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off-shore - Page 20

  • La vie est peut-être insurmontable

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    Ainsi, me dit-il, serait-il peut-être bon que j'aille voir ailleurs si j'y suis. C'est une formule, d'accord. Quoique. Puisque je tends vers ma propre suppression, je peux me bercer d'illusions, croire à la vigueur de l'immensité, du point hasardeux sur l'atlas. Au moins aurai-je le bénéfice du doute, et doublement. Je n'aurai pas à dire qui je suis et quel est mon passé. Je n'aurai pas le cortège de mes indignités. On dira de moi que je suis énigmatique. Belle manière d'être une ombre. Je garderai en moi le bruit et la fureur. Les gens de cet autre monde seront les idiots utiles de ma vanité. C'est un luxe dont beaucoup jouissent, ou veulent se prévaloir. Comme tel s'explique, continue-t-il, le goût des voyages et des départs prévus ou anticipés vers d'autres horizons. Avec d'aussi belles manières, on cherche l'efficacité. Il y en a pour qui le monde n'est pas assez grand, qu'ils voudraient le manger, l'engloutir. Il m'est, quant à moi, infini dès les premiers mètres qui m'entourent. L'horizon de ma fenêtre, la plage un peu étroite qui ouvre sur la mer, le petit chemin, ridicule ligne entre les collines, le carreau de la place où j'ai mes habitudes, tous sont autant d'univers avec des clés dont je n'ai pas le trousseau. Je regarde ce proche qui, parfois, m'échappe. Si lutte il doit y avoir avec le monde, elle commence par ne pas renoncer à ce qui te demande.

     

    Photo : Philippe Nauher

  • Flux

    Le monde parle, parle, parle, parle. Dans les temps où l'économie et la rationalité des actes sont de mise, voilà qui ne manque pas d'être étrange. Sauf à considérer que le bruit (au sens que lui donnait Shannon) est une composante du désordre nécessaire pour que la terreur fonctionne à son régime maximum.

    Le flux n'est pas le signe d'une augmentation de la circulation mais l'intensification des normes falsifiées, d'une croyance en l'évaluation comptable de la vacuité.

  • La Réciproque

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    Tu es l'orfèvre capital des longs après-midi perdus en terrasse ; à nul autre pareil, que ce bavardage littoral avec le siège vide qui, un jour t'agrée, un autre te déchire.

    C'est l'ombre portée, à décharge, sur le souvenir, flou grave des heures parties ailleurs. Les feuilles tombent sans condition et le vent a de belles orgues parfois. En d'autres jours, ce sont les auréoles des nuages qui te guettent, ou le soleil te faisant la peau.

    Tu balbuties et tu crayonnes. C'est un mélange d'esquisses et d'esquives, comme il en faut pour savoir quand, enfin, le travail est achevé, la pluie passée et le bonheur possible.

    Tu séjournes en fraudeur. C'est-à-dire que tu pars sans prévenir, alors même que les gens te voient à la même place. Certains diront qu'il y a là une certaine force, une volonté. Tu souris sans répondre. 

    Le café est sans sucre ; la leçon peu amène parfois, de voir que rien n'y fait. Il n'est pas de condition autre que celle de l'écume séchée et brune.

     

     

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    Photos : Philippe Nauher

  • L'effroi de la technique

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    Certes, les heures nous sont comptées. Telle est l'essence de notre mortalité. Mais au-delà de cette irréductible soumission du corps au processus biologique (et que d'aucuns, étourdis de progrès, de science et technologie voudraient pouvoir contrer pour nous faire accéder à un semblant d'éternité), il y a le temps que nous avons cru soumettre et auquel nous nous soumettons de plus en plus. Agendas, rendez-vous, horaires, sonneries, gongs, dernière minute avant fermeture, cadrans, écrans, tic-tac, et autres beautés ordinaires de notre aliénation. Les inventions ne sont pas là pour notre seul bonheur, ni même pour nous faciliter la vie, comme le rappelle ci-dessous Stefano Biancu.

     

    L'horloge (est devenu) un instrument d'émancipation, très utile au « temps du marchand » et des commerces qui avait déjà commencé de s'affirmer à l'époque médiévale. Mayr écrit que l'horloge
    « touchait par son appel à des désirs inexprimés et des inclinations latentes. Pendant des siècles, la fonction la plus importante de l'horloge fut peut-être de servir d'instrument pour l'éducation populaire, et, en vérité, d'instruction. Pour les Européens progressistes de la Renaissance, l'horloge incarnait les meilleurs choses que l'avenir pouvait apporter : la fin de la magie et de la superstition, la rationalité dans la pensée et l'ordre dans la vie publique. »
    Tout cela a donc fait de l'horloge « un insturment pour transformer la mentalité, les attitudes et les comportements populaires ».
    Le propos de Mayr va jusqu'à montrer qu'au XVIIe siècle, la diffusion de l'horloge mécanique a contribué d'une certaine manière à la fortune de la conception autoritaire de l'ordre social propre à la philosophie et la pensée politique de l'époque. Il nous suffit de noter ici que la technique répond non seulement à des besoins techniques et instrumentaux (on connaît le mot de Heidegger selon lequel l'essence de la technique « n'est absolument rien de technique »), mais aussi au besoin originaire et fondamental que l'homme a d'humaniser le réel pour pouvoir en faire l'expérience de façon significative et sensée, pour pouvoir l'habiter.
    Cela vaut aussi pour le temps. C'est un rôle que la technique a toujours joué, mais qui devient prépondérant à l'époque moderne, alors qu'elle devient l'instance productrice de culture la plus décisive. Avec la révolution médiatique, ce rôle devient plus décisif encore. De simple instrument, la technique se transforme en effet en « milieu » : un milieu magique et totalisant, qui offre l'illusion d'abolir tout l'intervalle de temps (tout écart entre le désir et sa réalisation), en rassurant en même temps, par une prolifération qui ne laisse jamais seul, sur la permanence du réel.
    Notre expérience du monde et du temps trouve ainsi dans la technique une médiation incontournable, toujours plus décisive et totalisante ; notre orientation dans l'espace et dans le temps passe inévitablement par elle.
    « Désormais -écrit Marc Augé- nous sommes capables de définir notre rapport avec l'espace et le temps, l'élément essentiel qui définit l'essence de l'homme et de l'humanité, simplement à travers des artefacts mis au point par l'industrie et circulant sur le marché. Il s'agit pour le moins d'un bouleversement complet de la capacité des hommes à percevoir leur relation avec eux-mêmes et avec autrui. »

    Stefano Biancu, Présent. Petite éthique du temps, éditions de la revue Conférence, 2015

     

     

    Photo : Philippe Nauher 

     

     

  • Poursuivre

    Os de seiche

    Ne nous demande pas le mot qui taille carré
    notre esprit informe, et en lettres de feu
    l'affirme et le fasse resplendir comme un crocus
    perdu au milieu d'une pelouse poussiéreuse.

    Ah l'homme qui s'en va d'un pas sûr,
    ami des autres et de lui-même,
    et n'a cure de son ombre que la canicule
    imprime sur un mur décrépi !

    N'exige pas de nous la formule qui puisse t'ouvrir des mondes,
    mais quelque syllabe difforme, sèche comme une branche.
    Aujourd'hui nous ne pouvons que te dire ceci :
    ce que nous ne sommes pas, ce que nous ne voulons pas.


    Eugenio Montale, Poèmes choisis

  • Juste une guitare

    N'allons pas chercher plus loin. Lloyd Cole écrit une chanson simple. Des accords passe-partout. Et le regretté Robert Quine l'habille de sa guitare. 


  • Sur la terreur libérale

     

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    Je ne puis désormais exister (c'est-à-dire être légitime dans mon être mondialisé) que dans l'architecture d'une tonalité à la fois rétrograde, profondément castratrice, et , last but not least, illusoirement libertaire. Mon isotopie fondamentale est l'errance. La migration est ma raison d'être, pour me confronter à une autre migration, qui me rendra agressif, régressif, incertain. Je suis l'homme du XXXIème siècle, à l'usure du déplacement, à l'isolement programmé de l'homme achevé par la banlieue, par la décrépitude des murs, par l'insalubrité de l'atmosphère, par l'illusion de l'ambiance. 

    Je suis le mort, à la fois absent et totalement , qui enterre les vivants. J'objecte, à la rigueur supposée de la moindre philosophie existentielle, la réalité inconnue de la mort sans voix. Je ne parle pas ; je ne hurle pas. Je ne suis pas aphone mais inaudible, affublé d'un masque, nanti d'une langue étrangère. Je suis le barbare. Je suis le dialecte perdu de l'Histoire. Je suis la négation du devenir et nul sommeil, fût-il le plus réparateur, ne me fera oublier le petit jour qui vient : glauque, abstrait, répétitif...

     Photo : Philippe Nauher

  • Alexandre Mouchet, Exposition photographique

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    Alexandre Mouchet exposera un choix de ses photographies du 11 au 25 novembre, au Bomp ( 1, place Croix-Paquet, 69001 Lyon) (1). Le vernissage se déroulera le vendredi 11 à partir de 19 heures.

    Belle occasion de découvrir un jeune artiste, à la fois photographe et vidéaste. Une maîtrise technique au service d'un regard vif tourné vers l'exploration de l'environnement urbain et l'étonnement des espaces plus infinis.

    Pour lire une intéressante interview de l'intéressé, c'est ici.

    (1) On le retrouvera ensuite en janvier à l'Espace Berthelot, dans le 7ème arrondissement.

  • Se bercer d'illusions

    Il y a quelques semaines, on trouvait l'affiche ci-dessous dans les rues de Lyon.

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    Catherine Deneuve était à l'honneur du dernier festival Lumière. On lui remettait un prix. Sans doute n'y aurait-il rien à en dire si on ne se souvenait que l'an dernier on honorait Martin Scorsese. Dans les deux cas, un portrait. Très classique pour le réalisateur américain, conforme à ce qu'il est désormais, avec ses grosses lunettes et ses sourcils broussailleux. Ceux qui sont venus le voir en chair et en os ont retrouvé ce qu'on leur avait vendu sur l'affiche.

    En revanche, il n'en est pas de même pour la grande Catherine. Point de respect du temps présent et de soumission à la rigueur de la réalité. Sans doute l'actrice veille-t-elle à ce que son image soit conforme à l'idée qu'elle s'en fait et aux représentations fantasmatiques auxquelles elle veut être associée. On ne lui en fait pas le reproche. Elle n'est pas la seule. C'est dans l'air du temps. Le souci de soi et les attentes narcissiques exacerbées par la société contemporaine permettent toutes les audaces, même les plus ridicules, celles qui se démasquent dans l'instant. Les assiégés du Moi, pour reprendre Christopher Lasch, se multiplient

    Il serait bon de leur dire, à toutes ces audacieuses (et aux audacieux aussi) que leur combat non seulement est vain mais qu'il enlaidit la grâce de leur passé. Elles ne sauvent rien, et surtout pas leur réputation. Leur beauté ne serait pas perdue si elles ne prenaient pas outrage d'être ainsi communes. Ava Gardner, la plus belle de toutes, l'avait, elle, très bien compris et dès la quarantaine atteinte, elle savait se faire respecter du temps en refusant de feindre qu'elle pût s'y soustraire. 

  • Trahir

    Dans la liste des innombrables dossiers répertoriés dans son ordinateur, un jour qu'il voulait faire le ménage, il trouva Trahir, intitulé intrigant, et il s'empressa de l'ouvrir, mais il n'y avait rien. Pas une ligne. Page blanche. Il consulta la date de constitution et il remonta à plus de quatre ans. Il chercha dans sa mémoire les traces du moindre souvenir concernant cette étrange entreprise ; il échoua. Comme si la matière même de l'écran blanc avait pu remédier à cette catastrophe, à ce défaut d'inventaire, il rouvrit le dossier. Etait-ce, à l'origine, une nouvelle ? Un texte politique ? Une humeur ? Une analyse ? Tout était vide. Trahir. La forme infinitive ne l'aidait en rien. Un participe passé, trahi ou trahie, avait en germe un sujet, un être potentiel, sur lequel greffer une histoire. Il supposait au moins une victime, pour faire simple, et un coupable, un bon et un mauvais rôles. De là, il était envisageable d'élaborer un scénario, plus ou moins classique, plus ou moins convenu, puisque le sujet lui-même n'avait rien d'original. La littérature et l'Histoire se résumaient, sous un certain angle, à la litanie des confiances bafouées. Mais trahir ? Une action. Un projet peut-être. Ou, qui sait ?, une philosophie... Il fouilla sa vie pour y trouver des désirs de stratagèmes, de coups foireux à fomenter, de haines à satisfaire. Il lui fallait être de bonne foi et reconnaître que certaines inimitiés l'avaient tenté. Néanmoins, il n'en avait, en conscience, rien fait. La platitude de son existence ne laissait pas la place à une telle entreprise. Ceux et celles qu'il n'avait pas revus, il devait cette situation aux aléas du monde, à la lassitude et à une forme très courante de fatalisme. Il ne se souvenait pas avoir eu des envies quelconques pour explorer ce point particulier. C'était pourtant plausible. La psychologie, la philosophie des sentiments, l'exploration des affects étaient dans l'air du temps. On dissertait sur l'amour, la honte, la convivialité, la détresse, l'amitié. Tout passait à la moulinette des lieux communs, sous le signe de la volonté de comprendre le monde pour le rendre meilleur. Il y avait depuis quelques décennies une aspiration très paradoxale à espérer quand tout participait à consolider la désolation.

    Trahir, mentir, bannir...

    Pourquoi le premier et pas les deux autres ? Qu'aurait-il pu dire, lui, sur la trahison ? Que diriez-vous ? Vous avez tiré ce sujet à un examen et vous avez deux heures de préparation. Envisager ce petit mystère à l'aune du piège des notations et des colles débiles le dégoûta. Il ne pouvait en être ainsi.

    Trahir, mentir, bannir...

    Il venait de taper les trois mots de cet univers suspendu depuis si longtemps, qui ne demandait qu'à vivre, ou à mourir. Pourquoi se sentir obligé ?

    Il y avait un plaisir du verbe, nécessairement. Les trois, deux syllabes à chaque fois, un hexamètre pour commencer, et il sentit que l'ordre devait d'ailleurs être changé. Mentir, trahir, bannir... Les trois temps d'une lente maturation, entre deux personnages. Il écrivit quelques lignes, qu'il relut, avec une certaine satisfaction. Il ferma le dossier. Il était pressé par le monde. Quelques jours plus tard, il y revint et tout lui sembla terriblement mauvais. Ce fut à nouveau la page blanche. Hors le titre qui, lui, n'avait pas changé et dont il ne savait pourquoi il sentait, dans l'intime, qu'un jour ou l'autre il saurait en faire bon usage...