La une de Charlie-Hebdo qui paraît demain, pour commémorer le massacre de l'année passée, fait polémique. Plus : elle déclenche l'hostilité et ceux qui ont payé un tribut démesuré pour la liberté d'expression contre l'islamisme se retrouvent sur le banc des accusés. Et pour le coup, tout le monde s'y met : les musulmans, mais aussi les catholiques. Les politiques ne sont pas en reste. Il paraît que le dessin de Riss ne fait pas rire Juppé. C'est déjà un indice. Qui peut imaginer que Juppé ait de l'humour... Passons. À gauche, Le Guen est gêné. Bref, tous ces jean-foutre ne sont plus guère Charlie. L'ont-ils d'ailleurs jamais été ou bien n'était-ce qu'une pause, une posture (une de plus) ? Est-ce d'ailleurs la bonne question ? On ne peut pourtant pas l'éluder puisque on a fustigé ceux qui ne l'étaient pas. Et je ne l'étais pas. Pour une raison simple : je ne collabore pas et parmi les émus de janvier 2015 bien des responsables politiques avaient la lâcheté comme marque de fabrique.
Retour sur cette une. Fait-elle rire ? Pas vraiment. Est-elle faite pour qu'on se marre ? Je ne crois pas. Elle évoque un état du monde. Riss voit son environnement et les effets de la terreur avec un œil sombre et un esprit très noir. Peut-on lui en vouloir ? Moi, pas. Ce dessin ne me fait pas rire. Mais il ne m'offusque pas non plus. Ma foi n'est pas atteinte. Elle n'est pas atteinte parce qu'elle ne peut pas être ébranlée par trois coups de crayon. Je peux trouver ce dessin mal fait, imprécis, vulgaire, provocateur... Soit. Et après ? Il en faut bien plus pour que je renonce à Lui ou pour que je me sente l'envie (sans parler du droit) de faire justice. Mon catholicisme a plus d'envergure. Je plains ceux dont la croyance ne résiste pas à un dessin et les autres, qui n'invoquent pas leur croyance mais réprouvent la provocation, m'écœurent. Il leur en faut peu. À bien des égards, leur faiblesse est pitoyable. C'est un travail d'introspection qu'ils devraient faire plutôt que de désigner le coupable et de s'afficher en victime.
L'athéisme est de ce monde, qu'on le veuille ou non. Cela signifie que Dieu (ou quelque nom qu'on lui donne quand on croit) tolère cette absence de l'homme à Lui-même. Voilà qui n'est pas rien et qui devrait pousser à la réflexion et à la (re)lecture. De Saint Augustin, par exemple, qui rappelle qu'il "croit pour comprendre". Ou de Descartes qui concilie la foi et la raison. Certes Les Méditations métaphysiques ne sont pas très fun... N'empêche. Il y aurait, de cette façon, matière à ne plus balancer de manière délirante sur une opposition absurde : Riss ou Dieu. Opposition qui gonfle à l'excès le premier et dévalorise singulièrement le second.
Plutôt que d'invoquer le droit à la provocation de l'esprit républicain (lequel est un esprit de bas étage, avec les sanguinaires de la Révolution, Ferry et Jaurès comme hérauts/héros...), remontons dans le temps et retrouvons l'audace d'un Véronese ou d'un Caravage, lesquels croyaient puisqu'il ne pouvait en être autrement (1). On verra alors que l'ardeur du trait et les détournements du texte n'ont pas empêché Dieu d'exister. La lourdeur stupéfiante et provocante du corps christique dans la superbe Déposition de croix peint par le second n'a pas interdit que l'œuvre soit aujourd'hui un des joyaux du musée du Vatican. Il ne s'agit pas de rapprocher Riss de ces artistes mais de réduire justement le scandale à ce qu'il est dans le temps présent : une fabrication ordonnée, une manipulation de plus de la part des fanatiques, avec le blanc-seing des résignés et des couards et la complicité des médias.
(1)Constat qui n'est pas une affirmation gratuite et triomphante mais une reprise assez banale de ce qu'il y a de meilleur chez Foucault. On ne peut pas penser totalement hors du monde qui nous entoure.
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