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économie - Page 2

  • Gouvernance (substantif)

    On a beaucoup ri de lui. On s'est gaussé de son air provincial, de sa mine bonhomme d'épicier qui aurait réussi, de sa silhouette voûtée à vous flinguer n'importe quel costume, et des formules sybillines. Il est néanmoins certain que Jean-Pierre Raffarin a été le premier ministre le plus important de ces trente dernières années. Écrivant cela, je me place sur le plan de l'inflexion du politique vers cette nouvelle forme désengagée et privée qu'aura pris désormais l'art de diriger : la gouvernance. il a d'ailleurs publié un ouvrage sur la question, en 2002, Pour une nouvelle gouvernance (1).

    La gouvernance est le mot-clé de la catastrophe contemporaine. Pour en avoir une vision claire et cinglante, il est indispensable de lire le travail d'Alain Deneault, Gouvernance. Le management totalitaire, Lux éditeur, 2013. 

     

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    50 chapitres courts sous forme de prémisses dont je publie ici la 10ème.

     

    PRIVATISER EN PRIVANT

    On feint de penser sous le vocable de la gouvernance des modalités par lesquelles un vivre-ensemble serait possible... précisément sur un mode qui contredit cette possibilité. La gouvernance désigne ce qu'il reste d'envie de partage dans le contexte de la privatisation économique. Le collectif à l'état de fantasme. Un mirage. Car la privatisation du bien public ne procède en rien d'autre que de la privation. En même temps que le libéralisme économique promeut brutalement cet art de la privation dans les milieux de ceux à qui cela profite, la gouvernance sert à en amortir le choc, pour les esprits seulement, car on n'excèdera pas à ce chapitre le seul travail de rhétorique. Privare, en latin, signifie le fait de mettre à part -c'est le contraire du partage. Privatiser un bien consiste pour les uns à en priver les autres du moment qu'ils ne paient pas un droit de passage afin d'y accéder. Le privatus désigne par conséquent celui qui est privé de quelque chose -privatus lumine, l'aveugle privé de la vue dont parlait Ovide. Même quand les coûts relatifs au bien sont amortis depuis longtemps, comme dans le cas d'un immeuble, des locataires n'en finissent plus de le financer à vide plutôt que s'en tenir aux coûts réels, ceux de son entretien. Quand il ne s'agit  pas de surpayer au profit d'exploitants des biens fabriqués et distribués par des subalternes scandaleusement sous-payés. Le profit des multinationales, vu ainsi, procède d'une sorte d'impôt privé étarnger à tout intérêt public. Il s'agit, autrement dit, de logiques mafieuses légalisées. C'est d'ailleurs du même privare latin que provient l'expression "privilège". Il s'agit littéralement d'une loi  (lex) privée (privus) : le privilège correspond à l'acte de priver (exclure) autrui d'un bien ou d'une faveur en vertu d'une règle générale (loi). En d'autres termes, il est, en droit, une disposition juridique qui fonde un statut particulier -tel que celui de la noblesse dans l'Ancien Régime. D'où les expressions chèries par ceux qui en tirent un grand bénéfice : "respecter la loi", "agir dans le cadre strict de la loi", etc.

     

    (1)Raffarin est diplômé de l'ESCP (École supérieure de commerce de Paris) , dans la même promotion que MIchel Barnier, grand européen devant l'éternel, et qu'il exerça dans le privé, notamment comme directeur général de Bernard Krief Communications, cela est éclairant.

  • C'est l'histoire d'une œuvre d'art...

     

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    Et tous ces tableaux statistiques, ces reliques d'une économétrie nous ayant amenés au gouffre, les encadrer, écrire son nom dessous et les mettre aux enchères, chez Sotheby's ou ailleurs, dans je ne sais quelle salle des ventes, de Milan, New York ou Paris, à moins que dans les pays émergents, ou à Shanghai... Et toutes ces courbes enchevauchantes, ces lignes brisées, aussi dures que des barbelés, ces alignées de chiffres, comme une citation trop réelle, vraiment mortifère, d'Opalka, les vendre en disant c'est de l'art, de l'art, de l'art, de la photo d'art, et qu'elles fassent l'extase jubilatoire, montée au carré, voire au cube, de ceux qui nous ont bel et bien baisés. (1)



    (1) Le mercredi, 1er aout 2012, pendant plus d'une heure, chaos sur la bourse de New York. Les programmes de trading Knight Capital foirent. Voilà ce que donne le résultat de l'agitation sur le titre Novartis (illustration). Si on vous disait que c'est du Candas Sisman, par exemple, ou du Parvianen. Mieux : du Jim Campbell...

     

  • D'un luxe à l'autre

     

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    Dernièrement, une mienne connaissance revenant du cinéma s'étonnait de se retrouver devant des distributeurs de tickets d'entrée. Nulle caissière dans la cahute. Sans doute l'heure choisie était-elle trop peu «productive». Le fait est qu'il se retrouva face à la machine.

    Et de regretter le temps que nous connûmes, de l'ouvreuse qui vous guidait parfois à la pile de poche dans le noir d'une salle silencieuse, de l'entracte où la même passait dans les allées pour les Esquimaus glacés. Aujourd'hui, c'est la machine, les couloirs criards et les étals, avant de prendre l'escalator, où se déversent les sucreries, le pop corn et le coca. Une sorte de bonheur américain...

    Oui, les ouvreuses, et tous ces petits emplois (ceci dit sans aucun mépris) disparus.

    Il y a quelques années, j'ai lu que le retour des pompistes dans les stations correspondrait à une augmentation d'un centime du prix du litre d'essence (à condition d'ailleurs que toute la répercussion fût supportée par le consommateur. Il ne faudrait tout de même pas mettre en danger la santé économique de Total et consorts...) et la création de 10 000 emplois. Il est vrai que depuis les stations ont singulièrement réduit en nombre. Et puis, un centime, vous dira que le Fangio Pol Polish, le parvenu jantes 18", le bobo en 4x4 ou le nanar customisé, c'est énorme ! Passons...

    Je ne sais si le calcul est si viable, si le gain en terme de travail serait aussi haut. Reste qu'il faudrait bien trouver de la main d'œuvre et le désastre est tel que ce serait un moindre mal que de pouvoir travailler. Mais ce n'est évidemment pas à l'ordre du jour. Le temps que nous avons connu d'une société qui donnait, même dans des conditions peu avantageuses, une place à chacun est révolu. Certains diront que c'est de la nostalgie, encore une fois. Pas de doute : nostalgique est l'esprit qui a connu (et c'était pour le début des années sombres) un monde où la misère ne proliférait pas comme aujourd'hui. Stupide, enfantin et inconséquent est cet esprit, qui ne veut pas admettre que la logique mise en place désormais serait la seule acceptable.

    Les ouvreuses et les pompistes, donc, mais aussi les caissières. À dégager ! C'est un luxe que nous ne pouvons maintenant nous permettre. Penser aux modestes est une gabegie inconséquente, un renoncement aux gains de productivité. Un luxe, vous dis-je, qui porte atteinte aux aspirations d'un autre luxe, celui promu par les rois des actions, des dividendes, des stock options, du ratio maximum. Un luxe humain qui blesse cet autre luxe, le luxe morbide et facile, de mauvais goût dont les capitaines d'industrie pseudo esthètes, les spéculateurs arrogants, les magouilleurs financiers, les footeux à la tête pleine d'eau et les comédiens à multiples passeports sont les figures emblématiques.


    Photo : Jean-Philippe Poli

     

     

  • La gauche libérale (I) : le mariage pour tous

     

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    Le sociétal, comme on dit, n'est pas le social, moins encore le politique. Cela pourrait l'être, d'une certaine manière. Être un élément du politique. Encore faudrait-il qu'il y ait une véritable politique. Et lorsque moi-président est élu en mai, sur la base qu'avec lui (entendons : à l'inverse de celui dont il va prendre la place), tout sera différent, que la gauche vient au pouvoir pour vaincre le seul ennemi qui vaille, l'invisible et si puissante finance, c'est un miroir déformant du politique qu'il projette aux yeux de l'opinion. Opinion qui y croit, qui va voter massivement (quand même...), qui chante le dimanche soir, et qui sent, dit-on, que l'air est soudain devenu respirable.

    Si nous n'avions pas à payer le prix de cette escroquerie (et je la paie, moi, bien moins que d'autres...) on pourrait en rire mais la nudité-nullité de la pensée au pouvoir est telle qu'il lui faut absolument se battre sur des détails, sur des effets d'annonce. C'est l'utilité du sociétal. L'affaire ne serait pas nouvelle (la défense de l'école privée, le CIP, le PACS,...), dira-t-on. Si, pourtant...

    La gauche qui est désormais au pouvoir est une droite de rechange. La droite qui doit se charger des besognes libérales dont la droite visible ne peut s'acquitter. Et cela pour deux raisons : parce qu'une partie de son électorat n'en voudrait pas (ceux que la doxa qualifiera de cathos, fachos, réacs...), parce qu'elle risquerait, cette droite, de voir débouler dans la rue des manifestations qui ne seront pas organisées par une base de «gauche» face à un gouvernement qu'elle a aidé à porter au pouvoir. La gauche est une droite de rechange, dis-je, c'est-à-dire qu'elle s'est fondue dans le moule libéral, qu'elle en a adopté les principes fondamentaux, au-delà même de ce que représente, et c'est un beau paradoxe, la droite classique, conservatrice. Pour l'écrire autrement, la gauche est aujourd'hui économiquement plus à droite qu'une partie de l'opposition qu'elle fustige...

    Prenons le mariage pour tous. Laissons de côté, même si cela a son importance, l'effet neutralisant du débat qui se déploie à ce sujet. La vive polémique a son importance en ce qu'elle est un agent masquant d'une politique qui suit à la trace (et qui ira plus loin, c'est certain) celle menée par Sarkozy. Était-il urgent de débattre sur le droit des homosexuel(le)s à se marier ? Etait-ce intelligent que dans la torpeur de l'été on décide de mettre en avant cette énième proposition moi-président, quand celui-ci avait déjà renié des engagements plus lourds, à commencer par le traité budgétaire ? Certains diront que non, évidemment, et ils ont raison, d'une certaine façon. Ils ont raison si l'on se place du point de vue des impératifs économiques de crise (1), si l'on se place sur le seul plan de la réactivité gouvernementale face à une situation d'urgence. En revanche, il est tout à fait logique que la gauche se précipite sur cette question, quand elle a entériné tout l'appareil idéologique de l'économie libérale. Il lui reste à faire le travail sur le plan sociétal, justement.

    La transformation fondamentale de l'ultra-libéralisme, au regard de sa forme plus ancienne, est le glissement progressif de l'économie dans toutes les sphères de l'espace social et individuel. C'est faire que tout soit monnayable, que tout puisse entrer dans des rapports d'intérêt transposables sur le plan d'un échange financier. C'est là qu'intervient une nouvelle définition de la liberté. Celle-ci n'est plus constitutive d'une construction individuelle, sur un plan philosophique (pour faire court), accréditant l'idée d'une possible émancipation des personnes ; elle est un signe, comme les objets sont des signes (pour reprendre Baudrillard). La liberté fait signe, et en tant que telle, elle est soumise à la loi des signes qui, en territoire libéral, impose sa conversion en acte économique.

    Le mariage pour tous doit se concevoir comme un acte faisant progresser l'activité économique libérale d'un degré de plus. Le problème n'est pas tant de placer chacun sur un pied d'égalité au nom du droit de s'aimer (2) que de poser les bases d'un droit à la procréation par assistance médicale, ce qui revient à créer un marché de mères porteuses (3). On peut nous emballer l'affaire sous les mots de l'amour (belle blague ! Depuis quand le mariage est affaire d'amour ! Il suffit de lire le Code civil pour se convaincre du contraire. C'est un contrat...), il ne faut pas être dupe. Le mariage pour tous est l'ouverture vers les dérives mercantiles mettant en jeu des enfants, que des couples ayant les moyens pourront s'offrir. C'est la possibilité de monnayer la grossesse. Sur ce point, Pierre Bergé a eu l'heureuse bêtise de formuler de manière cinglante l'enjeu du débat, quand il déclarait le 16 décembre dernier :

    "Nous ne pouvons pas faire de distinction dans les droits, que ce soit la PMA, la GPA ou l'adoption. Moi, je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l'usine, quelle différence ? C'est faire un distinguo qui est choquant."(4)

    Le propos a choqué. On peut comprendre, mais ce serait une grave erreur de l'attribuer au débordement d'un esprit atteint de sénilité. Ceci dit sans ironie. Ce propos est en fait le dévoilement d'une conversion radicale de la gauche à cette logique de marché jouissif, telle qu'en parlait déjà Fredric Jameson quand il envisageait les transformations culturelles du capitalisme tardif. Et sur ce plan, certains ont acquiescé plus vite que d'autres aux débordements du libéralisme hédoniste. Le mariage pour tous est le fruit d'un lobbying gay parisien, de gauche, forcément de gauche, qui, plutôt que de s'interroger sur ce qu'est la vraie homophobie (ce qui lui demanderait de reconsidérer les concepts de classe à l'aune de la relégation sexuelle (5)) veut à la fois la conformité pour jouir du possible (avoir des enfants) et la différence pour jouir tout court. Rappelons à cet effet que la jouissance est un terme de droit (avoir la jouissance d'un bien), et c'est bien de droit qu'il est question ici, et d'un droit qui à un coût.

    Or, et c'est un fait économique, une certaine gentry homosexuel a les moyens de faire face à ces dépenses médicales ; elle a les moyens de louer un ventre, de négocier la gestation (n'est-ce pas charmant) (6). L'ultra-libéralisme a le devoir de trouver encore et encore des marchés. Il peut le faire en mettant en marche deux éléments complémentaires : les ressources de la technologie et la promotion, sous des formes trompeuses, de la liberté individuelle. L'indifférenciation sexuée, la substitution du genre au sexe, cette récupération post-soixante-huitarde des revendications pseudo-libertaires ne sont que des stratégies pour élargir le champ d'investigation économique (7). 

    L'élargissement de l'économie à toutes les sphères possibles a de plus grande chance d'aboutir lorsque tous les principes millénaires et les puissances qui essaient d'en limiter les effets sont mis à mal, sont ridiculisés et voués à n'être plus que balivernes. C'est bien pour cela, notamment, que les partisans du mariage pour tous se sont acharnés comme jamais sur l'église catholique, sur les cathos. Ils ont bien compris que l'enjeu était de taille (8).

    Pour ce faire, il faut des gens capables d'enjoliver le changement, de proposer le progrès (sans dire de quoi il retourne vraiment) contre la réaction, de promouvoir la liberté contre l'oppression, de brandir l'étendard du respect contre le drapeau noir de l'intolérance. C'est la logique du plus. Le mariage pour tous est un plus, et le plus ne peut être que bon. Et le bon, parce que l'histoire a été ainsi écrite, ne peut être que de gauche. C'est au nom de ce diktat progressiste qu'une philosophe de salon, une dénommée Beatriz Preciado, ci-devant directrice du Programme d'études indépendantes musée d'Art contemporain de Barcelone (Macba) éructe initialement dans Libération du 15 janvier sur les contestataires :

    "Les catholiques, juifs et musulmans intégristes, les copéistes décomplexés, les psychanalystes œdipiens, les socialistes naturalistes à la Jospin, les gauchos hétéronormatifs, et le troupeau grandissant des branchés réactionnaires sont tombés d’accord ce dimanche pour faire du droit de l’enfant à avoir un père et une mère l’argument central justifiant la limitation des droits des homosexuels." 

    Le lecteur appréciera ces raccourcis magnifiques et le vocabulaire. L'hétéronormatif est splendide : une manière d'avilir l'hétérosexualité en la faisant passer pour une banalité petite bourgeoise, un conformisme pisse-froid, une sordide obéissance à la logique procréatrice. Mais d'apprendre qu'elle est proche des queer culture et qu'elle est la compagne de Virginie Despentes m'éclaire, sans me rassurer : je sais depuis quelque temps déjà que les révolutionnaires en chambre sont les pires compagnons d'armes de l'horreur. (9)

    La boucle est bouclée.

     

     

    (1)Quoique ce que j'écris là soit un peu biaisé puisqu'il est faux de dire que nous sommes en crise. La crise est un moment, l'acmé d'une situation qui s'est développée, un moment décisif. Or nous sommes depuis près de 40 ans en crise. Tout simplement parce que c'est l'ordre même du monde soumis à un économisme croissant et destructeur. Ceux qui pensent qu'un jour quelqu'un nous en sortira se leurrent. Il faudrait alors repenser la totalité du développement. La dégénérescence du système, et la mort politique, économique et sociale qui en résultera, violente, impitoyable, aura eu raison de toute les jugements.

    La krisis grecque était l'acte de trancher devant une situation confuse et incertaine. On voit bien que la confusion et l'incertitude sont, paradoxalement, le fondement d'une économie ultra-libérale, fonctionnant sur la précarisation des acteurs et le flottement des situations...

    (2)Auquel cas, n'en déplaise aux plus audacieux : il faudrait reconnaître à deux adultes (un frère et une sœur) le droit de se marier. Le mariage n'est donc pas pour tous, en dépit de son appellation marketing pour ne pas dire qu'il s'agit d'un mariage homosexuel.

    (3)Pour couper court à toute critique sur ce point, je précise que je suis contre les procédures de procréation assistée, qu'elles soient destinées aux hétérosexuels ou aux homosexuels. Sur ce plan, la science se doit d'avoir des limites et l'individu se doit de concevoir que son bon plaisir n'est pas tout.

    (4)PMA : procréation médicalement assistée

    GPA : gestation par autrui

    (5)Dans les banlieues par exemple, ou dans l'espace culturel maghrébin, où l'homophobie est tenace. Mais il lui faudrait, à cette côterie, penser l'Autre dans sa diversité problématique, le comprendre, l'affronter, débattre avec lui, et ne pas le voir seulement comme jouet d'une bonne conscience. Il lui faudrait quitter ce côté gidien qui ne la lâche pas : l'exotisme de l'enculage est une philosophie méprisable...

    (6)Car c'est une ficelle grossière que de découpler (!) mariage pour tous et PMA. À partir du moment où le mariage homosexuel est posé comme l'égal du mariage hétérosexuel, il n'est plus constitutionnellement possible de limiter les droits du second par rapport au premier. Tout étudiant de licence de droit le sait bien...

    (7)Le cri des hirsutes de 68 « il est interdit d'interdire » est, comme c'est étrange !, un programme que ne désavoueraient pas les tenants d'un marché libre, capable de régler de lui-même les conflits.

    (8)Ce qui explique d'ailleurs les attaques violentes contre les évêques, quand, par ailleurs, on ménageait les autorités musulmanes (le recteur de la mosquée de Lyon avait précédemment manifesté...)... Sans doute, parce que cela aurait mis en porte-à-faux les tenants du différentialisme et du droit-de-l'hommisme.

    (9)Qui se ressemble s'assemble. J'invite donc le lecteur à la délectation (soyons kantien...) des œuvres (?!) littéraires et cinématographiques de Virginie Despen

    Par ailleurs, j'entends, en même temps, la complainte de cette Preciado. Elle a le précieux dans son nom, et elle y croit. Et croit sans aucun doute que le libéralisme de mœurs espagnol est une manière de conjurer le sinistre héritage franquiste. Mais elle devrait savoir, si elle avait un tantinet de cervelle, que l'escalade de la négation pour abolir un régime abject (ce que fut le franquisme) est justement le meilleur moyen de le réhabiliter, de gommer en lui la caricature qu'il fut, de donner à ses nostalgiques les moyens de leur retour politique. Elle devrait, en plus, s'interroger sur le fait que les pays catholiques les plus permissifs sont ceux qui ont subi la crise libérale la plus sévère, à commencer par l'Argentine. Mais penser le politique autrement que par le prisme du cul, de la chatte et de la bite est une chose fort difficile pour certain(e)s intellectuel(le)s soi disant émancipé(e)s...

     

     

    photo : Antoniol Antoine /SIPA


     

     


     

  • Très loin après la virgule

     

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    Ce sont de vieux souvenirs d'école, du temps des maîtres qui sentaient encore le hussard républicain, du temps de l'encrier, du buvard, de l'ardoise, de la petite éponge qui finissait par puer horriblement, des contrôles redoutés de calcul mental et des divisions après la virgule, quand on posait six, qu'il y allait quatre, qu'on retenait trois et qu'il fallait donner le résultat au dixième, voire au centième supérieur. Maintenant, les choses sont tout de même plus simples : la calculatrice, qui vous épargne toutes ces souffrances.

    Ce que nous avons conservé de ces exercices fastidieux nous sert parfois, rarement, mais parfois. Par exemple : vous êtes à une terrasse et vous lisez dans un journal que la décision des Sages du Conseil constitutionnel, de retoquer la taxation à 75 %, sauve le football professionnel français d'un exode terrible. Ter-ri-ble ! Puisqu'on vous le dit ! Parmi les 1500 qui se seraient mangés l'impôt confiscatoire, 100 footballeurs ! La Ligue 1, passionnante, brillante et survitaminée au qatari et aux investisseurs avides de la baballe, a failli tomber dans une médiocrité désolante, faute d'avoir les cadors dignes d'un pays comme le nôtre ! On ne remerciera jamais assez Jean-Louis Debré, Michel Charasse et leurs acolytes. Alleluia !

    À votre terrasse, vous prenez votre note (un allongé et un jus d'abricot) et au verso, avec votre éternel stylo plume, vous rappelant, à trois fois rien près, que la population active française, c'est 27 millions d'hurluberlus comme vous, vous vous lancez dans des calculs proprement eisteiniens.

    Lesquels vous apprennent que 30 footeux par clubs de Ligue 1 x 20 clubs, cela nous fait environ 600 gugusses... De là, il ressort que 100 divisé par 1500 = 6,6 %. 6,6 % des menacés fiscaux sont des footeux. Ces footeux représentent 600 divisé par 27 millions = 0,003 % de la population active.

    6,6 % d'un côté, 0,003 % de l'autre. Je ne sais pas si les chiffres parlent d'eux-mêmes, vraiment pas, mais devant ce ratio de 1 à 2000 calculé à la louche, on regrette d'avoir des restes d'école primaire et on se commande un martini blanc, sans glaçon, histoire de ne pas désespérer, tout en se disant que si les Français, à commencer par les classes populaires, acceptent cela, en justifiant que les footeux ont une carrière très courte, les mêmes Français qui traquent le profiteur d'un demi-euro, le resquilleur du bus, et jugent avec sévérité les prétendus privilèges (fantasmés souvent) de leur voisin, on n'est pas sorti de l'auberge.


    Photo : Charles Platiau/Reuters

  • Le Métier

     

    Ce qui agace profondément chez Giono, et en particulier le modernisme de gauche qui voit en lui une figure transcendante du cul terreux n'ayant jamais voulu renoncer à Manosque, c'est, me semble-t-il, l'hommage perpétuel qu'il rend certes à la terre et surtout aux hommes et à leur assiduité à vouloir perpétuer les usages, les manières de faire, les traditions et les techniques. Il est pour ceux-là, qui voient en la modernité, en sa version post- ou hyper-, l'accomplissement de l'humanité dans son essence : en effervescence, en activité, en éveil, perpétuels, une humanité brownienne, en somme, il est pour ceux-là l'ennemi idéal.

    Il n'a rien compris à la vitesse, dira-t-on, comme si l'aspiration futuriste, par exemple, pouvait servir de modèle à une modernité bien comprise ; il voulait la lenteur, que l'on assimile désormais à une forme larvée d'immobilité, de bêtise et de mort. C'est bien sûr un peu facile. Cet écrivain avait senti, au delà de son effroi devant l'accélération des mouvements de population, l'horreur d'un déracinement fatal aux petites gens venues s'entasser dans des villes qui les broient, que finalement une certaine tradition, un certain usage des choses et de la vie allaient disparaître.

    Les pages, nombreuses, qu'il consacre au travail quotidien des paysans et des artisans, et particulièrement à ces derniers, nous ramènent non seulement à la lenteur de la tâche à accomplir mais à son apprentissage proprement laborieux. Il faut une écoute des choses, une manière de les apprivoiser. C'était cela, un métier : une inscription dans la durée, une patine douce, parfois amère aussi, pas d'angélisme, qui faisait de chacun un apprenti puis, si on parvenait à la maîtrise des choses et des techniques, un maître. Le métier était une transmission qu'on avait parfois voulue, à laquelle on s'était plié aussi, mais que l'on faisait sienne. Le temps se perdait mais l'on gardait la main.

    J'étais encore enfant et la question qui se posait était d'avoir un métier. J'en avais une appréhension très approximative mais je constatais que tout cela ne se décidait pas à la va-vite. Peut-être étaient-ce les derniers éclats des Trente Glorieuses mais on pensait à ce qui allait être mis en œuvre et l'on pouvait aimer ce qu'on faisait, justement. La crise a détruit le métier ; elle l'a remplacée par l'emploi. Et en même temps que l'un se substituait à l'autre, la vitesse prenait ses aises. Il fallait progresser, courir avec/derrière la modernité. On décrétait l'obsolescence accélérée des choses, et la caducité elle aussi accélérée des savoirs. Derrière cet implacable principe de réalité se préparait le mouvement de régression sociale dont les effets sont visibles chaque jour. Les hommes vaudraient peu. Ils courraient après un emploi. Être employé : double sens par quoi la détermination sociale signe la passivité (et donc la vulnérabilité) de l'individu. Et plus on s'enfonce dans cette conception de l'existence sociale et professionnelle, et moins l'existence entière garde sa valeur et son avenir.

    Il est toujours possible à ceux qui prônent le mouvement de faire la morale à ceux qui le critiquent et à les assimiler à d'affreux épouvantails. Ils semblent pourtant ignorer que cette réticence ne tient pas à une haine intrinsèque pour le progrès et le changement mais à l'observation de ce que coûte  aux hommes désormais cette course perpétuelle. Le combat semble perdu, parce qu'il s'agit bien d'un choix de civilisation. Il n'est pas question de se maintenir dans un passé idyllique, magnifié de toutes pièces, et de ne pas voir qu'aliénation à la terre et au lieu il y a aussi dans cette passion pour la lenteur et la durée. Mais cette aliénation a au moins le mérite de laisser à l'être une part de lui-même, ce dont le taylorisme et ses continuations l'ont privé..

    Alors on se console avec Giono, le rétrograde Giono, et la première page de L'Eau vive (publié en 1943 mais le texte date de 1930).

    "Dans mon pays, il y a encore de beaux artisans.

    Je ne veux pas parler de ceux qui ont des métiers de luxe "ou pour ainsi dire", comme ils disent, mais des humbles : le rémouleur, le potier, le boucher des petits villages, le fontainier, le cordonnier.

    Le métier est dans leur chair comme du sang. Ils ne peuvent s'en séparer sans mourir. On en a vu qui, après l'heureux afflux d'argent, restaient, bras ballants, regards humides devant l'établi d'un confrère. Ils s'approchent, prennent les outils dans leurs mains, les caressent, les soupèsent, discutent, et, sentant le temps qui coule, ne plient le dos pour s'en aller qu'à la dernière minute et avec de grands soupirs. Oh, d'ailleurs, ils sont vite morts, ou bien ils reviennent à leur métier et ça fait alors de ces vieillards vermeils, souples comme des osiers, avec cent ans de lumière dans les yeux.

    Tout, dans leurs gestes, dans leurs paroles, dans leur leçon de voir la vie, de l'interpréter, est inspiré par le métier. Le fontainier vous racontera une histoire : il ouvrira pour vous dans l'herbe des faits tous les ruisseaux qu'ouvrirait la fontaine ; le boucher vous racontera la même histoire ; elle souffrira sous son couteau de conteur ; elle montrera ses entrailles ; elle aura le hoquet de l'agneau"


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  • Pouvoir d'achat (groupe nominal)

    Voici l'un des astres les plus brillants de la politique contemporaine, l'étoile du Berger d'une société qui s'achève dans la pure consommation. S'achève, oui, car je crains que, derrière ces esprits absorbés dans l'avoir, il n'y ait une course vers l'abîme autrement plus périlleuse que celle évoquée par Dominique Fernandez lorsqu'il écrivait sur le Caravage.

    Le pouvoir d'achat...L'expression demande une réflexion, non pour en définir le sens strict sur le plan économique, mais au niveau de la charge symbolique induite par le choix sémantique. Cet objet de référence, que l'on trouve aujourd'hui dans la bouche de tous les leaders politiques et syndicaux, est en effet l'alpha et l'omega de la réussite. Les uns veulent le maintenir, d'autres le faire progresser. Aucun ne nous précise à quoi il renvoie, ce qu'on peut en faire, s'il nous rendra plus heureux, s'il est le signe d'une société plus juste. Rien de tout cela. En revanche, tous, en le magnifiant de la sorte, désignent volontairement ou par défaut, la ligne directrice de la société dans laquelle nous vivons. Ils renvoient le bonheur ou son approche à deux éléments déterminants.

    Plus que le politique ou le social, il s'agit de poser que le vrai pouvoir est dans l'économique désormais, que toute réussite personnelle tient dans notre capacité à intégrer le circuit commercial, à en être un acteur certes anonyme mais efficace sur le plan de la consommation. Le rappel constant de ce paramètre dans les discours contemporains marque l'adhésion, y compris des "forces de contestation", à un modèle où ce qui tient lieu d'existence est jugé à l'aune d'un mouvement participatif à la grande foire mondialisée des produits et des biens. La course au pouvoir d'achat n'a évidemment rien de révolutionnaire mais signe la volonté de chacun, pauvres compris, d'entériner le système, de le valider en apportant sa pierre à l'édifice du consumérisme jusqu'au boutiste, dans l'esprit d'un après moi le déluge magistral.

    Plus que les conditions mêmes du travail, du droit social (mais il faut s'adapter. Cela aussi, on nous le répète. Il faut être moderne...), de la défense des miséreux, du partage des richesses, le pouvoir d'achat, comme borne de la pensée, fait office de sésame vers un futur meilleur. C'est le deuxième élément essentiel : le pouvoir d'achat, contrairement à ce qu'on pourrait croire, n'est pas un idéal collectif. Il est un indice économique qui ne prend pas en compte les conditions de vie propres à chacun. Preuve en est que les statistiques vous diront que le pouvoir d'achat des Français a progressé depuis 25 ans. Donnée abstraite, nous semble-t-il, eu égard aux difficultés croissantes rencontrées par beaucoup pour vivre le quotidien, boucler les fins de mois, supporter le stress d'un précarité galopante et les déchirements d'une société qui a rendu le rêve spectaculaire, tous les soirs sur les chaînes de télévision.

    Il y a donc une ironie certaine à définir ce pouvoir-là comme essentiel parce qu'il qualifierait une liberté fondamentale du sujet, quand, justement, il caractérise une aliénation imparable de ce même sujet. Une société qui n'a que cela à offrir est proprement mortifère car il est illusoire de croire que c'est en accroissant le pouvoir d'achat de 1 ou 2% l'an que les plus pauvres vivront mieux. On les a tellement conditionnés, tellement travaillés par un marketing ciblé, tellement embrigadés dans le branding de toutes sortes, que le si peu qu'ils récupèrent ne sert qu'à combler (pour être plus précis, essayer de combler) la frustration produite par un monde où l'objet, l'achat, la possession sont les maîtres. Et, sur ce plan, rien ne peut atténuer la soif d'avoir : il suffit d'observer la soumission de toute la jeunesse, banlieue ou beaux quartiers, aux impératifs des signes extérieurs de richesse pour constater que nous avons atteint un stade de non-retour.

    C'est d'ailleurs à partir de ce constat que l'on regardera comme caduques les programmes électoraux de 2012 (mais l'histoire remonte à bien plus loin. Mai 68, une fois démystifié l'angélisme baba-cool, est un cimetière majeur de la pensée alternative). Le travailler plus pour gagner plus de Sarkozy n'a pas été attaqué sur le fond mais  sur l'inefficacité des procédures qui ont été mises en œuvre pour en faire une réalité. Question de forme, tout au plus. Ce qu'on nous annonce est du même tonneau. Fussent-ils d'extrême-gauche, ils ont la même logique : un consumérisme permanent, plus ou moins assumé, sur lequel se greffe la variable de la répartition des richesses, ce que certains appelleront une politique plus juste. Or, ce n'est pas de cette manière que l'avenir peut se dessiner autrement que comme une catastrophe économique, politique, écologique...

  • Gérer (verbe)

    Gérer. Le maître-mot de l'homme postmoderne. Verbe si emblématique qu'on peut désormais l'employer dans sa forme instransitive : "Lui, tu vois, il gère". Assurément l'économisation du vocabulaire traduit une évolution sociologique par laquelle s'effectue un transfert progressif dans les comportements des principes organisant l'espace professionnel. La gestion, au départ considération comptable, a envahi les rapports humain au sein de l'entreprise, en particulier quand elle est imposante. Le directeur du personnel est devenu le D.R.H.. L'individu est devenu une ressource. Cela aurait pu s'entendre de façon plutôt positive, si on l'avait envisagé comme un appui vivant, une source. Mais la métaphore désignant les employés (peu importe leur place dans la hiérarchie) a réduit ceux-ci à l'état de matière, de matériau consommable et jetable. On les prend ; on les use ; on les jette ; on les gère (et si le mot n'était pas facile : on les digère).

    Gérer est le principe génératif de la société contemporaine. Il faut bien sûr gérer sa carrière, mais ce n'est qu'une partie de l'entreprise personnelle. Et gérer concerne désormais la famille, les relations professionnelles, l'éducation des gamins, la crise d'adolescence, les amours, la crise du couple , les histoires de cul, son emploi du temps, ses temps forts, ses temps faibles, ses angoisses physiques, ses variations pondérales, ses performances au cours de gym, au club de sport, ses phobies, etc.. Cela occupe toute la place et recouvre les domaines public, semi-public, privé, intime. (1)

    Gérer, dans ces conditions, a deux conséquences majeures. En premier lieu, il implique que l'individu se place dans une perspective de négociations, de compromis pour que tout puisse se passer avec le moins d'affrontements possibles. Il s'agit bien d'engager des stratégies afin que les heurts, les souffrances, les conflits, les accrochages, tout ce qui entacherait une vision idéalisée des rapports à autrui (et, dans une certaine mesure, à soi puisque l'incapacité à gérer serait un signe de faiblesse). Rapports idéalisés dont on a vu la traduction, par exemple, dans le système d'un enseignement livré à des pédagogistes fous, à des post-soixante-huitards délirants (dont la figure de proue est Philippe Meirieu), ces tenants du "apprendre à apprendre" qui posaient en principe l'égalité du maître et de l'élève et l'échec du seul ressort du maître, incapable qu'il aurait été de gérer la singularité des chers têtes blondes (ou brunes, ou rousses, à mèches, à rastas, à crête...). Il fallait gérer, paraît-il. De même dans l'éducation familiale. Autre délire de l'enfant-roi et de la "tyrannie juvénile" (2) dont on voit les effets sur des parents à la fois délégitimés, faibles et culpabilisés (3).

    Cette brutale inconséquence déshabille les pouvoirs intermédiaires qui permirent longtemps de constituer l'individu pour le laisser à moitié nu, dans ses revendications d'autonomie avec lesquelles il se leurre. Car gérer, s'il induit la destitution de l'adulte, prépare l'adolescent (ou le jeune (4)) à être la victime future (mais un futur proche, très proche) d'un système libéral où le revers de la "gestion de soi" est, imparablement, la médiocrité tapie au creux de ses erreurs. Or, qui peut se garantir de la maîtrise absolue ?

    C'est là qu'apparaît la deuxième conséquence. Puisque tout se gère, que tout doit se gérer, qu'il s'agit même de l'efficience remarquable, plus que l'épanouissement de soi, plus encore que la construction d'une pensée critique, que celui qui n'est désarçonné par rien est le meilleur d'entre tous, il est prévisible que cette situation, demandant tellement d'énergie et d'attention, finisse par vider l'individu de son contenu propre. On peut déjà en voir les effets sur ces parvenus des classes moyennes supérieurs, ces cadres-hussards gris de la course à la croissance. Jusque dans les années 90, ils nous chantaient, dans un but assez clair de distinction d'avec la classe ouvrière, la vertu de la cutlure d'entreprise, d'un engagement de tous les instants, d'un esprit de compétition. Ils géraient et cela les rendait beaux et forts. Mais le flux s'est tendu. La gestion est paradoxalement devenue de plus en plus violente. Ils commencent à en payer le prix et à tous les niveaux : début d'une faillite sociale, désillusion personnelle, épuisement physique et psychique. Tout ce qui attend les générations à venir. Il va leur falloir gérer. Gérer à perte, bien sûr, tant le système qui s'est mis en place et se perfectionne les appauvrira, les précarisera.

    Le but d'une telle logique est de transférer sur l'individu toute la charge conflictuelle qu'il aura à résoudre, alors même que la société néo-libérale organise sur le plan macro-économique une férocité de tous les instants.  À ce jeu-là, et lorsqu'on y ajoute l'atomisation d'une sociabilité isolant de plus en plus chacun d'entre nous, il est certain que nous serons toujours en déficit psychique et marqués par un sentiment étouffant d'échec, broyés par un système qui fonctionnera d'autant mieux qu'il nous ignorera le plus possible. (5)

    (1)Mais cette confusion ne doit pas étonner à partir du moment où les nouvelles formes de reconnaissance individuelle (la télé comme réalité, la vie mise en scène comme réalité) a accéléré l'indifférenciation des plans.

    (2)Ce qui, au passage, est la formule choisie par Platon pour définir le devenir démocratique, dans La République.

    (3)Ce qui nous vaut, alors, les grandes phrases d'une démagogie droitière sur les parents devant payer pour la faute de leurs enfants.

    (4)"Le jeune" : mot sans consistance, pour une réalité indécise mais tellement utile en ces temps de démagogie politique.

    (5)Ce petit billet doit beaucoup à un texte remarquable et terrible d'Alain Ehrenberg, La Fatigue d'être soi, paru en 1998 et dont la lecture, certes rébarbative parfois, est indispensable.