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Les abrasions - Page 8

  • Les collabos

     

    La misère terrible que représente le massacre de Charlie Hebdo : douleur humaine, désarroi émotionnel, effroi moral et colère politique, tout cela ne doit pas empêcher de regarder certaines réalités en face. Le chagrin n'est pas, ne peut pas être une façon d'être ou de penser.

    La disparition des dessinateurs du journal satirique n'est malheureusement qu'un élément de plus dans le désordre qui s'installe, et surtout : ces morts n'auront pas été sauvés par les politiques qui prétendent leur rendre hommage. Mais, au moins, cela a le mérite de clarifier certaines ambiguïtés.

    Je n'ai pas participé à la minute de silence demandée par le tartuffe élyséen. Non que je n'aie pas eu une pensée pour les disparus, mais je n'obéis pas aux injonctions des collabos, et la gauche française, à commencer par son leader charismatique, est une belle bande de collabos.

    Il est en effet abject de ne pas avoir entendu à une seule reprise, dans son intervention prétendument solennelle, le pitre kafkaïen parler de l'islamisme, de ne pas l'avoir à un seul moment, poser l'équation de la culture occidentale face à l'obscurantisme venu d'Orient. Pire, il venait de recevoir les représentants des cultes, et parmi eux le misérable Dalil Boubakeur, président du CFCM, et recteur de la Mosquée de Paris.

    Ce Dalil Boubakeur qui, avec l'UOIF, avait porté plainte contre Charlie Hebdo, au moment des caricatures, ce guignol qui agite le chiffon de l'islamophobie quand il se refuse à soutenir la libre expression française. Il est l'autorité qui n'a pas dit non aux terroristes. On ne transige pas avec la terreur, sauf si, dans le fond, on ne la condamne pas vraiment.

    C'est donc ce diabolique personnage qui reste en odeur de sainteté dans les milieux de la gauche maçonnique, laquelle n'a au fond qu'un ennemi : les catholiques, qui, paraît-il, menaçaient la République pendant les manifs anti-mariage pour tous.

    Il n'a pas lieu de s'en étonner. Depuis 1989 et la défausse de Jospin (vous savez, le nouveau sage du Conseil Constitutionnel) sur l'affaire du voile, la gauche est complice de l'islamisme rampant, du salafisme des quartiers et du discours toxique réduisant la Nation à une sorte de supermarché des différences. N'oublions jamais que Valls a d'abord défini Merah comme un enfant perdu de la République : la formule est tellement immonde qu'elle dépasse l'entendement.

    Hier, en entendant ces bonnes âmes de gauche faire, encore et encore, l'autruche, comme des collabos malins, j'ai pleuré, parce que j'ai eu l'impression que l'on tuait Cabu et les autres une deuxième fois. Ils continuaient dans leur logorrhée du vivre ensemble qui n'est qu'une forme dissimulée de la renonciation.

    Mais c'était hier, et aujourd'hui, ce fut encore pire. Le grand raoût républicain de dimanche permettra à Dalil Boubakeur et à ses complices de se refaire une virginité. Ils seront tous là, soumis, bêlant, immondes. Tous, sauf le FN, puisque, s'il faut les croire, le danger, c'est la grande blonde. N'est-ce pas magnifique ? Ces trois dernières années, pas un crime dans les rangs d'un parti à qui on demande toujours des comptes, pendant que les instances musulmanes se dédouanent d'un délitement dont ils sont les complices. Peu importe : leur cible, c'est Zemmour, Houellebecq, Le Pen. Le déni de la réalité prend de telles proportions qu'il y a de quoi devenir fou, parce que s'ils pensent vraiment ce qu'ils disent, il serait urgent d'emprisonner les deux premiers et d'interdire le parti de la troisième.

    Au moins, les choses sont claires : nous connaissons l'ennemi. Nous n'avons plus qu'à prendre nos responsabilités politiques...

  • À la vie à la mort

    Alors, se dit-il, le père n'est pas seulement qui a en lui l'héritage et le passé de lui-même et des autres, plus anciens, évanouis, morts ; il est aussi celui qui témoigne pour qui de ces temps premiers de sa propre existence n'aura nul souvenir. Le père est le réceptable et la mémoire intérieure de l'être démuni qui est le fils. Il est la parole future d'une rencontre, d'une intimité où l'un ne parle pas encore mais s'accroche à la main, à l'odeur, au regard. Il est le coffre de la véracité qu'il y eut un temps où l'enfant était sans conscience d'être. Il est le grimoire des petits faits qui n'intéresseront que l'un et l'autre. Et l'héritage commence là, aussi, dans ce qui sera rendu, par bribes, au détour d'une discussion, au passage d'un chemin, par hasard et pourtant si précieux. Ce n'est pas avoir le privilège de la parole et de la pensée que d'être dans la position du père mais un devoir insigne qu'il rend à celui qui vient d'arriver. Il n'est pas le maître mais le dépositaire délicat, avisé et attendri d'un monde qui commence par le fait même que l'enfant est là. Il note dans son corps, dans sa mémoire et dans ses larmes l'indéfectible, le chant sans égal de sa propre marche vers le fils. Il ne dirige rien et sa parole n'est pas facile. Il n'a d'ailleurs lui-même pas de mots, parfois. Démuni de ce langage qui se dérobe. Tout est dit parce que rien n'est dicible. Alors, se réjouit-il, vient de commencer une longue et belle phrase dont j'initie le thème, comme en musique, et dont nous tisserons lui et moi les variations. J'entame la relation, à la vie à la mort.

  • En retrait


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    Je suis le sujet isolé, dans l'angle, là.

    Non celui qu'on a écarté, ou qui se serait écarté, pour faire bande à part.

    Rien de tout cela,

    mais dans le second (voire le troisième) plan, je ne fais que passer, inconcerné par l'histoire qui se joue ou que l'on fait mine de jouer, et que je vois,

    lointainement.

    Je cherche, sans être trop pressé de trouver, parmi les grandes agitations de l'heure. Ma montre est intérieure. Peut-être est-ce pour cela qu'on pense que je suis ailleurs.

    Bientôt, je ne suis plus dans l'angle.

    Nulle part. 

    Inexistant ; et c'est ainsi même que j'existe, libre de me mouvoir pour toucher qui me touche et vivre lentement, lentement.

    Certainement, il m'arrive de revenir dans l'angle même, dit-on. Je coupe parfois le devant de la scène, comme un inconscient. Pure folie dont je ne garde ni orgueil ni souvenir aigu. 

    C'est une vague lueur, un négatif de ma vie...

    Photo : Matthew Pillsbury

  • Point d'impact

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    Imaginons que tu aies un doute.

    Un doute.

    Un argument sans épaisseur, rien qui consiste, comme d'avoir vu le vent changer et d'en prendre ombrage alors que c'est le quotidien.

    Justement le quotidien en guise de doute (et non sa réciproque) : une pièce dans la poche, aussi usée que le souvenir que tu en as, puisqu'il ne s'agit pas de monnaie mais un ridicule pendentif : une médaille, que l'on portait, pas toi, mais quelqu'un d'autre, pas de la famille : il n'y avait de cous médaillés chez toi, et personne n'était du signe des gémeaux. 

    Le doute que tu aies pu un jour la voler. À une époque, tu aimais voler dans les magasins, et tu avais une certaine dextérité.

    C'est un vieux short de ville. Il a trente ans, avec une coupe de militaire traînant au désert. Tu as remis la main dessus avant de partir,

    et une médaille au fond de la poche gauche, poche arrière.

    Quelque chose que tu n'as jamais donné (à moins que ce ne soit un cadeau qu'on t'ait fait. Une preuve, d'amour ou d'amitié) à quelqu'un qui n'est plus là, nulle part, alors que tu comptes le nombre de vagues, à la fenêtre, qu'il t'aura fallu attendre avant qu'elle ne t'appelle, les bras s'agitant : on dirait un technicien aéronautique pour un bi-moteur essayant de se poser.

    Tu as la main dans la poche, la médaille entre les doigts et le pouce qui en frotte la tranche, puis la surface en relief.

    Un tout petit doute,

    que tu jettes discrètement dans la poubelle du hall, avant de sortir, radieux, ta serviette de bain sur l'épaule.

     

    Photo : Gunnar Smolianski

  • En chemin

     

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    Je vais là où je ne peux manquer d'aller. Pas loin : la distance n'est pas une nécessité. Ne pas confondre le cheminement et le point de chute. On ne sait jamais à quoi s'en tenir, parce que, évidemment, on ne sait jamais à quoi cela tient. 

    Je vais là où c'était écrit d'aller, même si je ne le savais, et cette histoire devient claire, tout à coup, parce que j'y suis, de tout mon être, de l'écart entier qu'il m'a fallu franchir pour en arriver là. Je ne l'avais pas prévu et je m'en accommode, avec simplicité : je prends toutes les pièces de ce qui s'offre à moi et je me nourris. Le lieu ne m'attendait pas. Il n'a pas besoin de moi pour être : ni ce pan de mur, ni cette enfilée d'arbres, ni cette cour intérieure, ni ce plan incliné avant le fracas de la mer à ses pieds, ni ce repaire de ronciers vauriens, ni, ni, ni, infiniment. 

    Je ne suis pas un voyageur. Les choses sont plus fortes que mon envie de faire un pas de plus, un pas de trop. Les choses m'arrêtent et ces suspensions impromptues sont l'essence même de ce qui me poursuit et me précède...

     

    Photo : Hiroshi Sugimoto

  • Plût au ciel...

     

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    Voir la nuit. Écouter la nuit (ou, dans un autre registre : voir, la nuit, écouter, la nuit).

    Le jour est toujours une présence facile.

    Écrire la nuit, ou rêvasser. Un peu de tension court dans l'esprit à cause du silence. Tu sens une ivresse dans la stagnation. Rien n'est immobile mais le mouvement n'a pas de gradation. Tout surgit. D'un coup. Ce qui n'était pas là vient frapper au carreau, ou passe à hauteur de ta tête.

    Lire la nuit, ou même ne rien faire : le temps se vidange, et, comme seul repère, tu comptes les fenêtres qui s'éteignent (et peu importe qu'elles soient encore ouvertes, ou fermées...), comme de l'alcool on finit par renoncer à la part des anges...

     

     Photo : Gilbert Fastenaekens

  • Sehnsucht (II)

     

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    Tu m'en diras tant. Quoique non, ce ne sera pas nécessaire. Le contraire aurait même le goût d'une fraîcheur apaisante, comme de se contenter d'un anis à l'eau après avoir éclusé des litres et des litres de Pastis. La sobriété a du bon, quand elle n'est pas le reste d'une mauvaise conscience mais le fruit d'un feu éteint, qui s'est éteint doucement, au point que, certes, il y ait bien une auréole charbonneuse du côté de ton cœur, des tisons froids, et pourtant, la douleur n'existe plus. Tu pourrais en dire tant et tant sur ce que fut ce cercle brûlant, dire les anathèmes, les vindictes, les paroles qui dépassèrent la pensée, et les remords aussi, que cette fatigue nouvelle, de ressasser, ne te soulagerait de rien.

     

    Photo : Awoiska van der Molen

     

  • Sehnsucht (I)

     

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    Tous les documents n'y peuvent rien. Ils taisent immanquablement une part de celui qui les produit, et au bout de la chaîne, encagoulent l'autre, destinataire heureux ou craintif.

    On accumule les preuves, faute de pouvoir connaître le profond de la décision, et l'intime du coup reçu.

    En tout, il y a un filigrane impossible à obtenir, une couleur derrière laquelle on court. Se voir (le clin d'œil), se lire (silencieusement), s'entendre (à mi-voix) ; jamais rien de ces interstices ne s'archive. Nulle part.

    Aucun motif ne peut se fredonner vraiment : la partition est un reste, le moindre-bien qui nourrit son monde.

    Tous les documents pour une glose aussi filée qu'une métaphore, en l'attente d'un train déjà passé.

     

    Photo : Patrick Bailly-Maître-Grand

     

  • En pièce jointe

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    vous partirez ; vous irez voir ailleurs, vous faire voir ailleurs, ailleurs si vous y êtes ;

    et cela sera différent, bien sûr ;

    juste un peu différent, diront certains, et de se demander si, pour si peu, il valait le coup de partir

    et de pâtir de n'être plus là où vous étiez ;

    cet endroit que vous regarderez de loin et qui ne sera jamais, sur la carte et dans la mémoire, jamais un nom comme un autre ;

    ce sera étrange de penser qu'il y a de par le monde vingt-trois villes qui portent ce même nom mais un seul résonnera,

    en vous, viendra de vous, parti pour aller voir ailleurs et allumer de là-bas devenu ici, et inversement, un feu qui n'aurait jamais existé sans cela

     

    Photo : Shoji Ueda

  • Photolalie

     

     

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    Ce sont les ombres que nous aimons aussi. Non pas celles tenaces des perdus et des enfuis, ombres avec lesquelles demeurent un contentieux ou des remords, mais les ombres furtives dont la chevelure argentique et le demi-sourire muet ont déjà traversé la rue, atteint les derniers degrés de l'escalator ou poussé la lourde porte d'un magasin d'exotisme.

    Les ombres qui, dès les jours suivants, souvent disparaissent ; mais elles n'ont pas sillonné notre âme en vain, parce qu'elles sont le sédiment d'un éveil inattendu, dans le territoire du commun (il s'agissait de faire une course, de retirer de l'argent, d'attendre le bus). Les ombres finissent par faire corps entre elles, quoique ne se ressemblant pas, on le sait. Elles forment une chaîne qui parle de nous, de ce que nous sommes sans le savoir. Elles sont l'inadvertance de notre histoire. L'in-su. Ce qui est enfoui et surgissant comme jamais altéré, une joie, une jouissance, un rappel à l'ordre du désir.

    Les ombres filent et leur silhouette végétale se faufile au milieu de la pierre. 

    Celle de ce jour, tu jurerais l'avoir déjà vue, et sans doute est-ce vrai jusque dans l'incertitude car, plus que tout discours, il y a la vibrante harmonie des épaules, la gravité d'un profil et le cil tremblant d'un regard frondeur...

     

    Photo : Édouard Boubat