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poésie - Page 2

  • Saint John Perse, insulaire

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    Je ne crois pas qu'on lise encore beaucoup Saint John Perse (mais la poésie en général...). Sans doute son air hautain, sa raideur toute diplomatique et son origine "coloniale" (il faut l'intelligence d'un Chamoiseau ou d'un Glissant pour se déprendre du "politiquement correct") en font un poète préparé à une certaine traversée du désert. Il est vrai qu'il y a chez lui une préciosité dans le langage et une ondulation métaphorique parfois agaçantes, souvent obscures. Malgré tout, dans certaines œuvres il s'abandonne à une plus grande simplicité. Les Images à Crusoé, écrites en 1904, en sont l'illustration. Neuf poèmes, parfois fort courts (Le Parasol de chèvre, L'Arc, La Graine), pour débusquer un Robinson contemplatif, revenu de la vindicte conquérante qui traversait le héros de Defoe. Le poète ne bâtit pas un roman (moins encore un projet édifiant de puissance politique) ; il approfondit le travail tarodant du retour au monde, à ce monde dont il aurait appris à se passer. C'est un viatique pour la suspension du présent inacceptable, et peut-être avons-nous tous intérieurement cette tentation de la fuite.

    Les Cloches est le premier poème de ce "recueil".

     

     

    LES CLOCHES

     

    Vieil homme aux mains nues,
    remis entre les hommes, Crusoé !
    tu pleurais, j'imagine quand des tours de l'Abbaye, comme un flux, s'épanchait le sanglot des cloches sur la Ville…
    Ô Dépouillé !
    Tu pleurais de songer aux brisants sous la lune ; aux sifflements de rives plus lointaines ; aux musiques étranges qui naissent et s'assourdissent sous l'aile close de la nuit,
    pareilles aux cercles enchaînés que sont les ondes d'une conque, à l'amplification de clameurs sous la mer…

     

  • Valery Larbaud, de toutes les littératures

     

    À la Pentecôte, l'Esprit saint descendit sur les Apôtres qui reçurent le don des langues afin de diffuser le message christique. Profitons-en pour rendre hommage, de notre côté, à un écrivain polyglotte auquel la littérature française doit beaucoup, quoiqu'il soit plutôt relégué dans les minores de nos jours. Outre qu'il fut un grand écrivain, Valery Larbaud devint un passeur inlassable, introducteur-traducteur des auteurs étrangers, à commencer par Joyce. Un exemple de cosmopolitisme brillant.

    La Neige

    Un año mas und iam eccoti mit uns again
    Pauvre et petit on the graves dos nossos amados édredon
    E pure piously tapandolos in their sleep
    Dal pallio glorios das virgens und infants.
    With the mind's eye ti seguo sobre levropa estesa,
    On the vast Northern pianure dormida, nitida nix,
    Oder on lone Karpathian slopes donde, zapada,
    Nigrorum brazilor albo di sposa velo bist du.
    Doch in loco nullo more te colunt els meus pensaments
    Quam un Esquilino Monte, ave della nostra Roma
    Corona de plata eres,
    Dum alta iaces on the fields so dass kein Weg se ve,
    Y el alma, d'ici détachée, su camin finds no cêo.

    Bergen-op-Zoom, 29.XII.1934

     

    De ce poème, il existe aussi une "réduction en français", pour reprendre les termes de l'auteur,  mais nous nous en passerons, Pentecôte oblige...

     

  • Nerval, le passé perpétuel

    Nerval n'est pas un poète romantique mineur. Il n'a pas, comme beaucoup de ses contemporains, le vers facile. Ses Chimères, douze poèmes pas plus, maintes fois remaniés, dont le plus connu est El Desdichado, sont la recherche intense d'un monde idéal, syncrétique, dans lequel les lieux, les temps, les symboliques s'entrecroisent. Il y contourne le chagrin et les douleurs personnels pour sublimer comme personne les quêtes sans cesse recommencées. La virtuosité et l'hermétisme ne sont pas des jeux mais des signatures de l'impossible éprouvé, et, malgré cela, malgré ce que nous donne la  biographie, pour pouvoir mesurer la profondeur de cette beauté si dense il faut oublier le tragique qui traversa son existence jusqu'à son terme. C'est ainsi qu'il nous est le plus proche.


    DAFNÉ


    La connais-tu, Dafné, cette ancienne romance,
    Au pied du sycomore, ou sous les lauriers blancs,
    Sous l'olivier, le myrte, ou les saules tremblants,
    Cette chanson d'amour... qui toujours recommence ?

    Reconnais-tu le Temple au péristyle immense,
    Et les citrons amers où s'imprimaient tes dents,
    Et la grotte, fatale aux hôtes imprudents,
    Où du dragon vaincu dort l'antique semence ?...

    Ils reviendront, ces Dieux que tu pleures toujours !
    Le temps va ramener l'ordre des anciens jours ;
    La terre a tressailli d'un souffle prophétique...

    Cependant la sibylle au visage latin
    Est endormie encor sous l'arc de Constantin
    - Et rien n'a dérangé le sévère portique.


     

  • Federico Garcia Lorca, outre-Atlantique

     

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    Federico Garcia Lorca a célébré l'aridité andalouse, sa sécheresse belliqueuse. Sa musicalité aussi. Outre sa grandeur d'écrivain, il avait des dons de musicien, ce qui le rapprocha notamment de Manuel de Falla.

    Moins classique est le fruit d'un séjour aux États-Unis, en 1929-1930 : ce sont les textes du Poète à New York, qui seront l'objet d'une publication posthume en 1940. La confrontation du terrien enchanté de soleil et d'espace avec la Ville emblématique du XXeme siècle est saisissante. À bien des égards, tant dans les thèmes que dans la brutalité des images, il préfigure le Senghor des Éthiopiques. Les titres sont éloquents : Cité sans sommeil (nocturne de Brooklynn Bridge), Paysage de la multitude qui vomit (crépuscule de Coney Island), Paysage de la multitude qui urine (nocturne de Battery Place), Le Roi de Harlem... Voici le dernière poème de la section «Rues et songes»


    L'AURORE


    L'aurore de New-York a

    quatre colonnes de boue

    et un ouragan de colombes noires

    qui barbotent dans les eaux croupies.


    L'aurore de New-York gémit

    dans les immenses escaliers

    cherchant entre les arêtes

    des nards d'angoisse ébauchée.


    L'aurore vient et nul ne la reçoit dans sa bouche

    car là-bas il n'est de matin ni d'espérance possible.

    Parfois les pièces de monnaie en essaims furieux

    percent et dévorent les enfants abandonnés.


    Les premiers qui sortent éprouvent dans leurs os

    qu'il n'y aura pas de paradis ni d'amours effeuillées ;

    ils savent qu'ils vont à la fange des nombres et des lois,

    aux jeux sans art, aux sueurs sans fruit.


    La lumière est ensevelie par des chaînes et des bruits

    dans l'impudique défi d'une science sans racines.

    Dans les faubourgs des hommes sans sommeil vacillent

    comme s'ils échappaient à un naufrage de sang.


    (éditions Fata Morgana, 2008, trad. Guy Lévis Mano)


    LA AURORA

    La aurora de Nueva York tiene
    cuatro columnas de cieno
    y un huracán de negras palomas
    que chapotean en las aguas podridas.


    La aurora de Nueva York gime
    por las inmensas escaleras
    buscando entre las aristas
    nardos de angustia dibujada.

    La aurora llega y nadie la recibe en su boca
    porque allí no hay mañana ni esperanza posible.
    A veces las monedas en enjambres furiosos
    taladran y devoran abandonados niños.

    Los primeros que salen comprenden con sus huesos
    que no habrá paraísos ni amores deshojados;
    saben que van al cieno de números y leyes,
    a los juegos sin arte, a sudores sin fruto.

    La luz es sepultada por cadenas y ruidos
    en impúdico reto de ciencia sin raíces.
    Por los barrios hay gentes que vacilan insomnes
    como recién salidas de un naufragio de sangre.


     

  • Résistance

    Fruits des notes prises dans le maquis entre 1943 et 1944, Feuillets d'Hypnos de René Char bouleverse de n'être pas un simple chant de combat. Le recueil, dans sa fragmentation même, porte une incertitude, l'incertitude du vivant pour qui chaque pas, chaque souffle sont comptés. Le poète n'édifie pas le lecteur à venir. Il ne nous renvoie ni à une ligne de partage entre le bien et le mal, entre l'héroïsme et la couardise, ni à la simple brutalité des événements. Il cherche à se frayer un chemin entre l'immédiat apeuré et la confiance du jour qui suit.


    La contre-terreur c'est ce vallon que peu à peu le brouillard comble, c'est le fugace bruissement des feuilles comme un essaim de fusées engourdies, c'est cette pesanteur bien répartie, c'est cette circulation ouatée d'animaux et d'insectes tirant mille traits sur l'écorce tendre de la nuit, c'est cette graine de luzerne sur la fossette d'un visage caressé, c'est cet incendie de la lune qui ne sera jamais un incendie, c'est un lendemain minuscule dont les intentions nous sont inconnues, c'est un buste aux couleurs vives qui s'est plié en souriant, c'est l'ombre, à quelques pas, d'un bref compagnon accroupi qui pense que le cuir de sa ceinture va céder... Qu'importent alors l'heure et le lieu où le diable nous a fixé rendez-vous !

     

     

  • Un Anglais à Rome

    John Keats (d'après un dessin de John Severn)

    Il fallait sonner pour que le gardien vînt ouvrir et le visiteur laissait une obole pour l'entretien du lieu. Celui-ci se retrouvait dans un étrange lieu où se mélangeaient les exubérances d'un baroque inquiétant aux rigueurs classiques. C'était un univers de statues prisant l'aérien et d'anges en larmes. L'hôte avait l'impression d'arriver en une terre reléguée où l'Histoire avait accumulé le marbre d'un cimetière éclos ailleurs, plus grand, puis déplacé en un espace plus étroit.

    Les uns viennent pour la simple curiosité, ou le repos qu'on y gagne après les longues promenades dans une Rome bruyante et surchauffée. Les autres ont une pèlerinage précis à faire : Pier Paolo Pasolini, Gramsci, John Keats.

    Ce dernier est mort dans une demeure jouxtant la  fameuse Piazza di Spagna. Demeure devenue musée. Une de plus. Mais il dort pour l'éternité à l'autre bout de la ville, dans uncarré du cimetière protestant. À côté de lui, son ami John Severn.

    La sépulture du poète romantique ne donne droit à aucun débordement marmoréen. Il n'y a qu'une plaque de dimensions fort modestes, sur laquelle est gravée une phrase émouvante : Here lies one whose name was writ in water (Ici repose celui dont le nom était écrit dans l'eau). Elle n'étonne pas le visiteur qui a lu, au-delà des clichés qu'on leur accole, les Anglais : Coleridge, Wordsworth, et Keats. On se rappelle le poème Cette main vivante :

    Cette main vivante, à présent chaude et capable/ D'ardentes étreintes, si elle était froide/ Et plongée dans le silence glacée de la tombe,/ Elle hanterait tes journées et refroidirait tes nuits rêveuses/ Tant et tant que tu souhaiterais voir ton propre cœur s'assécher de son sang/ Pour que dans mes veines coulent à nouveau le flot rouge de la vie,/ Et que le calme revienne dans ta conscience -regarde, la voici, /- Je te la tends -/ (1)

    Il est là, poète réduit à rien désormais mais irréductible jusque dans sa dernière phrase, comme si les mots avaient été sa seule chance.

    Levant enfin les yeux, le visiteur aperçoit alors la pyramide de Caius Cestius, qui trône au carrefour, dans la Rome quotidienne. Horreur blanche qu'un fonctionnaire romain se fit bâtir, dans un délire de pharaon absurde, et le contraste saisit. Si le nom de Keats est écrit sur l'eau, incertain de son devenir, et pourtant toujours revivifié, celui de Caius Cestius, aussi dure soit la pierre de son tombeau politique, n'est que poussière. A handful of dust.

    (1) Traduction de Paul Gallimard.








     

  • Jean Genet, poète

    On oublie souvent que Jean Genet, outre ses romans et ses pièces de théâtre, a écrit des poèmes, entre 1942 et 1947, dont les fameuses strophes du Condamné à mort, dédiées à Maurice Pilorge. Poésie classique (nous reviendrons sur le classicisme de Genet, essentiel) et fulgurante dont sont extraits les quatrains suivants :


    LES ASSASSINS du mur s'enveloppent d'aurore

    Dans ma cellule ouverte au chant des hauts sapins,

    Qui la berce, accrochée à des cordages fins

    Noués par des marins que le clair matin dore.


    Qui grave dans le plâtre une Rose des Vents ?

    Qui songe à ma maison, du fond de sa Hongrie ?

    Quel enfant s'est roulé sur ma paille pourrie

    À l'instant du réveil d'amis se souvenant ?


    Divague ma Folie, enfante pour ma joie

    Un consolant enfer peuplé de beaux soldats,

    Nus jusqu'à la ceinture, et des frocs résédas

    Tire ces lourdes fleurs dont l'odeur me foudroie.