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  • Addendum à "Cette social-démocratie qui nous enterre..."

    Pour une confirmation de ce que le vers est dans le fruit et la rose politique  un leurre, l'ouvrage suivant qui sort cette semaine. Bertrand Rothé est professeur d'économie et on pourra lire une interview de lui ici. (1)

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    (1)Et l'épisode des escapades ministérielles pendant les vacances de Noël est, sans qu'il y paraisse, une belle illustration de ce mépris. Passons sur le fait qu'il dévoile ce que l'on savait déjà : Hollande est dépourvu d'autorité... En fait, il est assez significatif de voir prendre leurs aises avec les ordres présidentiels (et donc avec une prétendue idée que le président se ferait de l'intérêt général, même pendant la trêve des confiseurs), et de se trouver ainsi réunis, l'arrogant bourgeois Fabius dont on se souvient qu'il roula un temps en 2 CV pour faire peuple, et la parvenue Filippetti qui use régulièrement de ses origines prolétaires (jusqu'à commettre des textes de mauvaise prose), de son ascendance émigrée et mineure, en Lorraine, pour essayer de masquer toute la soif de gloriole motivant sa démarche. Que ces deux-là se retrouvent pour une semblable actualité people est fort savoureux...

  • Femme en bleu (VIII) : Van Dyck

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    Van Dyck, Mary Ruthven, Lady Van Dyck, c.1639, Prado, Madrid 

    Toute intention a son mystère, et si le temps fait son office, et notre manière de regarder s'en trouve bouleversée, alors, il n'est pas sûr que nous puissions retrouver le motif autour de quoi se construit une œuvre.

    Van Dyck paraît aisément identifiable, cernable, comme s'il y avait une lisibilité propre à sa peinture. La rigueur des poses, la majesté recherchée des individus, leur étrange dignité concourent à inscrire ses tableaux dans une distance sévère. On connaît le début du poème que lui consacre Proust, pour une musique de Reynaldo Hahn :

    Douce fierté des coeurs, grâce noble des choses, 
    Qui brillent dans les yeux, les velours et les bois ; 
    Beau langage élevé du maintien et des poses 
    Héréditaire orgueil des femmes et des rois !

    Il y a donc dans l'esthétique de Van Dyck un imparable souci de ne pas engager l'histoire de l'œuvre dans celle de celui qui est représenté, comme s'il fallait que sa peinture soit au delà de la réalité peinte, pour faire les êtres plus beaux qu'ils ne sont. C'est à cette condition que le Hollandais, qui finira par être si anglais, peut nous impressionner, quand on admet qu'il s'obstine à grandir ses modèles et que pour ce faire s'instaure une distance qui excède de beaucoup les mètres ou les centimètres séparant effectivement l'artiste du sujet.

    On n'est pas outre mesure troublé lorsqu'il s'agit de contempler une royauté ou une aristocratie quelconque. C'est une sorte de loi du genre. Il n'en est pas de même pour ce tableau.

    Van Dyck y peint sa femme. Elle est en habit de belle distinction sans que ce soit en même temps trop cérémonieux. Lady Ruthven ne s'apprête pas à sortir. Elle est, en quelque sorte, dans son espace privé. Elle a dans les cheveux une coiffure de feuille de chêne, allusion au nom hollandais de ce mari peintre. C'est un signe entre eux, pourrait-on dire : un aveu d'intimité. Il porte son regard sur elle, pour l'immortaliser par la peinture, et lui, qui est absent, de fait, qui n'existe plus alors que dans le nom qui signera ce traité d'éternité, vient s'inscrire dans l'œuvre, par le détail à la fois le plus symbolique (puisque ce signe existe comme chose -le feuillage-, désignation de la chose -le mot qu'on y associe-, et suggestion de l'artiste invisible -son nom propre masqué) et le plus futile, ce qui dépare un peu dans l'ensemble. Ainsi l'intime n'est pas si facile à dévoiler.

    Puisqu'il s'agit bien d'un tableau privé, mise en scène d'un amour de l'un à l'autre, on comprend mieux la légèreté des mains qui jouent avec le collier. Est-ce une manière de souligner leur finesse ? Le jeu de ces perles, autour du poignet, glissant entre les doigts, en partie invisibles est-il lui-même la suggestion d'une union plus complexe que ne peuvent l'admettre les règles de la bienséance ? Doit-on penser à la théâtralisation en quasi forme d'ombre du désir et d'un certain art de l'amour ? Ce regard de biais, avec la paupière qui semble sur le point de se fermer, est-il celui d'un aveu, d'une invitation, malgré la sévérité du reste du visage ? Invitation dont lui seul, Van Dyck, peut mesurer l'étendue...

    Tout cela est bien difficile à dire, parce que lorsqu'on se trouve devant ce tableau, au Prado, avant que d'en connaître le titre, le sujet, on penserait d'abord à quelque femme un peu acariâtre, pas très jolie, à l'air pimbêche... Ce n'est que dans un second temps, lorsque les mots se posent sur la peinture, que l'œil recompose autrement la scène, que l'on se projette dans le désir retenu de l'artiste. Où se tient le piège de cette dérangeante infirmité (relative certes) du regard, à plus de trois siècles de distance ? Les canons contemporains de la beauté rendent peut-être lady Ruthven moins attirante mais faut-il croire à cette explication, quand d'autres figures, plus anciennes -à commencer par celles du Caravage- éblouissent. Ne faut-il pas plutôt penser qu'en l'espèce notre esprit, malgré la rassurante idée qu'il sait ce qu'il regarde (c'est-à-dire qu'il est capable d'en donner le sens le plus imprécis qui soit : portrait d'une femme), manque à l'essentiel, qu'il se laisse prendre au piège de l'illusion du réel ? Serait-ce la preuve (ou l'expérience) que bien souvent nous venons moins nous confronter au mystère de l'art, avec toute l'humilité que requiert une œuvre, par principe nouvelle, que nous n'arrivons avec l'œil du dehors, celui d'un quotidien anesthésiant ? Et de ne plus réussir à deviner très vite ce qu'il y a de suggestif dans la dissimulation, d'intempestif dans le guindé, parce que nous sommes d'un monde racoleur, de flamboyant dans le glacé (et la couleur du vêtement, sombre vers le bas, s'éclaire à mesure qu'il remonte vers la poitrine et le visage, comme une incandescence)...

    De là, l'injustice faite l'épouse de Van Dyck, immortel amour en bleu, et plus encore à Van Dyck, dont nous n'avons pas compris sur le champ la passion modeste, habitués que nous sommes désormais aux preuves grandiloquentes et aux mots qui ne coûtent pas cher.

     

     

  • Si d'aventure

    J'aimerais bien que l'on se dise des choses, murmure-t-il, des choses... Des choses sans importance, comme des bouts de ficelle qui serviraient à lacer nos chaussures. Pas vraiment pour qu'on aille plus loin, ou plus vite : on peut s'en tenir là, rester sur place et convenir que, par le seul fait de la voix sussurée, on fasse défiler les paysages. Mais pour ce faire, il faut des choses dans la bouche, une nourriture qu'on ne suspectera pas d'être intentionnelle, et de ne jamais tirer les ficelles de ce que tu me diras, de ce que je te dirai, des choses que nous avons vues, toi et moi, ou pas vues, ou cru voir, ou espéré de ne pas avoir vu, des choses, dans un tiroir qui referme mal : les tiroirs de nous-mêmes, les macchabées à tiroirs que nous sommes en passe d'être. Mais pour ce faire, il faut de la matière, où qu'on la prenne, dans le feuillage qui suinte au-dessus de nos têtes, dans l'arrivage du vent qui soulève la poussière, dans l'effacement des signes de la stèle ornant la place, ou bien dans ces choses que je ne saurai jamais autrement que parce que tu me les auras dites, et que je te croirai sur paroles, parce qu'il n'y a aucune raison pour que tu ne m'aies pas menti, je dis bien ce que je dis : parce que je parie plus sur ton mensonge que sur ta sincérité de mauvaise maille, forcément mauvaise puisque tu l'invoques à la moindre incartade dans ce que tu espères que les autres penseront de toi. Donc se dire des choses, avec tout le mensonge qui sied, sans quoi, tout cela ne vaudra pas tripette, pas plus qu'un pavé mal damé, tu m'entends. Ce sont les choses sans importance, les tiennes, les miennes, combinées dans leur effilochage (tu prends deux morceaux de tissus et c'est un texte nouveau...), qui me serviront de viatique.

     

  • Très loin après la virgule

     

    économie,taxation,impôts,football,peuple,conseil constitutionnel

    Ce sont de vieux souvenirs d'école, du temps des maîtres qui sentaient encore le hussard républicain, du temps de l'encrier, du buvard, de l'ardoise, de la petite éponge qui finissait par puer horriblement, des contrôles redoutés de calcul mental et des divisions après la virgule, quand on posait six, qu'il y allait quatre, qu'on retenait trois et qu'il fallait donner le résultat au dixième, voire au centième supérieur. Maintenant, les choses sont tout de même plus simples : la calculatrice, qui vous épargne toutes ces souffrances.

    Ce que nous avons conservé de ces exercices fastidieux nous sert parfois, rarement, mais parfois. Par exemple : vous êtes à une terrasse et vous lisez dans un journal que la décision des Sages du Conseil constitutionnel, de retoquer la taxation à 75 %, sauve le football professionnel français d'un exode terrible. Ter-ri-ble ! Puisqu'on vous le dit ! Parmi les 1500 qui se seraient mangés l'impôt confiscatoire, 100 footballeurs ! La Ligue 1, passionnante, brillante et survitaminée au qatari et aux investisseurs avides de la baballe, a failli tomber dans une médiocrité désolante, faute d'avoir les cadors dignes d'un pays comme le nôtre ! On ne remerciera jamais assez Jean-Louis Debré, Michel Charasse et leurs acolytes. Alleluia !

    À votre terrasse, vous prenez votre note (un allongé et un jus d'abricot) et au verso, avec votre éternel stylo plume, vous rappelant, à trois fois rien près, que la population active française, c'est 27 millions d'hurluberlus comme vous, vous vous lancez dans des calculs proprement eisteiniens.

    Lesquels vous apprennent que 30 footeux par clubs de Ligue 1 x 20 clubs, cela nous fait environ 600 gugusses... De là, il ressort que 100 divisé par 1500 = 6,6 %. 6,6 % des menacés fiscaux sont des footeux. Ces footeux représentent 600 divisé par 27 millions = 0,003 % de la population active.

    6,6 % d'un côté, 0,003 % de l'autre. Je ne sais pas si les chiffres parlent d'eux-mêmes, vraiment pas, mais devant ce ratio de 1 à 2000 calculé à la louche, on regrette d'avoir des restes d'école primaire et on se commande un martini blanc, sans glaçon, histoire de ne pas désespérer, tout en se disant que si les Français, à commencer par les classes populaires, acceptent cela, en justifiant que les footeux ont une carrière très courte, les mêmes Français qui traquent le profiteur d'un demi-euro, le resquilleur du bus, et jugent avec sévérité les prétendus privilèges (fantasmés souvent) de leur voisin, on n'est pas sorti de l'auberge.


    Photo : Charles Platiau/Reuters

  • Vide amateur

    Sans doute n'a-t-il pas compris immédiatement, mais je n'en saurai rien... Ce fut soudain un bruit, immense, un grondement qui décrochait du haut des montagnes, une effervescence blanche et massive, pas une vague, les bouillonnantes sur la platitude de l'océan : un lit à pic, ou presque, de terreur.

    Il était peut-être arrêté à reprendre son souffle, à moins qu'il n'ait senti dans son dos la cavalcade. Elle était là, face à lui, très lointaine et pourtant si proche. Il a planté ses bâtons, sorti son portable et filmé.

    Tout était blanc d'abord, et c'est demeuré ainsi plusieurs secondes. Blanc et presque inoffensif. Puis le blanc a commencé à manger le soleil, il a viré à la grisaille, une grisaille de plus en plus intense, avant que tout ne cède au noir.

    Quand les sauveteurs l'ont retrouvé, il avait, malgré la force de l'avalanche, contre son ventre sa main tenant son portable. Et tu te demandais un temps s'il fallait voir dans son geste du courage, de la lucidité ou du désespoir. Futile débat de morale... Plus tard, tu as pensé à autre chose : à ce désir quasi morbide de filmer sa mort, d'être là, encore et toujours, de s'arracher, même pour rien, à la vaine existence, de se prolonger, coûte que coûte, de préférer fixer l'écran, pour te faire pleurer, peut-être, plutôt que de chercher à fuir. Plus tard, encore, tu t'es dit qu'il avait dû croire en l'objet qu'il tenait, y croire, c'était cela, comme en un dieu quelconque, avec un œil inquisiteur qui finirait sur une plateforme vidéo. Plus tard, encore plus tard, tu as balayé ces images, absurdes et vindicatives, de ta mémoire, ta mémoire, la seule à laquelle tu tiennes, sans retouches ni pixels, et tu as continué de vivre...

  • Randy Newman, ironique

    Randy Newman est un compositeur peu prolixe. Cinq albums depuis 1979. Seul Donald Fagen (c'est pour un prochain billet) a fait mieux en la matière. Il appartient, ce cher Newman, a une époque qui sent encore la musique faussement easy listening, quand les arrangements et le choix des musiciens signifient encore quelque chose de proprement américain (1). Newman, en fait, ce n'est pas de la pop (concept très anglais) mais une construction qui va de pair avec les espaces urbains informels, les motels, les grosses voitures roulant lentement, des films où on parlerait peu (mais évidemment pas dans le genre intello de Tarkovsky ou Sokourov...) parce que le décor, les constructions sont en soi le mobile du déroulement de la pellicule.

    Ironique, dis-je, le petit père Newman, et pas rien qu'un peu. Prenez ce que vous allez écouter. Le titre est  déjà tout un programme : Short people. S'agit-il des nains ? Admettons. Et d'enchaîner avec délectation. Short people have no reason to live. Bordel ! Que fait la ligue de combat des différences et même qu'il faut plus déconner et se moquer parce que sinon on va vous envoyer les juges et les flics (que par ailleurs on déteste, parce qu'on n'aime pas la répression, c'est bien connu). Il se moque des nains ! Salaud ! Par les armes et vite. 

    Le problème de l'ironie, c'est qu'il faut un minimum d'intelligence et que l'intelligence, depuis que les bonnes sœurs gauchistes (masculin et féminin, pour le coup) ont décrété qu'elle (ils) étaient l'incarnation de la bonne parole, cette intelligence a singulièrement régressé (2). Revenons à Randy Newman qui se moque apparemment des nains. Il est méprisable : il mesure 1m83 ! Voilà qui classe son homme ! Que sa chanson puisse être entendue au second degré, cela échappa à certains. Encore étions-nous en 1977, à un époque où le bucher du politiquement correct n'avait pas été érigé. Que ces short people fussent des gens à courte vue, des  crétins à la vision étriquée, ne frappa pas certains esprits. Soyons raisonnables en diable et cartésiens de surcroît pour se rappeler que "le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ; car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont. En quoi il n’est pas vraisemblable que tous se trompent : mais plutôt cela témoigne que la puissance de bien juger et distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes ; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n'est pas assez d'avoir l'esprit bon, mais le principal est de l'appliquer bien." (Discours de la méthode, 1637).

    Il y a évidemment un certain snobisme à vouloir glisser dans le même billet Randy Newman et René Descartes, une sorte d'exercice, facile, dans le mariage de la carpe et du lapin. Aucun doute là dessus et donc, inutile de s'agacer (je connais certains lecteurs...), c'est fait pour...

    En attendant, bonne écoute.

     


     


    (1)Sur l'album où paraît Short people, Little Criminals, on trouve les noms de Ry Cooder, Don  Henley ou Jim Keltner. Les amateurs apprécieront.

    (1)Car il n'échappera à personne que le moralisme gauchiste prend des allures de catéchèse, la rhétorique et l'allégorie en moins. De toute manière, les niaiseries ne peuvent guère prétendre aux quatre niveaux de lecture dégagés par Aristote : le littéral,  l'allégorique, le tropologique et l'anagogique. Il y a tromperie sur la marchandise mais il ne faut rien en dire. Ils s'en tiennent au littéral, le seul qu'ils veulent exploiter tant ils méprisent les gens qu'ils disent représenter. Ils appellent populisme ce qui n'est pas eux.