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off-shore - Page 21

  • Métonymie

    La partie pour le tout, le fétichisme de la basse lumière et du chuchotement. La parole, sans quoi rien ne serait, sinon une mécanique du vivant, à laquelle nous essayons d'échapper.

    La métonymie plutôt que la métaphore. Le fixe et l'éternel plutôt que la viralité de l'imaginaire.

     

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    Photo : Philippe Nauher

  • Métaphore

    Si l'on veut résumer l'esprit des échecs, il s'agit d'avoir au moins un coup d'avance, ce qui n'est pas sans ironie. Avec un esprit un peu malicieux, le gain à venir, la mise en échec, ou sinon la mise aux échecs, c'est la conjecture sur ce qui se défait. 

    Il est fréquent de regarder la politique, et ceux qui en font leur mangeoire démocratique, sous la figure des pions et des pièces maîtresses que l'on déplace, d'attendre lequel des prétendus stratèges saura le mieux tirer profit de la situation. Sans doute est-ce cette juste comparaison qui, plutôt que de grandir le pouvoir et ses représentants, l'abaisse immanquablement.

    Bobby Fischer disait qu'on avait fait le tour de la question, celle du damier s'entend, et pour regénérer l'histoire, il eût fallu inverser la place du roi et de la reine. Que tout change pour que rien ne change...

  • Veille

    Se mettre au silence, comme on dit : se mettre au yoga, ou à la peinture sur soie... C'est ainsi qu'on en arrive à cette im-posture du retrait. Dans les hautes sphères, ils diront : faire une cure médiatique.

    Se mettre au silence, se mettre au régime : à quelque chose qui serait comme un affadissement de soi, une dimension, alors que, au contraire, il s'agit plutôt de retrouver de la matière, d'être consistant par le fait même de n'être plus là, plus autant là.

    Il n'est pas question de fuir, d'être en retrait (expression à la mode, pour signifier qu'on revient de suite. Un peu comme la concierge qui est dans l'escalier.), mais de respirer.

    -Tu ne dis rien ?

    -Pourquoi faudrait-il que je parle ? 

    Considérons que le silence n'est pas un état mais une recherche, une condition sine qua non pour agir et être, comme Nietzsche évoquait l'oubli.

  • ...

    "L'homme qui n'espère rien est un terrible optimiste" (Paul Claudel)

  • Tout occuper

    La ville de Qaasuitsup est la municipalité la plus étendue au monde. Sa superficie est de 660 000 km², soit celle de la France augmentée d'à peu près 20 %. Sa population est de 17 000 habitants. Nous sommes au Groenland.

    Ces chiffres, le délire de proportionnalité qu'ils induisent entre l'entité administrative, la réalité topographique et la présence humaine (car on comprend de suite que le village proprement dit englobe la quasi totalité des habitants), tout cela n'est pas fortuit. Nous avons abandonné depuis longtemps cette idée que le monde pouvait exister sans nous, que l'inconnu est une vérité du globe avec laquelle nous devrions composer. Tout cela est fini. L'imposition administrative d'une lecture de l'espace terrestre en son entier a été validée. La taille de Qaasuitsup n'a pas d'autre signification que cela : la terre appartient à l'homme. Il en calibre la réalité et assujettit la matière, la surface, son contenu à ses intérêts exploités, repérés, espérés. Le désert ou l'étendue glacée sont autant de droits à venir, de titres à imposer, de dividendes à verser (ou à toucher). Il ne faut donc pas qu'un seul mètre ne soit pas intégré à une valorisation politico-économique (avec cette nuance près que le politique se réduit de plus en plus à des considérations économiques. Il faut relire Schumpeter...).

    On imagine aisément que l'édile à la tête de cette localité (mais ce mot ne convient guère tant nous ne sommes justement plus dans du local) ne connaît pas la totalité de ce qu'il est censé représenter. Il ne peut évidemment se le représenter. Il n'en a qu'une vague idée. L'essentiel est que ce soit là, sur la carte. La carte par quoi il peut se rendre compte de ce qui est, c'est-à-dire de ce qui lui appartient, ou, pour être plus exact, de ce qui n'appartient pas aux autres. C'est une affaire de droit. Rien ne doit être laissé au hasard et si gouverner, c'est prévoir, alors la mainmise sur une étendue quelconque, de sable, de forêts, de glace vaut d'abord en ce qu'elle suppose une interdiction faite à autrui. En plein milieu de ce néant gelé et hostile, vous êtes donc doublement un intrus.

    Qaasuitsup est infini (au regard de ce que devrait parcourir un homme pour en faire le tour) mais elle révèle la petitesse de ce qui nous constitue quand le seul impératif est métrique. Il ne suffit pas de penser que le temps, c'est de l'argent. L'espace de l'est pas moins...

  • Sans condition

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    Ce qu'il reste de l'été, ou du printemps, ou de n'importe quel jour. Les choses. Les apprêtés de nos conciliabules et des bouteilles vidées. Tout est léger, ainsi vu, de loin, de haut, à mille lieues (tu exagères) de ce qu'il a fallu comme énergie pour garder l'équilibre. Quand tout est ainsi, posé, fermé et comme appesanti du jour qui s'évanouit, il demeure en toi une ineffable musique que toutes les couleurs du monde ne pourraient jamais contenir....

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Glenn Gould, éternellement

     

    Glenn Gould est né le 25 septembre 1932 et ce qu'il nous a laissé pousse à célébrer sa naissance plutôt que de nous recueillir le jour de sa disparition (c'était le 4 octobre 1982). L'écouter, et particulièrement dans ses interprétations de Bach, c'est comme rentrer chez soi, dans la maison imaginaire qui nous abrite des vicissitudes, de la bêtise, de la violence et de la vanité du monde.


  • Les armoiries de la rêveuse

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    Elle a tout de suite balancé qu’elle ne gardait rien, qu’on pouvait tout jeter : les meubles, les souvenirs, les lettres, les vieilles fringues, et les neuves. La vaisselle aussi, sans parler des photos.

    Elle prenait seulement une valise, vide. Vide ? Evidemment, puisque le but de toute cette aventure n’était pas de se surcharger mais de remplir les jours, les mois et les années à venir. Il fallait donc une valise, sans rien à l’intérieur.

    En plus, ce serait utile, en arrivant là où elle passerait, une manière d’avoir une main libre et l’autre occupée à faire croire qu’elle avait déjà vécu, qu’elle venait de quelque part, qu’elle était sûre d’elle-même.

     

    *

     

    Elle pensait aux premiers temps, aux premières nuits inconnues dans des endroits improbables ; et d’ouvrir la valise pour n’y rien trouver et ne rien y mettre. Et elle imaginait que, peut-être, un matin, en faisant la chambre, un hôtelier indélicat voulant fouiller pour en savoir davantage découvrirait le secret de cette si discrète occupante de la chambre 15.

    Il aurait peur, ensuite, en la voyant au petit-déjeuner, peur de ses manières simples, de son calme. Il suffit de peu pour les gens (se) racontent des histoires.

    Il lâcherait même, le matin de son départ, un « vous n’êtes pas encombrée, dites », auquel elle répondrait, avec un large sourire, qu’elle a tout sur elle et que le monde est inépuisable.

     

    *

     

    Elle a gardé un certain temps la valise, sans jamais rien y conserver. Ce n’était pas nécessaire. Elle pouvait faire sans. Elle l’a abandonnée sur un chemin qui descendait vers la mer, et longtemps après, très longtemps, dans l’intérieur de la doublure qui venait de se déchirer, le fils de l’acquéreur inopiné a trouvé la photo couleur d’une jeune femme châtain clair, sur un quai de gare, sans la moindre indication, ni recto, ni verso. Il a beau chercher en elle les traces d’un sentiment particulier et précis, il reste désemparé, comme si, dans l’éclat des couleurs étonnamment conservées, d’une époque indéfinie, elle arrivait à se soustraire à son regard. Cette photo, il l’a punaisée sur le panneau de liège, au-dessus de son bureau, dans un coin à part, et il se promet un jour de retrouver ce quai et d’en percer le mystère…

     

    Photo : Alexandre Mouchet (avec l'aimable autorisation de Newyorka)

                  

  • La manquante et l'ajouté

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    À cinquante mètres de distance, découverts le même jour : une lettre manque ici quand on a écrit un chiffre en plus là. La beauté du kairos fait courir l'imagination, puisque, dans une certaine mesure, l'esprit peut être trompé par ce qui est ajouté ou retranché.

    Dans un roman policier, il arriverait ainsi qu'un personnage ait été gravement touché dans la rue de Crimée mais que, retrouvé ailleurs, inconscient, il ne garde, dans les dernières lueurs de lucidité que le souvenir du crime, la rue du crime, ce qui, en considération de son état, laisserait les enquêteurs perplexes. Il y a si loin de la Crimée au crime, dans ces circonstances, que tout le monde resterait longtemps aveugle. De même, dans un autre roman, un agonisant évoquerait le 33 et la police passerait au crible toutes les adresses de la ville répondant à ce critère. En vain.

    Il faut ainsi imaginer, dans les deux cas, un autre indice pour que l'énigme soit résolue, moins un indice d'ailleurs qu'une illumination, une pas même intuition, plutôt : un mélange de réminiscence et de conviction. Par exemple, dans l'affaire de la lettre, le héros, revenant d'une conférence sur Lacan (il est l'amant d'une psychanalyste...), relirait le fameux texte de la Lettre volée, que son esprit détournerait évidemment pour trouver celle qui manquedans l'affaire du chiffre -devenu nombre- l'esprit aventureux d'un inspecteur, revoyant L'Assassin habite au 21, de Clouzot, ferait une addition 2+1=3, penserait au docteur Linz. Dites 33. Son supérieur trouverait cela tiré par les cheveux, comme on dit. Mais l'invraisemblable serait, selon les amoureux de l'algorithme, la règle.

    Le monde est plein de signes, sur lesquels nous nous méprenons. Nous le savons. Qu'à cela ne tienne : nous aimons l'erreur, l'illusion, l'approximation. Elles nous blessent autant qu'elles nous nourrissent. La manquante et l'ajouté nous servent à garder à l'esprit le bonheur trouvé dans l'exacte mesure de l'existence... 

     

    Photos : Philippe Nauher