usual suspects

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les abrasions - Page 7

  • Prurit

    aaron suskind.jpg

     

    Nous en prendrons notre parti, ce qui ne signifie pas que nous ferons contre mauvaise fortune bon cœur. Nous renoncerons tout simplement, en sachant ce qu'il nous en coûtera. À savoir : moins le prix de ce qui n'est pas obtenu que celui de notre faiblesse. La valeur des choses passe, elle est frappée d'obsolescence, ce qui ne regarde jamais la conscience, ni le poids obscur (parce qu'encore insoupçonnable) d'avoir balayé d'un revers de main, semblant d'indifférence corrigeant le fonds sournois de notre lâcheté, une situation qui nous regardait.  

     

    Photo : Aaron Siskind

  • Algorithmes

     

    19487148103_dc8f3db039_o.jpg

    Des nœuds, des carrefours ; le maillage et les réseaux ; service de nuit et trafic régulier ; vacances et jours fériés ; bus, trams et métros ; les échangeurs, les terminus et les arrêts ; les quais, les trottoirs, tunnels et escalators ; tout un jeu de correspondances

     

    sans que jamais nous ne nous croisions plus

     

    Photo : Philippe Nauher

  • De l'un à l'autre

     

    Qu’en sera-t-il de lui, de lui comme autre, quand l’enfant, encore réduit aux pleurs et aux vocalises de la nécessité ou de l’inconfort, l’appellera de son nom,

    de son nom qui fait lien :

    être le père ?

    Il lève les yeux de son livre et, à côté de lui, lui dort.

    Il ne se souviendra de rien. Ni de ses premier sourires, ni des premiers pas, ni de ses premiers mots.

    Dehors, l’orage carillonne. Il est dix-neuf heures. Il dort et n’a peur de rien. Le visage encore serein, dans l’inconnaissance des nuages lourds et chauds. Il n’a rien anticipé du tonnerre.

    Il ne reprend pas son livre. Il guette. L’orage s’enfuit : après longtemps, l’enfant ouvre les yeux et, croit-il, le regarde, et l’apaise.

  • Mille feuilles

     ...à peine une narration ;

    plutôt ce qui serait une manière d'ouvrir les tiroirs ou de ranger les papiers laissés en vrac sur la console ou éparpillés sur le bureau ;

    mais un bureau de tous les temps accumulés, comme une sédimentation active, ou un feuilletage des époques, dont les pièces souvent sont à peine visibles, que tu tires doucement pour découvrir, c'est selon : un trois fois rien, une écriture si indéchiffrables que tu t'y acharnes, ou les marbrures d'un lieu dans une fenêtre photographique.

  • Suite

    depardon-allemagne.jpg

     

    La lourdeur -plafond bas, quand, dehors, la pluie a cessé- est palpable. Mais c'est le vent que l'on redoute, sa bravoure à gondoler les palissades, et faire claquer les drapeaux. Il est trois heures de l'après-midi mais il faut y regarder à deux fois. Rien ne se sera levé, rien n'aura pris, pas même l'envie de faire quelque chose de sa journée.

    On aurait aimé que ce soit dimanche, de ne pas avoir à sortir (il ne restait qu'un quignon de pain rassis), mais il pleut en semaine et les horaires du quotidien accommodent à leur sauce le cuir de mes chaussures neuves et mon lourd manteau

     

    Photo : Raymond Depardon

  • Pour le meilleur et pour le pire

     

     

    ackerman michael.jpg

     

     

    Tu crois, mais ce n'est pas vraiment croire, que de croire au destin à travers ceux que tu rencontres ; ce n'est qu'une construction, le regard que tu portes sur un long cheminement et tu penses : il devait en être ainsi. Mais pour dire cela, tu as abjuré tout ce qui fut le travail de chaque instant, de cette écoute et de ce temps qui t'ont, lentement, rempli de cet être, de ces êtres dont tu croyais qu'ils t'étaient destiné, alors qu'il n'en est rien. Le hasard...

    Tu n'es pas un héros ; tu n'es pas ce Grec antique à qui des aventures mémorables étaient promises. Tu n'es rien, et ce que tu deviens, c'est à travers les fils inconnaissables de ces inconnus qui peu à peu font ton histoire. 

    Tu crois que tu as choisi de vivre. Belle histoire. Et tu oublies souvent de remercier ceux qui t'abrasent, pour le meilleur et pour le pire...

     

     

    Photo : Michael Ackerman

  • À tombeau ouvert

    IMG_0981.JPG

    Il n'y a âme qui vive et comme le personnage de Joseph Roth à la grille interdite de la crypte des capucins, sentir la solitude la plus folle et la plus vaine, celle-là même que l'on noie, belle suspension, en Spritz renouvelés...

    Sant'Agnese s'éloigne et nous nous fourvoyons heureusement dans les venelles.

    Le ciel est chargé de nuages, mais nous éprouvons une joie incertaine de n'y comprendre rien ; joie du verre à moitié plein, dont l'ardeur orangé semble triompher des intentions plus froides du moment.

    Ce n'est pas un rêve mais nous avons l'inspiration suffisamment condensée pour trouver de quoi faire une belle légende à la dernière photo prise, avant qu'il ne pleuve et que nous n'allions nous coucher, enfin...

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Les Années dorées

    IMG -N'OUBLIE PAS D'OUBLIER.jpg

    Tous les clignotants sont au vert (ou au rouge, peu importe) : c'est toujours ainsi que commence le désastre...

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Se rendre (à l'évidence)

    Ils ne sont plus de notre temps, mais ailleurs, comme si les heures s'étaient converties dans l'espace ; ils sont partis, selon l'usage mou, parfois, de la langue. Et nous regrettons la ponctualité pointilleuse de l'une, ou les retards répétés de l'autre. Nous n'amoindrissons pas là leurs défauts, mais ces agaçantes manies qui étaient eux étaient aussi nôtres et c'est tardivement que nous le comprenons.

    Ils nous ont laissé tout le temps qu'il faut, désormais, c'est-à-dire plus que nécessaire. Nous n'avons plus à nous rendre dans telle rue, ou dans telle ville, puisque nous n'y connaissons plus personne. Au moins n'avons-nous pas à faire de pèlerinage ou à entretenir la flamme annuelle et singulièrement artificielle de la commémoration. C'est inutile : la mémoire roule sa bosse toute seule. Un jour, elle m'avait vertement tancé de ne pas avoir pris mes précautions et de l'avoir laisser se transir sur la place ; et lui, que je n'avais même pas attendu tant son retard était important, avec son histoire (ultérieurement racontée par téléphone) de bus coincé sous un pont, était peu crédible. 

    Eux deux furent les premiers, puis, petit à petit, d'autres, sur lesquels je pourrais médire tout autant, ont fait de même : prendre le large.

    J'ai désormais des heures infinies et à travers la fenêtre de mon bureau, je contemple le grand lac qui gèle tout l'hiver. Il abandonnera son masque au printemps, et ce n'est pas une consolation...

  • Toccata et fugue

     

    Sabrina Biancuzzi.jpg

    Il y avait bien la vie qui lui faisait de l'ombre, sa vie passée, la vie en somme, puisqu'elle ne peut être, pour dire qu'elle est, que passée, qu'un collectif résiduel, fait de marqueteries disjointes et de morceaux qui n'entrent pas, punaisés parfois, au mur, ou jetés pêle-mêle, dans une boîte à chaussures. Pour que ça marche, disait-il en riant fort. La vie qui te fait de l'ombre, comme un spectre, la rigidité calcaire d'un os de seiche, obscurcissant, selon le principe intermittent des éclaircies (ici inversées), l'heure qui se déroulait, pendant qu'il marchait, en plein midi, à réfléchir sur ce qu'il faudrait faire pour que l'ombre soit moins lourde, moins forte. Et se disant forte, il ne pensait pas tant à un poids qu'à une odeur. Ce qui persiste, plus que tout.

    L'ombre ne l'abritait de rien, parce qu'il ne pouvait être lui-même son propre gardien, son propre paravent.

    Pour autant, que fut-il devenu à se vouloir sans ombre :

    transparent, était-ce la solution ?

     

    Photo : Sabrina Biancuzzi