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  • Sans idéologie (groupe prépositionnel)

    Le communisme de type stalinien et le nazisme, outre les horreurs dont ils sont directement responsables, nous ont laissé un héritage politique qui a mis à un certain pour éclore mais dont la puissance a en quelque sorte procédé du temps qu'il a pris pour accoucher. Il aurait sans doute été catastrophique que la Révolution russe échouât rapidement dans les premiers revers de la NEP et que Marx pût demeurer un auteur dissociable du goulag. Heureusement Joseph le Géorgien a mise les petits plats dans les grands et la liquidation fut sanglante à souhait. Comme, en plus, il eut le bon goût de s'allier ouvertement avec Hitler (ce qui est, cynisme pour cynisme, un courage qu'on doit lui reconnaître : celui de ne pas avoir fait semblant, comme tant d'autres, Anglais et Américains en tête, lesquels savaient depuis longtemps le sort qu'on réservait aux Juifs, aux Tziganes, sans plus d'émotion), il permit de faire un trait d'union entre les deux horreurs et de faire de Marx, mort en 1883, la statue du Commandeur des désastres sibériens, et cela n'est pas sans conséquence (1).

    Je ne suis pas marxiste. Pas en tout cas sur le modèle crispé et douteux d'un Badiou, par exemple. Mais il me semble que le travail d'effacement qui concerne certaines de ses analyses quant aux antinomies radicales et violentes d'une société en mode libéral est suspect, pour le moins... Les antagonismes qu'il mettait en lumière entre la classe dirigeante et la classe ouvrière (inutile d'entrer dans le détail d'une société qui avait créé suffisamment de strates intermédiaires pour consolider le système) n'ont pas, me semble-t-il, disparu. Mais il est clair que l'histoire du XXe siècle peut aussi se concevoir comme celle d'une lente acceptation de l'ordre libéral sous couvert d'une liturgie du progrès (sur laquelle on reviendra sous peu parce que W. Benjamin a écrit de fort intéressantes choses sur ce point). Tout le monde constatant que sa situation s'améliorait, ou pouvait s'améliorer, ce qui n'est pas tout à fait identique, chacun a déduit que l'humanité allait dans le bon sens (et il y aurait à gloser sur la polysémie de cette expression, parce qu'elle permet de plaquer sur la flèche de l'histoire une morale donnée comme une quasi évidence...).


    L'effondrement du communisme, la chute du Mur de Berlin, le discrédit jeté sur l'analyse marxiste ont pris du temps et cette lenteur a permis que le  libéralisme nouveau visage puisse prendre l'allure de l'évidence et de s'interpréter, dans une hypocrisie qu'il faut dire remarquable, non seulement comme l'inversion radicale de l'interventionnisme étatique, mais aussi comme une idéologie en négatif, celle qui, plutôt que de forcer la nature (et du monde, et des hommes) se ralliait à l'évidence des faits. L'idéologie a ainsi pris la forme du pragmatisme. Pas n'importe quel pragmatisme, bien sûr ! Celui d'une approche comptable et inégalitaire (sur ce plan, on a avec subtilité substitué l'équité à l'égalité...) qui impose aux individus de s'en remettre à une lecture imparable du monde. C'est ainsi que toutes les réformes allant dans le sens du libéralisme radical, depuis plus de vingt ans, ont été faites selon le principe d'un nécessité impérieuse, presque la mort dans l'âme pour ceux qui s'en chargeaient, comme s'il ne pouvait en être autrement. Telle est la teneur du sans idéologie dont on nous rebat les oreilles désormais pour réformer les retraites, le code du travail, le système social et hospitalier, les indemnisations chômage, le système scolaire, la fiscalité des entreprises, etc., etc., etc.. Il faut avoir entendu nos hommes politiques de gauche comme de droite masquer leur soumission aux marchés (la crise des subprimes et les problèmes de la dette en sont des exemples flagrants) derrière le souci d'un traitement efficace (pour qui ?) des difficultés de la société contemporaine pour se convaincre que leur pragmatisme est d'abord un discours contre l'égalité.

    Prétendre que les choix qui ont été faits depuis le déclin soviétique (n'oublions pas que la résistance afghane, dont les talibans, furent largement financés par l'Occident, les Américains qui voyaient là une occasion d'amener les communistes au cimetière...) relève d'une logique de bon sens, d'une gestion quasi domestique des problèmes est une belle escroquerie (et l'on a ressorti avec bonheur que l'économie (2) venait étymologiquement de l'oikos, de la maison, et d'une façon pourtant fort brutale, la gestion domestique est devenue une référence : être responsable, c'est penser en père de famille entreprenant).  Encore fallait-il, pour que l'escroquerie marchât, que l'idéologie, comme mot, fût discréditée et que son identification à la terreur la plus noire fût sûre... Les plus staliniens ne sont pas forcément ceux qu'on croit.

    L'analyse structuraliste aura au moins eu le mérite de poser comme principe que l'absence n'était pas rien, qu'elle pouvait être signifiante, qu'elle prenait place et sens dans un cadre défini. Si l'on accepte ce principe, le sans idéologie est un avatar discursif de l'idéologie. L'évolution des modèles européens en porte la trace. Il y eut dans le milieu des années 90 une majorité de gauche parmi les dirigeants politiques des pays concernés. Cela ne changea pas grand chose (pensons à Blair. et à Jospin...). Et si la prochaine élection présidentielle française a un sens, dans la mesure même où ses deux finalistes présumés (Sarkozy et Hollande) se veulent des pragmatiques, c'est celui d'un choix libéral plus ou moins nuancé (et plutôt moins). Ce n'est plus une opposition droite-gauche mais, selon les anciennes distinctions, un choix droite-droite. Il est certain que l'électeur, à ce titre, peut aller voter sans idéologie. D'ailleurs, depuis le référendum sur la Constitution, on aura compris qu'on ne lui demande plus vraiment son avis...

     

    (1)Il est maintenant de bon ton de railleur le pauvre Karl. Mais on est toujours d'une indulgence nauséabonde avec le père Heiddegger. Il est vrai que pour certains de ses défenseurs, ils ont un passé qui plaide en faveur de leur bêtise radicale.

    (2)L'économie a aujourd'hui, pourrait-on dire, deux sens antagonistes. Dans une visée mondialisée, dans une vision globale et anonymé (comme quand on dit : l'économie française, ou chinoise, ou américaine, va bien) c'est l'expansion à outrance. Pour le quidam, à un niveau microcosmique,  c'est subir l'économie, lui apprendre à faire des économies (non pour qu'il en est réellement mais pour que les coûts de production diminuent à ses dépens).

     

     

  • Pas de porte

     

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    C'est la fin du printemps. Non loin, dans la courbe d'une rue, il est sur le pas de sa porte, d'une demeure dont tu ne connais nulle fenêtre. (peut-être de l'autre côté, invisible, une hypothétique cour intérieure). Il a la sécheresse des vieux et dans le regard une présence vivide, contraste qui t'a étonné la première fois qu'il t'a dit bonjour, sur le pas de  sa porte. Depuis, tu es repassé et le jeu (en est-ce, vraiment...) a recommencé. Bonjour, monsieur. Tu as d'abord répondu courtoisement. Puis un jour, tu as devancé son œil, comme si tu l'avais, cette fois, attendu, toi, et que tu voulais avoir le premier mot. Bonjour monsieur. Il est arrivé que tu l'aperçoives échanger quelques mots avec le quidam (à moins que ce ne soit une dame du quartier, tu ne sais...). Sa vie t'est inconnue, et le restera. Tu devines simplement une solitude contrecarrée par les premiers jours sans nuages. Il n'est pas sûr qu'il lui faille combler un vide (pourquoi penser à la misère...) mais continuer à nouer le fil du monde. Tu sens très nettement qu'il n'a pas le souci d'engager la conversation. Il ne quémande rien, comme le font parfois certains vieux à la caisse du supermarché, ou à l'arrêt de bus. Telle est sa singulière façon d'apparaître dans ta vie, sans attente mais contournant le silence, le silence qui, s'il l'avait maintenu, aurait signifié qu'en ce lieu (le lieu dont vos deux amabilités, aussi brèves soient-elles, prennent possession par le seul fait de marquer vos destins croisés), il n'y eut rien (pas rien, dans l'absolu, mais autre chose qui eût couru le monde sans vous).

    C'est l'été. Sa implicité et ses yeux te poignent. Tu penses à ce temps futur où aux mêmes bénéfices d'une humeur bleutée et ensoleillée, sa porte sera cette fois close. Il sera mort (ou comme si...) et de cet inconnu, dans l'imprécision même de ce semblant de dialogue, simple socialité perdue, tu auras perdu la trace. Tu repasseras devant le pas de sa porte, guettant l'ouverture et ne la voyant pas venir, par la force de cette répétition muette tu envisageras l'imparable.

    Tu penses à lui alors qu'un train t'emmène. Peut-être est-ce la peur d'avoir un jour comme destin le pas d'une porte qui te ramène à ces quelques semaines où vous avez été à la croisée de vos chemins... Il y a dans l'existence des personnes auxquelles on ne voudrait pas ressembler parce qu'on a pour elle un mépris radical, parce qu'elles incarnent une acceptation ou une parole répugnantes, parce qu'elles sont, parfois, la trace de ce qui en nous fait notre humiliation (en secret, face au miroir). Lui n'est rien de tout cela. Tu ne voudrais pas être un jour lui : chemin décharné qui mène à la mélancolie, à cette mélancolie-là. Ne pas être lui, sans que tu éprouves le moindre mépris ou que tu n'ailles t'imaginer le plus sombre des destins.Tu ne t'en fais pas les pires images. Ce n'est pas de la pitié (à son endroit) ou de l'apitoiement (sur toi) mais une grande désillusion : sur la vie, sur les heures, sur cette main de poussière avec laquelle nous croyons tenir le monde...

    Il y aurait beaucoup à réfléchir sur notre perméabilité. Ébranlés du quotidien pendant que les images du guerre défilent entre les publicités, compatissants humanitaires d'un jour pour nier la misère proche. Telle est la géométrie variable de nos accommodements. Il est dix-neuf heures trente. Dans le train, tout le monde mange ; la machine glisse sur les rails, balancement à peine sensible. Le soleil commence à renoncer. Le dehors est comme réfrigéré par la clim. Il n'existe pas, il s'efface. Nous ne sommes que des passants...

     

    La photographie est extraite du blog très singulier Midi à sa porte de Thomas P.