l'homme à Lui-même. Voilà qui n'est pas rien et qui devrait pousser à la réflexion et à la (re)lecture. De Saint Augustin, par exemple, qui rappelle qu'il "croit pour comprendre". Ou de Descartes qui concilie la foi et la raison. Certes Les Méditations métaphysiques ne sont pas très fun... N'empêche. Il y aurait, de cette façon, matière à ne plus balancer de manière délirante sur une opposition absurde : Riss ou Dieu. Opposition qui gonfle à l'excès le premier et dévalorise singulièrement le second.

    Plutôt que d'invoquer le droit à la provocation de l'esprit républicain (lequel est un esprit de bas étage, avec les sanguinaires de la Révolution, Ferry et Jaurès comme hérauts/héros...), remontons dans le temps et retrouvons l'audace d'un Véronese ou d'un Caravage, lesquels croyaient puisqu'il ne pouvait en être autrement (1). On verra alors que l'ardeur du trait et les détournements du texte n'ont pas empêché Dieu d'exister. La lourdeur stupéfiante et provocante du corps christique dans la superbe Déposition de croix peint par le second n'a pas interdit que l'œuvre soit aujourd'hui un des joyaux du musée du Vatican. Il ne s'agit pas de rapprocher Riss de ces artistes mais de réduire justement le scandale à ce qu'il est dans le temps présent : une fabrication ordonnée, une manipulation de plus de la part des fanatiques, avec le blanc-seing des résignés et des couards et la complicité des médias.

    (1)Constat qui n'est pas une affirmation gratuite et triomphante mais une reprise assez banale de ce qu'il y a de meilleur chez Foucault. On ne peut pas penser totalement hors du monde qui nous entoure.