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  • Boussole

    Nous sommes sans cesse abîmés par la rumeur, la faille atrabilaire du quotidien, qui clabaude.

    Là où ton corps te blesse : le dos, la cheville, les cervicales, les intestins, le crâne, est le point de ton chagrin. Si tu le sais, en conscience, tu prendras soin de ne jamais éteindre ce feu complètement. Il t'alerte et veille sur toi. Le jour où il n'est plus en toi, où il ne te parle plus, tu es un être sans langue et sans ancre.

    Tout bonheur comprend la récession du monde, même brève, à l'endroit de ce que nous sommes, et à celui où nous vivons.

    Quand tu entends ses premiers mots d'enfant, dans l'énervée articulation parfois de ses efforts, qui te ferait rire chez d'autres, mais pas lui, tu restes sans voix, avant de te les répéter, intérieurement, comme un poème, ou une langue étrange, alors qu'elle est tienne aussi, le signe d'un partage incessant avivé par les yeux, la bouche, la peau, les mains, les grimaces et ses rires.

  • La croisée des chemins

    Hier un homme a été tué. Un vieil homme. Il a été martyrisé. Non pas parce qu'il était français, non parce qu'il était un citoyen, mais parce qu'il était catholique. Sa qualité de prêtre accroît pour certains l'indignation ; c'est néanmoins faire de l'habit un faux argument pour évacuer le sens profond de cette abomination. J'aimerais qu'on entende bien en le disant ce que signifie cette phrase : un homme est mort parce qu'il était catholique. Qu'on la dise avec la même intensité que lorsqu'on rappelle qu'un homme est parce qu'il était juif, par exemple. Ainsi articulée, avec la lenteur qu'elle requiert pour chacun des termes qui la composent, on mesure toute la portée de ce qui se trame. L'ennemi profond des islamistes, c'est le christianisme, et plus particulièrement le catholicisme. Il l'est depuis la nuit des temps théologiques. Si l'on ne veut pas entendre toute la portée de cette menace, nous disparaîtrons ou nous serons réduits à l'esclavage. L'Autre, si cher à Lévinas, mais d'abord au message évangélique, sera éradiqué, comme l'ont été les chrétiens d'Orient et du Maghreb (essayez d'être chrétien en Algérie...).

    Mais il ne suffisait pas que le crime se fasse à l'autel, il fallait que la victime soit salie post-mortem. La république maçonnique qui nous gouverne, dont la haine pour le prêtre, est une des pensées majeures, encourageant la déchristianisation de la France, la déshistoricisation de sa population, réduisant notre passé à deux siècles de marchandages, d'obscurantisme positiviste (1), celui-ci a osé, hier soir, par la voix de son maître, affirmer que ce crime, c'était "profaner la République". Profaner ? Comment cela se peut-il ? Qu'y a-t-il de sacré dans ce régime dont l'histoire est un tissu d'inepties, une collection d'ignominies et un tableau de racailles corrompues (2) ? Où y a-t-il une quelconque spiritualité dans le jeu des pouvoirs et d'un régime qu'un profiteur éhonté dont se réclame l'actuel thuriféraire en chef qualifia de coup d'état permanent ? Comment le mépris du peuple par des gens de peu pourrait-il être sacré ? Si, au moins, à défaut de miracles, on avait au sommet de l'état Marc-Aurèle ou Cincinnatus, nous aurions moins de dégoût. Mais ce n'est pas le cas.

    On sent bien la gêne et les tentatives pour déminer le terrain. Mais ce ne sont que de piètres dialecticiens et Valls fait un aveu indirect quand il dit craindre une guerre de religions. Comment est-ce possible dans une République laïque que, paraît-il, le monde entier nous envie sans que nul ne veuille en faire le fondement de sa pensée politique ? Il est vrai que la laïcité en question a d'abord été une arme pour détruire l'église catholique et si elle avait mis autant de zèle à mater ces trente dernières années les exigences politiques de l'islam qu'elle en a mis pour pétrifier la pourpre cardinalice, nous n'en serions sans doute pas là.

    Ceux qui pensent que le chapelet des valeurs républicaines impressionne des engagés qui placent Dieu hors de tout sont des idiots, des fous dangereux. On n'oppose pas à une revendication politique confondue avec des appuis spirituels (dont je ne discute pas ici la pertinence. Ce qui prime, c'est la logique combinatoire) des principes matérialistes et bassement juridiques par lesquels nous nous affaiblissons terriblement (3). Après le Bataclan, le leitmotiv était superbe : "nous retournerons au concert et nous siroterons à nouveau en terrasse." Voilà  de quoi durcir la démocratie, politiser les foules et rendre spirituels le troupeau d'abrutis festifs qui rythment leurs existences avec Facebook, Instagram, Pokemon-Go, les Nuits sonores, Harry Potter, les rails de coke, Adopteunmec et j'en passe, dont le rapport au monde n'excède pas le temps de leur propre mémoire, et qui disent ce qu'ils pensent avec d'autant plus de facilité qu'ils ne pensent rien.

    Nous ne pourrons éternellement nous aveugler, en réduisant la spiritualité à un choix consumériste et prétendument démocratique, où le religieux est soit une grossièreté, soit un paramètre de l'expression individuelle : aujourd'hui bouddhiste, parce que c'est tendance, comme le tatouage, demain animiste, après-demain macrobio ou je ne sais quoi, au gré de l'influence des gens qui comptent ou des progrès de la science qui anéantit l'homme par le biais de la bio-politique (4).

    Il y a un siècle et un peu plus, à des titres divers, Bloy, Barrès, Huysmans, Proust ou Péguy sentaient le gouffre d'un abandon pluri-séculaire. Mais sans doute est-ce déjà Chateaubriand, à la fin des Mémoires, qui sonnait avec ardeur le tocsin, ce cher Chateaubriand dans la prose duquel, pour l'heure, je me réfugie. Voici ce qu'il écrit, dans le quatrième tome de son œuvre majeure. Le chapitre s'intitule "L'idée chrétienne est l'avenir du monde".

     

     

    "En définitive, mes investigations m'amènent à conclure que l'ancienne société s'enfonce sous elle, qu'il est impossible à quiconque n'est pas chrétien de comprendre la société future poursuivant son cours et satisfaisant à la fois ou l'idée purement républicaine ou l'idée monarchique modifiée. Dans toutes les hypothèses, les améliorations que vous désirez, vous ne les pouvez tirer que de l'Evangile.

    Au fond des combinaisons des sectaires actuels, c'est toujours le plagiat, la parodie de l'Evangile, toujours le principe apostolique qu'on retrouve: ce principe est tellement ancré en nous, que nous en usons comme nous appartenant; nous nous le présumons naturel, quoiqu'il ne nous le soit pas; il nous est venu de notre ancienne foi, à prendre celle-ci à deux ou trois degrés d'ascendance au-dessus de nous. Tel esprit indépendant qui s'occupe du perfectionnement de ses semblables n'y aurait jamais pensé si le droit des peuples n'avait été posé par le Fils de l'homme. Tout acte de philanthropie auquel nous nous livrons, tout système que nous rêvons dans l'intérêt de l'humanité, n'est que l'idée chrétienne retournée, changée de nom et trop souvent défigurée: c'est toujours le Verbe qui se fait chair !

     Voulez-vous que l'idée chrétienne ne soit que l'idée humaine en progression ? J'y consens; mais ouvrez les diverses cosmogonies, vous apprendrez qu'un christianisme traditionnel a devancé sur la terre le christianisme révélé. Si le Messie n'était pas venu, et qu'il n'eût point parlé, comme il le dit de lui-même, l'idée n'aurait pas été dégagée, les vérités seraient restées confuses, telles qu'on les entrevoit dans les écrits des anciens. C'est donc, de quelque façon que vous l'interprétiez, du révélateur ou du Christ que vous tenez tout; c'est du Sauveur, Salvator, du Consolateur, paracletus, qu'il nous faut toujours partir; c'est de lui que vous avez reçu les germes de la civilisation et de la philosophie.

    Vous voyez donc que je ne trouve de solution à l'avenir que dans le christianisme et dans le christianisme catholique; la religion du Verbe est la manifestation de la vérité, comme la création est la visibilité de Dieu. Je ne prétends pas qu'une rénovation générale ait absolument lieu, car j'admets que des peuples entiers soient voués à la destruction; j'admets aussi que la foi se dessèche en certains pays: mais s'il en reste un seul grain, s'il tombe sur un peu de terre, ne fût-ce que dans les débris d'un vase, ce grain lèvera, et une seconde incarnation de l'esprit catholique ranimera la société.

    Le christianisme est l'appréciation la plus philosophique et la plus rationnelle de Dieu et de la création; il renferme les trois grandes lois de l'univers, la loi divine, la loi morale, la loi politique: la lois divine, unité de Dieu en trois essences; la loi morale, charité; la loi politique, c'est-à-dire la liberté, l'égalité, la fraternité.

    Les deux premiers principes sont développés; le troisième, la loi politique, n'a point reçu ses compléments, parce qu'il ne pouvait fleurir tandis que la croyance intelligente de l'être infini et la morale universelle n'étaient pas solidement établies. Or, le christianisme eut d'abord à déblayer les absurdités et les abominations dont l'idolâtrie et l'esclavage avaient encombré le genre humain."

     

     

    (1)Je renvoie par exemple au clip de campagne de l'anaphorique présidence pour qui tout commence à la Révolution, à ce moment béni où l'on massacra justement des prêtres...

    (2)Le lecteur aura le loisir de se pencher sur ce que furent les scandales, les compromissions et les basses œuvres du pouvoir depuis 1870. L'exemplarité républicaine à l'aune des III et IVe versions, voilà bien une sinistre escroquerie.

    (3)C'est la ligne de conduite de l'insuffisance présidentielle : ne pas sortir des valeurs de liberté dont nous serions les porteurs universels. Dès lors, pourquoi un état d'urgence ? Pourquoi jouer sur les mots, quand l'état d'exception est, depuis longtemps, la règle, au profit exclusif d'intérêts privés et commerciaux ? Mais je doute fort que l'énarchie au pouvoir ait lu Carl Schmitt, et moins encore Giorgio Agamben.

    Quant à un exemple de faiblesse, sur le plan juridique : une preuve grandiose. La condamnation de la Norvège dans le procès que Breijvik a mené contre ce pays, pour traitement inhumain. Il est certain que c'est inadmissible de vouloir brusquer un individu qui pratique la tuerie collective et le salut hitlérien !

    (4)Dont Foucault (quel paradoxe !) esquissa l'horreur. Mais depuis, il y a mieux à lire : Giorgio Agamben ou Céline Lafontaine., par exemple.

  • L'obstination

    Alors qu'il était ambassadeur à Rome, Chateaubriand envisagea un temps d'être inhumé dans cette ville, et plus précisément à Saint-Onuphre, là même où Le Tasse, après avoir si longtemps vécu dans le couvent adjacent, a sa sépulture. La proximité même de ce grand écrivain seyait à l'insigne mémorialiste.

    "Si j'ai le bonheur de finir mes jours ici, je me suis arrangé pour avoir à Saint-Onuphre un réduit joignant la chambre le Tasse expira. Aux moments perdus de mon ambassade, à la fenêtre de ma cellule, je continuerai mes Mémoires. Dans un des plus beaux sites de la terre, parmi les orangers et les chênes verts, Rome entière sous mes yeux, chaque matin, en me mettant à l'ouvrage, entre le lit de mort et la tombe du poète, j'invoquerai le génie de la gloire et du malheur."

    Le Tasse, dans une représentation très romantique, synthétise à la fois la grâce de la création et le malheur de l'artiste dans un monde qui le persécute. C'est un poncif des Mémoires. Il y a donc, en partie, une raison démesurée à cet attrait pour la tombe romaine, et spécialement dans cet endroit. Cela n'exclut pas une certaine sincérité du projet (ou du moins de l'imaginaire qu'il suscite).

    Mais, on le sait, Chateaubriand n'en fit rien, quoiqu'une plaque évoque ce désir. À la même époque, en effet, il commence les discussions avec les autorités de Saint-Malo, pour obtenir le droit d'être enterré sur sa terre natale. Elles aboutiront un peu plus tard et ce que nous connaissons aujourd'hui sera prêt en 1838, dix ans avant la disparition de l'écrivain.

    Il préfère donc le Grand Bé et le repos solitaire face aux remparts de Saint-Malo, ce qui ne diminue en rien son sens du spectaculaire et d'aucuns diront son orgueil et sa vanité.

    Si l'on veut bien se débarrasser de ces considérations morales sur la prétention de François-René, prétention somme toute relative quand on considère l'ego des médiocrités qui nous gouvernent et celui des nullités qui décryptent le monde dans les médias, si l'on s'en tient, au-delà du génie et du souffle des lieux, les pentes du Gianicolo et le promontoire maritime, à la radicale opposition du symbole, on ne peut qu'être touché par le choix de l'écrivain. Face à la double ostentation du mythe, celui de la Ville éternelle, de Rome comme berceau de ce que nous sommes, celui de l'écriture, de la parentèle littéraire où se mélangent admiration et rivalité, se dressent l'attachement indélébile à l'enfance, à l'habité, et le sens serein des racines. Après tant de vicissitudes et de voyages, après tant de bouleversements et d'aventures, le Grand Bé fixe pour l'éternité le grave témoignage de la profondeur d'un homme pour lequel l'histoire propre a croisé, sans jamais être défaite par elle, l'Histoire de son temps. Saint-Malo n'est pas qu'une péripétie de la naissance, ou le siège mythifié/mystifiant d'une mise en scène de soi (comme on sait si bien le faire aujourd'hui). Qu'on relise simplement le cinq premiers livres des Mémoires d'Outre-tombe. La ville natale demeure le port d'attache, et le chant de l'âme.

    Sur ce point, Chateaubriand est un enraciné, un voyageur sans oubli du point où il est parti, et où il a vécu. Son envie de connaître le monde, d'y tracer son chemin ne le font jamais abandonner ou renier son enfance. Pour être, d'une certaine manière, un cosmopolite, il demeure à jamais malouin. Ce lien est serein et ferme. Il n'a pas cette tournure qui désormais abîme le monde, cette revendication idiote et fantasmée qu'on entend si souvent, autour des origines familiales. Car l'origine comme fin n'a de sens que si on y a des souvenirs profonds et construits. Non lorsqu'on ne connaît ce lieu que par l'acte de naissance des parents, voire des grands-parents, ou comme villégiature d'une quinzaine l'an, l'été. Généalogie réelle pour une culture de pacotille, une revendication creuse. Glorification du lieu par le biais d'un maillot de foot. Langue à moitié connue sans y afférer l'art qui devrait s'y rattacher. Et pour le pire des cas, sépulture en une terre quasi inconnue. Le monde présent veut des citoyens du monde capables de détruire et de vilipender le lieu où ils sont nés, capables de jouer aveuglément avec une terre à demi étrangère. De tout cela naît des orphelins de la pensée, vindicatifs et affaiblis. On les nourrit de fantasmes dérisoires qui mettent à vif une frustration glaçante. Tout autant qu'on nous serine avec la citoyenneté du monde, on déracine doublement les individus. Ils n'ont rien là-bas. Ils ne construisent rien ici.

    Nul doute que Chateaubriand ait aimé Rome, se soit senti romain et que la tentation ait été forte de satisfaire sa grandeur littéraire. Mais il ne devait pas au Capitole et à Saint-Pierre ce qu'il avait reçu des douceurs de l'église Saint-Vincent et des déambulations sur les remparts. La tombe si particulière du Grand Bé peut offenser l'égalitarisme contemporain et la bouse républicaine. Ce n'est pas très important au regard de ce qu'elle signifie au profond : un retour modeste à la terre plutôt que la gloire aux yeux du monde, et la paradoxale humilité de s'en remettre à ce qui l'a précédé.

  • La leçon turque

    Erdogan a failli se faire renverser par un coup d'état. Le putsch militaire a échoué. L'inspiration kémaliste des opposants, devant le projet islamiste du président derrière lequel se cache un dictateur classique tel que sait en produire à la pelle la politique qui n'a que le Coran comme finalité, a été balayée, à la fois dans le pays, et dans les jugements qui ont été portés par les puissances spectatrices.

    L'Amérique d'Obama s'est empressée d'apporter son soutien au menacé. Oui, Obama, celui qui devait changer le monde, celui dont l'élection fit pleurer des journalistes ignares et des citoyens imbéciles, celui dont le bilan est désastreux, si l'on considère la situation de violence et de pauvreté qui sévit dans les classes les plus populaires de ce pays, à commencer par celles qui vivent dans les ghettos, cet Obama-là, dont il ne fallait pas être grand clerc pour estimer qu'il ne ferait rien d'autre que suivre la ligne américaine définie ailleurs que dans le bureau ovale, a défendu Erdogan. L'Europe a emboîté le pas, et dans l'Europe, les islamo-gauchistes au pouvoir ont évidemment payer leur écot. L'insuffisance présidentielle a applaudi des deux mains à la sauvegarde de la démocratie turque. Et depuis que le sieur Erdogan fait régner la terreur sous prétexte d'une reprise en main, emprisonnant, mettant à pieds, limogeant à tour de bras, c'est le silence radio. La possible élection d'un candidat d'extrême-droite en Autriche les émouvait davantage.

    Nul doute que pour les temps à venir, ils nous resserviront, pour la politique intérieure, le péril brun, la menace lepéniste et leur litanie sur le fascisme qui ne doit pas passer. Sauf s'il est vert. Et puisqu'on parle des Verts, rappelons qu'un cadre de EELV, Jean-Sébastien Herpin, après la tuerie d'Orlando, revendiquée par l'EI : "la différence entre La Manif pour tous et #Orlando ? Le passage à l'acte". On appréciera à sa juste valeur intellectuelle le parallèle entre des manifestants pacifistes, dont tous n'étaient d'ailleurs des catholiques, mais qu'on réduisit souvent à des cathos fachos intégristes, et les terroristes de l'EI. Quand la haine des curés atteint ce degré, il n'y a plus rien à espérer. Mais cet épisode n'est pas, loin s'en faut, une gaffe individuelle. La police fut autrement zélée avec ces manifestants-là et les veilleurs qui leur étaient affiliés qu'avec les imams salafistes et les radicaux du Croissant. Leur couardise devant la montée de l'islamisme est leur fond de commerce.

    Ce terreau-là sert donc à défendre Erdogan et à vouer aux gémonies Marine Le Pen. C'est, en quelque sorte, un anti-fascisme  (ou prétendu tel) à géométrie variable. Cette leçon me suffit pour savoir ce que je dois faire et qui je dois craindre. Il y a peu, c'était en 2012, Valls nous servait la version du loup solitaire et Merah était un "enfant perdu de la République". Le même nous sort aujourd'hui des fiches S par milliers. Mais il ne faudrait surtout pas faire d'amalgame, c'est-à-dire ne pas placer le débat sur le plan politique, surtout pas. Sauf pour les cathos.

    Pour finir sur une note turque, revenons à ce que disait Erdogan en 1996 : « Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants seront nos soldats. » C'est le même que Hollande and co protègent. Dont acte.

  • Le clair

    Au rez-de-chaussée des villes, les habitats donnant sur la rue parent leurs fenêtres de lourds voilages, ou de verres dépolis, allant jusqu'aux vitres teintées,

    alors que toi, l'ami, lorsque tu te lèves, face à la grande baie de ta chambre, non loin de la Varde, où Chateaubriand venait pleurer ses amours malheureuses, tu regardes, nu comme un ver, selon les bonheurs des saisons, le jour venteux, le chapelet des nuages, ou le soleil froid qui amorce la mer...

     

     

  • Par défaut

    Il aimait bien cette idée de tout arrêter, de tourner la page, juste pour sentir l'effroi, ou le soulagement, qu'il y avait derrière, comme l'imaginaire d'un film ressemblant à s'y méprendre au scénario de Barbe-bleue.

    Ce n'était pas à proprement parler un désir, plutôt une tentation : d'en finir. Et pour plus d'exactitude, avec tout l'élan métaphorique qui sied, de mettre les voiles. Ne pas annoncer simplement qu'il baissait le rideau, mais qu'il allait voir ailleurs, dans un univers solitaire, pour se refaire une santé, anonyme et silencieux.

    L'usure : à la fois la fatigue, et le prix exorbitant que l'on paie

    et lui avait envie de perdre tout crédit, de ne plus circuler entre les rangs. Il n'y avait rien d'héroïque à être traversé d'une telle fébrilité.

    Il aimait bien cette mortalité soudaine de l'envie, en ces temps épuisants où il fallait être fort, lourd, énergique, affamé, etc., etc., etc.

    La volatilité est une propriété qui le faisait rêver, l'une des ultimes aventures contemporaines, comme le feu de l'orage cinglant le haut du mât, sans laisser de souvenirs, juste une impression, une sensation intime, pour laquelle on chercherait en vain le moindre mot...

  • L'époque : de la disparition d'Yves Bonnefoy

    La disparition d'Yves Bonnefoy passera en silence. Les poètes ne sont rien. Déjà, au début de l'année, celle de Pierre Boulez ne valut rien d'autre qu'une annonce sommaire. Nul besoin d'épiloguer. Ainsi va le monde.  Il n'est pas ici question de gloire ou de reconnaissance mais de représentation. Le XIXe siècle bourgeois et ventripotent ne pouvait passer outre le verbe hugolien, jusque dans ses outrances, ses répétitions et ses facilités. Si le verbe n'était plus chair, il était encore dans le temps de l'incarnation. Le théâtre du monde se donnait encore le plaisir de s'émanciper dans des figures. Booz endormi parlait certes une langue lointaine mais que la modestie de chacun révérait, tenait à distance. La littérature est à ce prix : que l'on sache se tenir coi et respectueux devant ce qui n'est pas la voix de la tribu. Mais ce temps est révolu. La grâce démocratique n'a cure d'autrui, et plus encore d'un autrui dont le phrasé nous regarde comme une énigme. Ainsi en était-il de l'écriture de Bonnefoy... Elle mesurait cette infinie licence permise à qui se bat contre la langue, en s'appuyant sur elle. Combat à la fois ombrageux et insoluble, que réprouvent les temps contemporains d'une syntaxe simplifiée et d'un sens évident.

    Yves Bonnefoy meurt dans l'indifférence et ce n'est pas tant la dimension personnelle, la question de la reconnaissance, qui est en jeu, que l'obséquiosité des hommages faux, des métaphores creuses qui essaieront de combler le vide qui entoure de facto la littérature exigeante. L'hermétisme n'est bon désormais que pour les cénacles économiques qui nous chassent de la maison commune. Le poète est relégué au rayon des fantaisies. Yves Bonnefoy et son expérience de langue et de l'art sont des curiosités, au sens où l'on parlait des cabinets de curiosités au XVIIIe siècle : un fatras de singularités que l'on admire sans rien vraiment y comprendre.

    La médiocrité crasse du pays qui reste le mien se vérifiera dans les deux jours prochains, par le silence officielle que cette disparition suscitera. Le vélo et le foot sont bien plus précieux. Inutile d'en parler. Mais souvenons-nous que le Chili, ce pays secondaire qui devrait prendre exemple sur le phare hexagonal censé inspirer la planète entière, le Chili, dis-je, décréta trois jours de deuil national quand Claudio Arrau décéda. Il y a des jours où l'on se sent chilien...

     

  • En nous

    C'est bien l'altérité, celle dont parle si justement Lévinas, de ce visage qui continue de vivre en nous, malgré le lointain, le silence ou la disparition, de ce visage que le temps singulier n'altère pas, comme un suaire faisant encoches dans le présent.

    Elle arrache de la sollicitude affectée et de la comptabilité des rendez-vous, quand tant, au jour le jour, de masques nous entretiennent sans fond.

    Toutes les biométries du monde n'emporteront jamais la beauté sereine de ce visage, vivant dans le territoire entier de notre corps, se déplaçant du cœur de notre existence jusqu'à l'épiderme.

    Ce qui fait de toi une vérité. Alétheia : chez les Grecs, la suppression de l'oubli...