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tragique

  • L'inaltérable, Guido Reni.

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     (attribué à) Gudio Reni, Beatrice Cenci, ca 1600, Galleria Nationale d'Arte Antica, Palazzo Barberini, Rome

    Beatrice Cenci est une héroïne idéale. Elle sera d'ailleurs une figure majeure de la littérature romantique, de Shelley à Stendhal. Il y a dans sa vie tout ce qui peut activer le drame de l'offense, la grandeur de la révoltée, la tragédie de la Loi.

    Fille d'un aristocrate romain, Francesco Cenci, violent et immoral, elle subit les outrages paternels et décide de se venger. C'est un parricide pour lequel elle est condamnée à mort, malgré l'offense. Son procès est expéditif et elle est décapitée au château Saint Ange en 1599.

    Même si son attribution est aujourd'hui sujette à caution, puisque des spécialistes y voient la main d'une de ses élèves, ce portrait peint par Guido Reni (c'est en tout ca cet artiste qui figure comme auteur au musée du palais Barberini) a été l'objet de maintes reprises et une fable romantique affirmait que l'artiste avait œuvré alors même que la pauvre Beatrice se préparait au châtiment. Le début du XIXe siècle aime ces légendes, d'un art comme saisissement du dernier instant. C'est un moyen de sentir l'exacerbation des sentiments et des enjeux. Il lui faut ses mises en scène. Or, il n'en est rien avec Guido Reni. Le tableau est de petit format, centré sur le seul visage de Beatrice. Rien ne vient indiquer dans quel mouvement la jeune femme est engagée. Sa solitude accroît évidemment la beauté que le peintre a voulu faire ressortir. L'angélisme des traits, la douceur du regard, la décence de la mise, la blancheur du vêtement, tout concourt à l'hommage, un hommage sans le pathos qu'aurait suscité une situation explicite : la victime dans sa prison, entourée de ses geôliers, par exemple. Cette confrontation non seulement aurait déterminé les rapports de force ; elle aurait aussi inscrit Beatrice dans un temps précis de l'histoire, dans la souffrance, la détermination ou l'iniquité.

    En choisissant de privilégier l'intemporalité dans la représentation de Beatrice Cenci, tout en justifiant le sujet par l'horreur de la destinée qui la frappe, le peintre place le spectateur devant une étrange situation. Le tableau est postérieur à la mort du modèle, postérieur à toute la tragédie, entièrement développée, personnelle et institutionnelle. Ainsi, qui suis-je en train de regarder ? Quelle Beatrice Cenci ?, parce que malgré l'unicité de l'œuvre et du moment, il m'est toujours possible de déployer dasn ma contemplation des temps différents.

    S'agit-il de la Beatrice initiale, celle qui précéda l'injure paternelle, irradiante et fragile douceur dont on regarde alors l'angélisme en danger, dont on voit l'avenir funeste comme un témoin impuissant ?

    S'agit-il de la Beatrice bafouée, qui révèle à peine dans ses yeux touchés de mélancolie la douleur pudique, devant laquelle elle se retourne, dans un temps où la tétanie suit l'outrage ? Mais la beauté demeure, comme si rien ne pouvait l'atteindre, comme si la tache était immanquablement restée sur le corps du coupable et n'avait pas brisé la victime.

    S'agit-il de la Beatrice mystérieuse qui, sous des attraits inoffensifs, prépare avec son complice la vengeance ? Rien ne transparaît de sa détermination. La candeur dissimule l'énergie. Ce n'est pas l'hystérie tragique mais une intériorité violente et sereine dans un corps paré de grâce et de pureté.

    S'agit-il de la Beatrice criminelle que l'on vient d'arrêter ? Elle se retourne devant ses accusateurs. Elle comprend bien ce qu'on lui reproche mais sa vie est ailleurs. Le visage a la sérénité d'une justice transcendante. Elle est d'une beauté lointaine et inaltérable.

    S'agit-il de la Beatrice à l'heure du bourreau ? Elle jette un dernier regard vers la bassesse du monde, sans amertume. Le crime est invisible en elle. D'ailleurs, ce n'en était pas un. Reni efface de ce destin le moindre prosaïsme. Beatrice a l'éclat des martyrs, la pâleur fascinante d'une icône. La justice des hommes est une allégeance à la médiocrité dont auront à rendre compte, plus tard, ceux qui s'en prévalent. Pour l'heure, elle est devenue inacessible.

    De tous ces possibles, qui ne se contredisent nullement, Guido Reni a offert une image fixant l'instant où ils s'accumulent, formant, au fond, une vie propre aux héroïnes. Et comme elles, Beatrice Cenci est infiniment belle. Reni, dont la peinture ennuie, comme l'école de Bologne en général, désarme l'œil et des tableaux alentour, dans la salle, rien ne peut survivre...


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  • masculin-féminin : toute une histoire

    Le mépris, ce n'est pas la méprise. La méprise n'étant pas elle-même toujours méprise. Quand mépriser est éloigner, se mépriser n'est peut-être rien d'autre que de s'imposer à soi comme bourreau. Dans la méprise, il y a l'erreur. L'erreur de ne pas vouloir admettre que morts, nous ne serons rien ; que morts, nous aurons rendu les armes, à commencer par celles grâce auxquelles nous nous sentions sinon libres, du moins protégés. Mais nous nous sommes mépris, et ainsi, avons coupé le pont pour qui venait vers nous. Et nous parions de tout cet arbitraire du sentiment social, ce dans quoi nous fondons notre ignorance de la vie, de l'autre, de soi. Le mépris, c'est ne pas savoir perdre, avoir peur de perdre. Et tirer sa révérence à l'inconnu ; ne pas accepter de croire (hors de toute divinité). Alors qu'il faut croire pour la beauté du geste, croire pour le potentiel défié face à la défaite. Croire, tendrement, totalement, tragiquement. Ce que Jean-Luc Godard filme comme personne, parce que son nom est personne, soit : celui (ou celle) dont l'identité ne m'est pas encore connue, ou que je connais déjà, et dont je voudrais qu'il (ou elle) ne fût pas, et qui restera en moi, jusqu'à la mort, mais que, pire encore, j'aurais pu ne jamais connaître, et qui m'aurait manqué, comme il (ou elle) me manque, infiniment.



  • les Désaxés

     

     

    Alors ? Qu'en dis-tu ? Pas mal, pas mal, un casting d'enfer... Pas une affaire de casting, cette histoire, du moins pas au sens d'aujourd'hui. On ne va la contempler en pensant qu'un tel trio est bankable, ou ce genre de balivernes. C'est quoi, au juste ? Une photo de 1960, sur le tournage des Misfits de John Huston. Et tu trouves cela beau ? Émouvant ? J'en étais sûr ! La contemplation avec toi tourne toujours au soupçon, la larme à l'œil, l'impression d'une fin du monde, comme si contempler était lié à une condition romantique, ou quelque chose dans le genre... Alors quoi, c'est le côté mythe hollywoodien qui t'accroche ? Pour qu'il y ait mythe, il faut un rapport à la Mort et à la transcendance. Pas moi qui le dis mais Jean Rousset, à propos de Don Juan. Il n'y a plus de mythe depuis longtemps. De la pure fabrication, oui, mais plus rien de vraiment profond. Et si tu crois que je pense à Hollywood en regardant cette photo, tu passes à côté. Mais pour la mort... Il n'y a plus que de l'humain, et c'est à ce niveau que ces trois visages me tiennent. Parce que c'est une vieille photo ? Il n'y a que de vieilles photos, par essence... Je sais, je sais. Autre chose, de plus sensible, de presque incongru. Une sorte de dérision américaine, dont on ne sait pas encore qu'elle est tragique. C'est le dernier film de Gable, le dernier de Marilyn. Et Clift, lui, il est déjà outre-tombe, depuis son accident de voiture en 58. Ils sont bien misfits, tous les trois, et leur visage heureux n'est qu'un vernis pour cacher un désarroi plus grand. D'ailleurs, Clift s'en tient à l'esquisse d'un sourire. L'histoire est quelconque, à l'envers de leur destinée, mais ils se tournent autour sans jamais vraiment se toucher. C'est un sentiment fort, de regarder leur absence, cette absence à eux-mêmes dont seul Clift a l'air d'avoir conscience. Elle, avec son épaule jetée en avant et son apparence charmeuse ; lui, le bellâtre d'Autant en emporte le vent, avec ses rides, sa joie forcée, son visage ravagé... Il n'est plus tout jeune.. Il a cinquante-neuf ans ! La question n'est pas de savoir s'il fait plus. Non, l'essentiel est ailleurs, et personne ne sait à l'avance que le tragique est là. Il va mourir dans quelques semaines, Gable, à peine le film sorti, et elle dans un an. Et Clift ? Huston le reprendra pour jouer Freud et ce sera bien compliqué. Mais sa carrière est finie. Sa santé décline. Non, ce que je vois, ce sont des gens qui tirent leur révérence. Enfin, cela, ce sont des considérations a posteriori ! Bien sûr, mais ce qui nous attache au monde et auquel on réagit, les rencontres, et je veux dire : réelles ou symboliques, des êtres ou des choses, tout cela ne prend souvent son sens que plus tard, quand tu y ajoutes la connaissance de la fin, la perte désespérante et la part inconsolée avec laquelle tu avances chaque jour. Tu brodes alors ! Oui, on peut présenter notre vie ainsi : de la broderie. Mais, si on revient à notre sujet, je dis que c'est un monde qui s'en va, sans savoir qu'il s'en va, et chez ces rois du puritanisme que sont les Américains des années soixante... Encore maintenant. Oui, encore maintenant, chez ces puritains-là, de me dire que le dernier trio royal, où chacun a sa place, où tout n'est pas réduit à un duo, à un numéro d'acteur tournant à la ballade narcissique, un trio, tu imagines ?, que ce trio, ce soit un homosexuel ténébreux et mélancolique, le gars qui jouait si bien dans Une Place au soleil, que ce soit la bombe délurée que tout le monde devait désirer dans le secret de son retour de messe du dimanche, que ce soit un vieux beau républicain qui n'est plus que l'ombre de Rhett Butler, que ce soit ce trio, avec stetson en prime, cela me touche, oui, me touche... Un trio, comme dans Géant. Rock Hudson, Liz Taylor et James Dean... Toi, tu es du genre à comparer James Dean et Montgomery Clift. Laisse tomber, tu me fatigues...