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Ce vice impuni : la lecture - Page 4

  • Notule 11

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.

     

    On sait  à quelle mauvaise image, dans la littérature française, est associée la province. Hors de Paris point de salut et l'insulte du régionalisme est, semble-t-il, une de pires qui soient. Claudel traitait bien Mauriac d'écrivain régionaliste. Pourquoi pas ? C'est bien, pour certains, la tare de Giono ou de Jouhandeau mais l'argument est un peu court. Et ces dernières années des œuvres ayant la province comme cadre (et parfois en héritage pour reprendre une image de Sylviane Coyault) ont été éditées. Richard MIllet et Pierre Bergounioux sont les auteurs les plus connus mais il n'y a pas qu'eux.

     

    1-Pierre Bergounioux, La Mort de Brune, 1997 

     

    2-Pierre Jourde, Pays perdu, 2003 

     

    3-Richard Millet, Ma Vie parmi les ombres, 2003 

     

    4-Mathieu Riboulet, Le Corps des anges, 2005 

     

    5-Emmanuelle Pagano, Les Adolescents troglodytes, 2007

  • Notule 10

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.

     

    Cap vers l'Est

     

    1-Andrzej Kuśniewicz (Pologne), Le Roi des Deux-Siciles (1978 en français)

     

    2-Jarosław Iwaszkiewicz (Pologne), Les Demoiselles de Wilko (1979 en français)

     

    3-Jaan Kros (Estonie), Le Fou du Tsar (1989 en français)

     

    4-Péter Nádas (Hongrie), Le Livre des Mémoires (1998 en français)

     

    5-Dezsö Kostolányi (Hongrie), Kornél Esti (2000 en français)

  • En silence


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    Dans ses Sentences, Isidore de Séville, qui vécut entre les VIe et VIIe siècles, écrit : «La lecture silencieuse est plus facile à supporter pour les sens que celle à voix déployée ; l’intellect en effet s’instruit davantage, tandis que la voix de celui qui lit demeure en repos, et que sa langue bouge silencieusement. En effet, en lisant à haute voix, d’une part le corps se fatigue, et d’autre part la voix s’émousse». Il place donc la question de cette activité sur un double plan de confort physique et de fruition intellectuelle. On sait qu'elle se pratiquait dès l'Antiquité mais qu'elle se répandit surtout à partir de la Renaissance quand il y eut en quelque sorte un accès privé au livre, qu'il ne fut plus nécessaire, devant le nombre limité d'ouvrages, qu'un seul lût pour tout un parterre ou un groupe.

    En ce sens, le silence est symbolique d'un possible retrait du monde certes, mais aussi d'une intériorisation de nos pensées, de leurs divagations plus ou moins lointaines par rapport à ce que nous lisons. Ainsi pouvons-nous comprendre que dans le jeu avec le livre se dessinent des entrelacs inattendus, des écarts, des abandons, des retrouvailles dont nous aurons, tout de suite ou plus tard, à nous féliciter. Le silence dans la lecture n'est donc pas seulement l'appropriation personnelle d'un objet qui n'est pas nôtre, d'une altérité à laquelle nous ne saurions être réductibles (dans l'acceptation, par exemple, de l'auditeur passif), que nous ne saurions réduire nous-mêmes ; il est le moyen d'une jouissance immédiate, mais qui se prolonge à la fois comme pensée sur le texte et souvenir de lecture comme déviation. C'est bien à ce double titre que la lecture silencieuse fut combattue, en ce qu'elle émancipe l'individu, parce qu'elle le retranche du présent et l'accroît dans ce même présent.

    Dans un monde qui désormais vante le bruit en continu, le flux perpétuel d'images, il faut s'inquiéter pour la lecture et le silence. Leur éclipse progressive est le signe d'un temps où la pensée s'effondre ; car, bien au-delà des questions de culture (encore que...) ou de savoir, l'enjeu est la relation avec ce qui n'est pas moi. Or, le refus notoire de la lecture par une grande partie de la jeunesse (et qu'on ne vienne pas me dire qu'ils ont d'autres manières de faire... Je sais, hélas, de quoi je parle...) laisse présager une incapacité à résister au monde, faute de s'être construit intérieurement, de s'être retrouvé face à soi.

    Mais, rétorquera-t-on, n'en fut-il pas ainsi pour une partie de l'humanité, qui ne sut jamais ni lire, ni écrire (pourquoi d'ailleurs utiliser un passé simple ?) ? Celle-ci s'en trouva-t-elle plus malheureuse pour autant ? À cela, répondons que les sociétés anciennes n'avaient pas mis au point une armada aussi sophistiquée de moyens technologiques couplée à une structuration politique de contrôle(s) (tant sur l'axe vertical qu'horizontal des réseaux sociaux) aussi développée de telle sorte que nous sommes en mesure de prévoir un effondrement intérieur des individus soumis à un tel système oppressif et répressif. Jamais une société n'avait promis un tel bonheur matérialiste (et immédiatement matérialisé en bibelots eux-mêmes immédiatement obsolètes) ; jamais nous n'avions connu, depuis vingt-cinq ans un tel processus de régression (sociale, politique, culturelle) qui se traduit par l'explosion des phénomènes dépressifs, et ce, dès le plus jeune âge.

    Il ne s'agit pas de dire que tout se résout dans la lecture silencieuse (je prends mes précautions : tous les raccourcis sont possibles...). Je voulais brièvement en rappeler le plaisir et la nécessité.

     

  • Notule 09

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.

     

    Lire des nouvelles, genre trop peu mis en valeur

     

    1-Steven Millhauser, La Galerie de jeux

     

    2-Annie Saumont, Noir comme d'habitude

     

    3-Bruno Schulz, La Boutique aux cannelles

     

    4-Leonardo Sciascia, Les Oncles de Sicile

     

    5-Anton Tchekov, Le Violon de Rotschild et autres nouvelles

  • Notule 08

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.


    Ecrire sur le sexe, c'est d'abord écrire, ce qui n'est pas une mince affaire. Ce n'est pas donné à tout le monde. Il est d'ailleurs remarquable que ceux qui savent le faire ont eu bien des problèmes avec la morale et la loi


    1-Guillaume Apollinaire, Les onze mille verges (1907, publié sous les initiales G. A.)


    2-Georges Bataille, Histoire de l'œil (1928, publié d'abord sous le pseudonyme de Lord Hauch)


    3-Nicolas Genka, L'Epi monstre (1962, fin de l'interdiction de publication 1999)


    4-Louis Calaferte, Septentrion (1963, d'abord publié "hors commerce", avant une réédition en 1993)


    5-André Hardellet, Lourdes, lentes... (1969, publié d'abord anonynement)

     

  • notule 07

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.


    L'enfance. Sujet rebattu. Mais pourquoi y renoncer ?


    1-Une petite fille regarde le jeu que mènent autour d'elle ses parents. À la fois spectatrice et enjeu.

    Henry James, Ce que savait Maisie (1897, en français 1947))


    2-Le héros essaie de s'émanciper de l'archaïsme du monde qui l'entoure.

    Driss Chraïbi, Le Passé simple (1954)


    3-Des enfants rendus à la liberté. Quand la barbarie n'est pas loin...

    William Golding, Sa Majesté des mouches. (1954, en français 1978)


    4-Bérénice et sa névrose, dans un partage familial ahurissant.

    Réjean Ducharme, L'Avalée des avalés (1961)


    5-L'enfant est envoyé dans la campagne polonaise. D'une extrême cruauté.

    Jerzy Kozinski, L'Oiseau bariolé (1965, en français 1967)

     

  • Dévoré, dit-elle...

    Oh, oui, je voulais vous dire... Un des livres dont vous parliez un jour, je l'ai lu... Celui de... J'ai adoré, c'est beau, vraiment... Les personnages, tout, tout est bien... Je l'ai dévoré, dit-elle... En moins de trois semaines...

    A-t-il bien entendu ? Six cents pages, trois semaines. Trente pages/jour, week end compris. Dévoré, a-t-elle dit. Faut-il y voir une ironie ? Non, elle a le visage marqué d'un sourire entre bonheur de la révélation et fierté. Une hyperbole ? Au moins n'a-t-elle pas dit que ce roman était sympa... Il se demande comment on peut parler ainsi sans se rendre compte de l'étrangeté du propos. Il faut supposer une vie active, sans cesse en prise sur le monde, et dans laquelle le livre dévoré, elle a dit : dévoré, reste malgré tout périphérique. Une littéraire moderne, en somme, entre réseau social, i-Phone, portable et télévision.

    Il essaie de se souvenir ce qu'étaient sa dévoration, à son âge, la fièvre que lui donnaient certaines œuvres (mais il serait facile de rétorquer : vous, ce n'est pas pareil. Le problème est là : quand on ne se satisfait pas de la moindre lueur dans l'obscurité, on vous renvoie : mais vous, ce n'est pas pareil). Il se tait d'abord. Il sourit, répond enfin : c'est très bien, je suis content. Il s'éloigne en pensant à ces beaux discours officiels sur la jeunesse qui lit. Elle l'a dévoré, dit-elle, mais s'en est tenue à deux ou trois phrases simples. Peut-être par timidité ; il n'y croit guère. Il se souvient de cet ami psychiatre-psychanalyste, bientôt la soixantaine, consterné par l'inculture littéraire de la nouvelle génération médicale. Il parlait d'une société technicienne et regrettait la fin d'un certain humanisme auquel on a substitué le vernis humanitaire. Richard Millet ne fustige pas autre chose. Le phénomène est général. Ce sont des nostalgiques, sans doute. La nostalgie est une maladie, de nos jours, une vilaine maladie dont on ne guérit pas, une tare sociale quasiment. Musset croyait qu'il était «venu trop tard dans un siècle trop vieux». Celui-ci serait-il trop jeune ? Il lui semble surtout résolument consciencieux (mais Flaubert, déjà, avec son Dictionnaire des idées reçues et ses romans pensait-il autre chose ? Alors... )

    Alors, qu'il la laisse dévorer un prochain livre, à la vitesse qui est la sienne, lentement, trop lentement, croit-il. C'est toujours mieux que rien. Mais, à peine rentré chez lui, il tombe, ô providence, sur quelques lignes de Patrick Chamoiseau qui le réconfortent :

    Les livres exhaussent hors d'atteinte du sommeil. Ils secouent l'esprit. Chaque page revêt la suivante d'un charme-emmener-venir. Malgré la brûlure des yeux, l'agonie de la bougie, il fallait lire au moins la dernière page, et puis au moins celle-là, juste celle-là pour finir... ô promesse des pages qui s'introduisent, aléliron des livres qui se relayent !...

     

  • notule 06

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.


    1-Avant le Grand Siècle classique, il y eut des auteurs tragiques qui méritent qu'on les (re)découvre. Robert Garnier est l'un d'eux.

    Robert Garnier, Les Juives (1583)


    2-Dorante aime Araminte, qui lui semble inaccessible. Son ancien valet Dubois va lui sauver la mise. Du marivaudage certes, mais avec une inflexion sociale, ce qui en fait la meilleure pièce de l'auteur.

    Marivaux, Les Fausses Confidences (1737)


    3-Le mythe des Atrides transposé dans la violence du Sud américain. Magnifique.

    Eugène O'Neill, Le Deuil sied à Électre (1931, en français 1965)


    4-Une sœur qui veille sur son frère. Deux chats autour d'eux. Un moment de poésie et de sensibilité. Et un souvenir ébloui d'une mise en scène de Gildas Bourdet, à la Salamandre de Lille.

    Romain Weingarten, L'Été (1966)


    5-Un client, un dealer. Sans que l'on sache ce qui est l'objet de la transaction. Un affrontement magistral autour du désir.

    Bernard-Marie Koltès, Dans la solitude des champs de coton (1985)

     

  • La présomption

    Le narrateur de la Recherche n'est pas seulement l'homme de la mémoire involontaire. Il est aussi, souvent, le témoin involontaire : celui de la cruauté de la demoiselle Vinteuil et de son amie, celui de la reconnaissance entre Charlus et Jupien,... Il est dans les coulisses, dans l'envers du décor et, de fait, dans le revers des choses et des êtres. Parfois pour donner la leçon, montrer toute la maîtrise qu'il a sur le monde, faire étalage de sa lucidité. Parfois, comme ici, quand son ami Saint-Loup lui présente celle qu'il aime, pour rappeler que nul ne peut se prévaloir d'une totale connaissance des individus. Et le paramètre amoureux ne doit pas servir d'explication : le constat proustien est bien plus désarmant.

     

    Tout à coup, Saint-Loup apparut accompagné de sa maîtresse et alors, dans cette femme qui était pour lui tout l'amour, toutes les douceurs possibles de la vie, dont la personnalité mystérieusement enfermée dans un corps comme dans un Tabernacle était l'objet encore sur lequel travaillait sans cesse l'imagination de mon ami, qu'il sentait qu'il ne connaîtrait jamais, dont il se demandait perpétuellement ce qu'elle était en elle-même, derrière le voile des regards et de la chair, dans cette femme, je reconnus à l'instant «Rachel quand du Seigneur», celle qui, il y a quelques années-les femmes changent si vite de situation dans ce monde-là, quand elles en changent-disait à la maquerelle: «Alors, demain soir, si vous avez besoin de moi pour quelqu'un, vous me ferez chercher.»

    Et quand on était «venu la chercher» en effet, et qu'elle se trouvait seule dans la chambre avec ce quelqu'un, elle savait si bien ce qu'on voulait d'elle, qu'après avoir fermé à clef, par précaution de femme prudente, ou par geste rituel, elle commençait à ôter toutes ses affaires, comme on fait devant le docteur qui va vous ausculter, et ne s'arrêtant en route que si le «quelqu'un», n'aimant pas la nudité, lui disait qu'elle pouvait garder sa chemise, comme certains praticiens qui, ayant l'oreille très fine et la crainte de faire se refroidir leur malade, se contentent d'écouter la respiration et le battement du coeur à travers un linge. A cette femme dont toute la vie, toutes les pensées, tout le passé, tous les hommes par qui elle avait pu être possédée, m'étaient chose si indifférente que, si elle me l'eût contée, je ne l'eusse écoutée que par politesse et à peine entendue, je sentis que l'inquiétude, le tourment, l'amour de Saint-Loup s'étaient appliqués jusqu'à faire-de ce qui était pour moi un jouet mécanique-un objet de souffrances infinies, le prix même de l'existence. Voyant ces deux éléments dissociés (parce que j'avais connu «Rachel quand du Seigneur» dans une maison de passe), je comprenais que bien des femmes pour lesquelles des hommes vivent, souffrent, se tuent, peuvent être en elles-mêmes ou pour d'autres ce que Rachel était pour moi. L'idée qu'on pût avoir une curiosité douloureuse à l'égard de sa vie me stupéfiait. J'aurais pu apprendre bien des coucheries d'elle à Robert, lesquelles me semblaient la chose la plus indifférente du monde. Et combien elles l'eussent peiné! Et que n'avait-il pas donné pour les connaître, sans y réussir!

    Je me rendais compte de tout ce qu'une imagination humaine peut mettre derrière un petit morceau de visage comme était celui de cette femme, si c'est l'imagination qui l'a connue d'abord; et, inversement, en quels misérables éléments matériels et dénués de toute valeur pouvait se décomposer ce qui était le but de tant de rêveries, si, au contraire, cela avait été, connue d'une manière opposée, par la connaissance la plus triviale. Je comprenais que ce qui m'avait paru ne pas valoir vingt francs quand cela m'avait été offert pour vingt francs dans la maison de passe, où c'était seulement pour moi une femme désireuse de gagner vingt francs, peut valoir plus qu'un million, que la famille, que toutes les situation enviées, si on a commencé par imaginer en elle un être inconnu, curieux à connaître, difficile à saisir, à garder. Sans doute c'était le même mince et étroit visage que nous voyions Robert et moi. Mais nous étions arrivés à lui par les deux routes opposées qui ne communiqueront jamais, et nous n'en verrions jamais la même face.

                                Le Côté de Guermantes