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philosophie

  • Claudio Magris, le proche et le lointain

    "L'aventure la plus risquée, la plus difficile et la plus séduisante, c'est chez soi qu'elle arrive ; c'est là qu'on joue sa vie, la capacité ou l'incapacité d'aimer et de construire, d'avoir et de donner du bonheur, de grandir avec courage ou de se recroqueviller de peur ; c'est là que l'on se met en jeu et qu'on risque. Le chez soi n'est pas l'idylle ; il est l'espace de l'existence concrète et donc exposée au conflit, au malentendu, à l'erreur, aux abus de pouvoir et à l'aridité, au naufrage. C'est bien pourquoi il est le lieu central de la vie, avec son bien et son mal ; le lieu de la passion la plus forte, la plus dévastatrice -pour la compagne ou le compagnon de ses jours, pour les enfants- et la passion engage sans réserves. S'en aller de par le monde veut dire aussi se reposer de l'intensité domestique, se nicher dans des pauses pantouflardes et paisibles, se laisser aller passivement -immoralement, dirait Weininger- au cours des choses"

        Claudio Magris, Déplacements, 2001

  • La Terreur dans le discours

    "L'une des victoires du postmodernisme est d'être considéré et apprécié comme un mouvement profondément de gauche, progressiste voire contestataire. Il impose partout une image contrefaite, se déclarant bien plus libertaire que libéral. Il s'y entend comme personne pour soutenir toutes les postures et ne jamais défendre un seul combat qui évoquerait, même de loin, l'existence d'une lutte des classes. "L'indigène de la République" se substitue à l'exploité, les "queers" font l'impasse sur les luttes féministes et l'hétérosexualité devient un impérialisme à combattre. On conteste la domination de l'homme blanc abstrait, jamais celle de la marchandise concrète. Le rejet postmoderne de toute histoire révolutionnaire ne s'explique que par le refus de l'anticléricalisme de celle-ci. Sous la variante gauchiste, le "pomo" est celui qui, de façon toujours confusionniste, soutient la cause palestinienne, la jeune fille voilée et le "garçon arabe" en se référant exclusivement au passé colonial de l'Europe mais sans jamais rattacher ce passé à l'histoire des luttes de classes. C'est pourtant, du XVIIe au XXe siècle, l'histoire de la guerre sociale qui explique l'exploitation conjointe du prolétariat européen et des populations colonisées. Que le prolétariat soit absent de l'argumentation postmoderne n'est pas innocent : on y sent l'épouvantable odeur d'œuf pourri de Dieu.

    Pour Noam Chomsky, les "pomos" sont de vrais fascistes s'exprimant avec un discours de gauche. Pourtant, une vérité aussi irréfutable et si facilement vérifiable n'est pas toujours entendue, tant les "pomos" sont habiles à détourner le langage et à retourner à leur avantage les critiques de leurs adversaires. Une pareille impunité repose d'abord sur le principe de non-engagement du postmodernisme, qui se contente d'emprunter à la critique sociale l'identité de la victime. Elle repose ensuite sur une très efficace pratique du "lobbying" favorisant  l'occupation des postes clés au sein de l'université et des médias, et par l'activation de cercles plus spécialisés du pouvoir économique et politique, à l'image des "think tanks", des organismes supranationaux et de quelques départements des services de renseignements. On peut dire brièvement que ces cercles définissent les thématiques que les médias et les universitaires convertis à ces nouvelles thèses diffuseront massivement. Cette description, un rien mécaniste, ne traduit pourtant pas fidèlement  le processus, car, au final, le calcul n'y joue pas un rôle supérieur à celui du suivisme ordinaire. Les résultats de cette organisation en réseau  sont cependant exemplaires : par un mensonge sans cesse renouvelé, c'est le "pomo" qui est de gauche, progressiste, lui encore qui invente et réinvente une nouvelle conception de la liberté, de la sexualité et des corps."

               Jordi Vidal, Servitude & simulacre, Allia, 2007

  • Droit dans le mur

    "La vie, pourrait-on dire, est toujours -et de façon endémique- une autocritique. Mais la vie moderne, semble suggérer Valéry, a tellement accéléré cette critique, que la réalisation du but jusqu'alors poursuivi discrédite et ridiculise le besoin (mettant au jour son inexcusable modestie) au lieu de le satisfaire. On peut avancer que lorsque l'assouvissement du besoin devient une accoutumance, aucune dose de satisfaction ne peut plus l'assouvir. À certaine vitesse critique, la satisfaction devient inconcevable -alors l'accélération elle-même, plutôt que l'accumulation de gains, devient la raison de la poursuite. Dans ces circonstances, l'opposition entre conservatisme et création, préservation et critique, s'effondre. (l'implosion de l'opposition est comprise avec à-propos par l'idée de recyclage, qui mélange la préservation au renouveau et le rejet à l'affirmation) Être conservateur consiste à maintenir le rythme de l'accélération. Mieux encore -maintenir, préserver la tendance de l'accélération à accélérer toute seule..."

      Zygmunt Bauman, La Vie en miettes, Le Rouergue/Chambon, 2003 (1995)

  • L'effroi de la technique

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    Certes, les heures nous sont comptées. Telle est l'essence de notre mortalité. Mais au-delà de cette irréductible soumission du corps au processus biologique (et que d'aucuns, étourdis de progrès, de science et technologie voudraient pouvoir contrer pour nous faire accéder à un semblant d'éternité), il y a le temps que nous avons cru soumettre et auquel nous nous soumettons de plus en plus. Agendas, rendez-vous, horaires, sonneries, gongs, dernière minute avant fermeture, cadrans, écrans, tic-tac, et autres beautés ordinaires de notre aliénation. Les inventions ne sont pas là pour notre seul bonheur, ni même pour nous faciliter la vie, comme le rappelle ci-dessous Stefano Biancu.

     

    L'horloge (est devenu) un instrument d'émancipation, très utile au « temps du marchand » et des commerces qui avait déjà commencé de s'affirmer à l'époque médiévale. Mayr écrit que l'horloge
    « touchait par son appel à des désirs inexprimés et des inclinations latentes. Pendant des siècles, la fonction la plus importante de l'horloge fut peut-être de servir d'instrument pour l'éducation populaire, et, en vérité, d'instruction. Pour les Européens progressistes de la Renaissance, l'horloge incarnait les meilleurs choses que l'avenir pouvait apporter : la fin de la magie et de la superstition, la rationalité dans la pensée et l'ordre dans la vie publique. »
    Tout cela a donc fait de l'horloge « un insturment pour transformer la mentalité, les attitudes et les comportements populaires ».
    Le propos de Mayr va jusqu'à montrer qu'au XVIIe siècle, la diffusion de l'horloge mécanique a contribué d'une certaine manière à la fortune de la conception autoritaire de l'ordre social propre à la philosophie et la pensée politique de l'époque. Il nous suffit de noter ici que la technique répond non seulement à des besoins techniques et instrumentaux (on connaît le mot de Heidegger selon lequel l'essence de la technique « n'est absolument rien de technique »), mais aussi au besoin originaire et fondamental que l'homme a d'humaniser le réel pour pouvoir en faire l'expérience de façon significative et sensée, pour pouvoir l'habiter.
    Cela vaut aussi pour le temps. C'est un rôle que la technique a toujours joué, mais qui devient prépondérant à l'époque moderne, alors qu'elle devient l'instance productrice de culture la plus décisive. Avec la révolution médiatique, ce rôle devient plus décisif encore. De simple instrument, la technique se transforme en effet en « milieu » : un milieu magique et totalisant, qui offre l'illusion d'abolir tout l'intervalle de temps (tout écart entre le désir et sa réalisation), en rassurant en même temps, par une prolifération qui ne laisse jamais seul, sur la permanence du réel.
    Notre expérience du monde et du temps trouve ainsi dans la technique une médiation incontournable, toujours plus décisive et totalisante ; notre orientation dans l'espace et dans le temps passe inévitablement par elle.
    « Désormais -écrit Marc Augé- nous sommes capables de définir notre rapport avec l'espace et le temps, l'élément essentiel qui définit l'essence de l'homme et de l'humanité, simplement à travers des artefacts mis au point par l'industrie et circulant sur le marché. Il s'agit pour le moins d'un bouleversement complet de la capacité des hommes à percevoir leur relation avec eux-mêmes et avec autrui. »

    Stefano Biancu, Présent. Petite éthique du temps, éditions de la revue Conférence, 2015

     

     

    Photo : Philippe Nauher 

     

     

  • De l'identité et du territoire

     

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    Fayard/Pluriel a eu la belle intelligence de faire reparaître cette année La Vie liquide de Zygmunt Bauman. Ce vieux monsieur (il est né en 1925, autant dire la Préhistoire pour un monde jeuniste qui ne voit rien en deça de sa date de naissance) a le regard vif et réfléchi. Il voit dans les transformations récentes de la société le glissement d'un univers solide, organisé (avec ses défauts et ses limites) vers ce qu'il appelle un monde liquide, où dominent la vitesse, le renouvellement à tout prix, le règne du déchet, le triomphe quasi pathologique de l'incertitude. Il n'est pas tendre, à la manière d'un Jean-Claude Michéa, pour ceux qui veulent nous vendre la soupe de la postmodernité parce qu'ils en sont les premiers bénéficiaires. Il est donc redoutable quand il remet à leur place (façon de parler) ceux qui aujourd'hui célèbrent le cosmopolitisme dévoyé et libéral, dévoyé parce que libéral, libéral et élitiste. La page ci-dessous est exemplaire, en ce qu'elle éclaire sur les évolutions sociologiques (et éventuellement électorales) marquant une rupture nette entre les élites et le peuple, lequel peuple ne recouvre plus la simple engeance populo-ouvrière mais un éventail plus large du salariat, cette mer obscure qu'on appelle les classes moyennes :

    "Sur l'identité, les classes savantes, qui aujourd'hui forment également le noyau articulé et autoréfléchi de l'élite extraterritoriale globale émergeante, tendent à donner dans le lyrisme. Occupés à composer, décomposer et recomposer leurs identités, leurs membres ne peuvent qu'être agréablement impressionnés par la facilité et le coût relativement bas de réalisation de cette opération au quotidien. Les écrivains qui se penchent sur la culture ont tendance à appeler "hybridation" cette activité, et ses praticiens des "hybrides culturels".

    Libérées de leurs liens locaux, et voyageant aisément à travers les réseaux de cyberconnexions, les classes savantes se demandent pourquoi les autres ne suivent pas leur exemple et s'indignent quand ils constatent qu'ils semblent réticents à le faire. Cependant, malgré toute cette perplexité et cette indignations, peut-être la circonstance que les "autres" ne suivent pas  et ne peuvent pas suivre leur exemple ajoute-t-elle aux charmes de "l'hybridité" ainsi qu'à la satisfaction et à l'estime de soi de ceux qui peuvent l'embrasser, et l'embrassent ?

    L'hybridation concerne soi disant le mélange, mais sa fonction cachée, voire cruciale, qui fait d'elle un mode d'être-dans-le-monde si louable ertrecherché, est la séparation. L'hybridation sépare l'hybride de toute ligne de parenté monozygote. Aucun lignage ne peut réclamer les droits de possession exclusive du produit, aucun groupe de parents ne peut exercer un contrôle minutieux et nocif sur le respect des critères, et aucun rejeton n'a à se sentir obligé de jurer fidélité à sa tradition héréditaire. L'"hybridation" est une déclaration d'autonomie, ou plutôt d'indépendance, avec l'espoir qui s'ensuivra de la souveraineté des pratiques. Le fait que les "autres" soient distancés, coincés dans leurs génotypes monozygotes, renforce cette déclaration et contribue à en rechercher les pratiques.

    L'image d'une "culture hybride" est un commentaire idéologique sur l'extraterritorialité accomplie ou revendiquée. Elle concerne essentiellement une liberté, bien méritée et chérie, d'entrée sans permission et de sortie dans un monde quadrillé par des barrières et découpé en souverainetés fixes du point de vue territorial. Tout comme dans les réseaux extraterritoriaux traversés et les "nowherevilles" habitées par la nouvelle élite globale, la "culture hybride" recherche son identité dans le fait de ne pas être à sa place : dans la liberté de braver et de ne tenir aucun compte des frontières qui brident les mouvements et les choix des autres, ces inférieurs -les "gens du coin". Les "hybrides culturels" veulent se sentir partout chez eux -afin d'être vaccinés contre la vicieuse bactérie de la domesticité."

     

     

  • Verso Sera...

    italie,rome,philosophie

    Caravage, Bacchus, ca 1594, Galleria dei Uffizi, Firenze

    Solo beve acqua la bugiarda.... (Le menteur ne boit que de l'eau...)


     



  • No comment

     

    Une idée peut-elle être douce, quand elle prend la forme de la violence ? Oui. Un principe peut-il être le signe de l'humanité défaite quand d'aucuns y liraient l'appel au massacre ? Oui. Une formule brutale peut-elle être l'émotion contenue du chagrin ? Oui. Ainsi, ce qu'écrit si magnifiquement Nietzsche :

    "Sois au moins mon ennemi"