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  • Front républicain (groupe nominal)

     

    Il y a quelques années, sur Off-shore, à propos de Ni putes ni soumises, je rappelai qu'une des façons de se discréditer tenait au fait qu'en matière sémantique il est toujours dangereux de prendre ou reprendre les mots de l'adversaire. Nous en avons la preuve en ces temps électoraux.

    Laissons de côté le cours historique, qui remonte à la fin du XIXe, du concept de front républicain, car ce serait biaisé la lecture actuelle, parce que seule l'acception contemporaine de l'expression parle à ceux qui en sont les destinataires : le corps électoral. En fait, selon un principe structuraliste facile à comprendre, un sens peut certes se donner intrinsèquement (la définition classique) mais aussi selon une articulation dans un espace culturel et politique déterminé. Pour ce qui nous occupe : une définition intrinsèque posera front républicain comme une stratégie politique des partis de gouvernement visant à contrer un parti d'extrême-droite. Or, ce n'est pas suffisant pour pouvoir en discuter, et la pertinence, comme stratégie, et la connotation, parce que cette expression n'est pas neutre.

    Revenons-en aux mots. Le front républicain est un leitmotiv de la gauche pour contrer le Front National. Voilà qu'apparaît le premier problème. Ce « concept » qui induit la distinction radicale de l'éventail politique avec le FN en reprend pour partie la même terminologie. Front contre Front. On aurait pu imaginer d'autres mots : digue, barrage, rempart... Sans doute est-ce pour dramatiser l'enjeu. Le front, c'est la bataille, la lutte, l'urgence et la mobilisation. On mène la guerre au FN. Il faut que tout le monde comprenne : les âmes diverses du pays doivent s'unir, n'être plus qu'un seul homme. N'empêche : il s'agit bien de reprendre le mot de l'autre honni, de se placer sur sa thématique radicale et de lui reconnaître une certaine légitimité. Si, donc, dans l'esprit de l'affrontement, il y a égalité, la différence ne peut se faire qu'ailleurs, à travers le choix de l'adjectif.

    Républicain/national. Bel antagonisme créé par ceux qui voudraient rassembler, et qui n'ont d'ailleurs plus que le mot républicain pour trier le bon grain de l'ivraie. Outre qu'un esprit avisé s'étonnera que certains puissent s'arroger le droit de décerner des brevets de républicanisme, sachant sans aucun doute sonder mieux que d'autres les reins et les cœurs (1), il trouvera un peu gênant que soient mis, de facto, en opposition la République et la Nation. Entre les deux il faut choisir. Dilemme...

    Poussons plus loin. Si le républicain est la réponse au national, c'est que le premier s'est ingénié depuis pas mal de temps à vouloir dissoudre ou discréditer le second. Le choix n'est pas, quand on y regarde de plus près, un hasard. La République, la Ve République, une fois de Gaulle rendu à Colombey-les-Deux-Églises, a vu se succéder des dirigeants enclins à vider la France de sa réalité et de son contenu au nom d'une Europe aussi abstraite en droits des individus (sinon à circuler pour favoriser le dumping social) qu'elle est concrète pour la finance. L'esprit républicain des contempteurs de l'extrême-droite n'a de républicain que la vitrine, car pour le reste, dans l'arrière-boutique (à la décoration bruxelloise), s'agitent les détricoteurs de l'Histoire, du roman national et du territoire. Leur souci est à la mesure des programmes scolaires qu'ils concoctent depuis le collège unique du sinistre Haby (pourtant de droite...) : fabriquer des orphelins serviles au service d'un capitalisme fou (2).

    Si front républicain il y a, il n'est pas le fait de républicains (3) mais d'européistes forcenés, de godillots mondialistes qui obéissent au doigt et à l'œil aux ordres du FMI, de la Trilatérale, de Bruxelles et des marchés financiers (4). Ils mènent bien une guerre mais pas celle que l'on croit. Ils n'invoquent pas la morale électorale pour ce qu'elle pourrait être : un combat fondé sur une crainte fasciste réelle. Ils fabriquent cette crainte pour en masquer une autre plus réelle : que leurs desseins technocrates, terroristes et authentiquement fascistes soient freinés. La meilleure preuve en est qu'ils suffoquent au nom de Hénin-Beaumont et applaudissent à celui de Svoboda, en Ukraine.

     

    (1)Faculté étrange de divination qui, pourtant, semble n'être qu'une façade puisque ces belles âmes ne vont pas jusqu'à interdire aux non-républicains le droit de fonder un parti, de se présenter aux élections et d'avoir des électeurs. Singulière tiédeur, mollesse coupable qui n'est pas très révolutionnaire (puisque la Révolution est leur totem...), à faire bondir Saint-Just, lequel répétait qu'il ne pouvait y avoir de liberté pour les ennemis de la liberté. Il faut dire que les ameuteurs (non pas les amateurs...) sont les premiers à tirer un certain bénéfice électoral de la montée FN.

    (2)Que les cocos cautionnent cela est à mourir de rire. Mais il est vrai qu'il faut bien manger et sauver les restes du communisme municipal.

    (3)À moins que le mépris pour le vote populaire de 2005 soit dans l'esprit républicain...

    (4)On lira avec délectation la tribune de Laurence Parisot dans Le Monde daté de ce samedi. De même qu'elle défendit il y a quelques mois Léonarda et les sans-papiers, l'ex-présidente du MEDEF s'engage en politique sur la question du FN avec une verve telle qu'on l'invite à se proposer pour prendre la place prochainement vacante de Jean-Philippe Désir, à la tête du PS. Les masques tombent...

  • Le profond

     

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    Ce qu'écrit Lévinas, quand "la question qui ? vise le visage" ;

    il nous faut accueillir l'œil, le nez, les pommettes, la bouche, le menton, pour se rassurer, pour avoir la certitude d'être ;

    et de l'effroi qu'il y a à le voir se soustraire, ou qu'il ne soit plus que traits de cire ;

    ton visage qu'il me faut car sinon j'aurais tant de mal à savoir qui je suis, moi ;

    et même si je peux, comme le creux de mon oreille intérieure entend ta voix, le ressusciter en fermant les yeux, je sais que c'est par lui, face à moi, que je sais ce que nous sommes ;

    ton visage m'inclut à ma propre finitude et la rend supportable ;

    et même si tu ne sauras jamais totalement qui je suis, comme je ne saurai jamais totalement qui tu es, il y a beauté à réduire ce mystère

    et sans doute est-ce pour cela, que de la mort je n'envisage toujours que la mienne...

     

    Photo : Paul Fusco

  • L'arbre et ses fruits

     

     

    politique,électinos,mensonge,manipulation,coup d'état

     

    1998 : Le foot en Révélation. Chirac et son orchestre invente la France black, blanc, beur, "surboum multiculturelle" (Ph. Muray) en guise d'idéologie politique

    2002 : La manipulation d'État. Les socialistes inventent le faux péril du faux fascisme.

    2007 : Le coup d'État permanent. Piétinant le non populaire à la Constitution, en 2005, le congrès, à Versailles, s'en remet à l'Europe libérale comme l'Assemblée en 40 s'en remet à Pétain.

    2012 : Le Narcisse rose. Pinocchio fait du Moi, je l'alpha et l'oméga de la pensée.

     

    Et dimanche, donc, le FN.

     

    Étonnant, non ? (comme concluait, jadis, Desproges sa Minute de monsieur Cyclopède...)

     

  • Dimanche, ouverture de la chasse...

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    Demain les urnes...

    Que le triomphe socialo-gauchiste, depuis trente ans, en matière municipale (seul Bordeaux semble refuser sa cure rose. Mais elle a Juppé...), soit parallèle à l'explosion des prix du mètre carré en centre ville en dit long sur la nature politique des élus des grandes villes hexagonales et sur l'hypocrisie des populations boboïsées qui votent pour eux. Trente ans de gains électoraux et d'inflation immobilière, et du rose, encore plus de rose, et encore moins de classe populaire...

    On peut regretter l'incurie de certains édiles, ou leur clientélisme. Que dire alors de ces Tartuffes trentenaires en sarouels, petites barbes et petits chignons, grands amateurs de shit, qui s'installent dans des endroits à 4000 euros le mètre carré, avec l'apport de père et mère ? Écolo-pacifistes, avec PEA à la banque, différentialistes dans un cadre hyper-protégé, végétariens bio et 4X4 de ville...

     

    Photo : Jean Gaumy

  • Retour de service...

     

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    Un article de Philippe Muray, de la fin des années 90, ridiculisait trente-et-un auteurs réunis par le journal Le Monde pour se dresser "face à la haine" (1). Beau programme philanthropique où la littérature (ou ce qu'on présente telle) s'en allait, bonne fille un peu simple pour le coup, du côté de la mise en garde et de l'engagement massif (comme il y a des armes de destruction du même genre). Consternant, n'est-ce pas ? Écrire le bien sur commande (car il n'est pas interdit d'écrire ce qui pour soi est le bien, à la manière d'un Claudel ou d'un Bernanos par exemple...), agiter ses feuillets en pancartes révoltées. Le crétinisme a de beaux jours devant lui et l'an dernier il fleurissait de plus bel sous la main d'Annie Ernaux qui voulait à peu près qu'on pendît Richard Millet haut et court.

    La lecture de Philippe Muray m'a donc ramené à la haine.

    Peut-on faire l'éloge de la haine ? Non. Pas plus que celui de la vérité, du mensonge, de l'amour, du doute, de Dieu ou du diable. Et ce serait plus encore ridicule aujourd'hui, quand nos temps ténébreux ont substitué à la morale une politique du droit individuel qui doit s'étendre jusqu'aux endroits ultimes de notre existence. Dès lors, si l'on veut bien se conformer à la terreur en poste, celle de l'affect et de la subjectivité combinées (2), il faut simplement réclamer le droit à la haine.

    Puisque la haine est un sentiment, puisque le sentiment est la matrice sans partage du moi contemporain, la haine est légitime, elle fait partie de mon droit inaliénable de Narcisse démocratique et il est attentatoire à ma liberté de me contredire sur ce point. Je ne vois guère ce que les droits-de-l'hommiste de la pensée pourraient trouver à y redire, à moins qu'ils ne soient à la fois juges et parties, discoureurs et policiers de la pensée, faux nez de la liberté et vrais godillots de l'encasernement soft...

    Est-ce être méchant homme que d'écrire cela ? Est-ce honteux que de l'humanité abstraite et éparpillée je me moque éperdument ? Est-ce être un barbare que de connaître le mépris et de ne pas vouloir s'en départir ? Que ne pas se soucier du bien-être pour tous ?

    Attaquer le droit à la haine revient à amputer autrui de son intériorité et de sa puissance créatrice.

    Et tout à coup, une idée : il y aura bien trente-et-un nouveaux couillons pour dire non à la haine, pour dire non à Poutine, invectiver l'âme russe (ce qui au passage nécessitera qu'on brûle et Dostoïevski et Tolstoï, chez lesquels on trouve tant de pages russes, très, très russes : gageons que les combattants de la haine savent faire des autodafés) et chanter la liberté du marché, de l'OTAN, d'Obama qui s'assoit sur le droit des peuples à l'autodétermination.

    Parce qu'on l'aura compris, le droit à la haine existe déjà : il est mondialisé et nous dirige sans vergogne.

     

    (1)Dans Après l'histoire, "Homo festivus face à la haine", en date de mai 1998.

    (2)Vous savez : tous les goûts se valent, sont dans la nature et ne se discutent pas.

     

     

    Photo : Florentine Wüest

  • À...

    À l'éclat bleu et jaune du vitrail sur le pavement  de la nef il semblait marcher sur l'eau, dans un soleil venant des profondeurs...

  • Frapper fort

     

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    Essaie juste de parier. De parier sur ce qui va en sortir, de tout cela. Même pas : sur ce qui pourrait en sortir. Ne tape même pas dans le registre du bien et du mal (quand du mal, tu sais, sort un bien, etc, etc, etc, si ce n'est l'inverse).

    Pense simplement au besoin que nous avons de ne pas nous reconnaître parfois. Tout n'est pas lisse. Il y a la chimie des précipités et l'inévitable

    des égouts. Les égouts.

    Cette grande architecture des tubulaires ici, qui pue, un peu comme toi, en tes luttes intestines.

    Ce que tu appelles : avoir des tripes, en mentant pas mal, je crois, parce que tu ne sais pas trop ce qui en sort. Tu paries, et parier, c'est juste essayer de parier.

     

     

    Photo : Arnaud Claass.

  • Les Provinciales

     

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    Il vit désormais à Cherbourg.

    On vient de lire une notice biographique, courte, à peine deux ou trois informations factuelles et les titres des quatre romans publiés quand le portrait se ponctue de cette étrange localisation dont on ne sait si elle est une invitation à rejoindre l'écrivain, -et l'on imagine les journées passées à errer dans Cherbourg, ce qui est la pire des situations parce qu'on s'en serait sorti s'il avait habité Saint-Geniez-d'Olt tant l'endroit est réduit : on aurait stationné comme un satellite curieux (curieux aussi pour les locaux s'interrogeant sur l'identité du gars qui fait suisse, et cinq Pastis, ça commence à compter), une photo discrètement glissée en marque-pages dans une édition anglaise de Feux Pâles de Nabokov, pour faire diversion), Cherbourg pire que Londres où le miracle de la rencontre faisait que l'affaire était perdue d'avance mais, au moins, on revenait après vingt ans d'absence revoir les Turner et la National Gallery, boire quelques pintes et trouver la confirmation qu'on déteste l'Angleterre. Mais Cherbourg, c'est à la fois trop grand et pas assez pour qu'on ne se croie pas une puissance insoupçonnée de détective. Ne jamais se laisser tenter par Il vit désormais à Cherbourg.

    Étrange détail qui peut aussi se lire comme un signe de refus. Il n'a pas choisi la vie parisienne. Il fait partie de la troupe provinciale de la littérature, qui conchie la mare germanopratine. L'homme qui écrit en vivant à Cherbourg est un original. À moins qu'on veuille suggérer que tout l'élan de son imaginaire, sa fantaisie sont d'autant plus remarquables qu'il n'a pas autour de lui un décor et une histoire qui donnent matière à.

    Autre possibilité : il a toujours vécu à Cherbourg, un peu comme Pessoa a vécu toute sa vie d'adulte à Lisbonne, et l'on s'en va feuilleter les œuvres dans le rayon, les quatre opus, mais manque de chance : deux ont une localisation floue, comme la France rurale un peu Sud, une troisième se trame à Barcelone et la dernière, la plus récente débute par un mort dans un train filant vers Wuppertal. Mauvaise pioche. Et de toute manière, on aurait dû le savoir, en lisant avec attention. Désormais : il vit désormais à Cherbourg. Il a longtemps voyagé puis un jour, la fatigue ou une rencontre amoureuse l'ont poussé à poser son bagage. Il connaissait Shanghaï, Quito, Perth, Izmir. Il ne faisait que passer à Paris. Un ami l'a invité à Saint-Lô (et pourquoi pas ?). Dans le wagon, il s'est retrouvé face à Jeanne. Il l'a trouvée très belle. Pas plus compliqué.

    On cherche sur Internet une photo mais rien ! L'homme de Cherbourg est atteint du syndrome Thomas Pynchon. Pas de trace, pas de visage. La recherche produit donc l'inverse de l'espéré : plutôt que d'éteindre le mystère elle l'amplifie. Va-t-il falloir que l'on se mette en train, vraiment ?

    On regarde le temps de la semaine à venir. Il pleuvra sur le Cotentin. On se fait une idée d'une journée à écrire, alors qu'il tombe des cordes, à Cherbourg. La visibilité maritime est réduite. Il est presque cinq heures. Il a peut-être des enfants. Il a trente-huit ans. C'est possible. Aller jusque là-bas pour comprendre ce qu'il écrit est freiné par la pesanteur météorologique. Il vaut mieux commencer par lire ses romans et si jamais la rencontre avec les mots soulevait une émotion si forte qu'il faille à tout prix rencontrer l'auteur, on pourrait toujours remuer ciel et terre pour venir à Cherbourg et lui demander un éclaircissement : il vit désormais à Cherbourg, vous trouvez que c'est une belle phrase ?

     

    Photo : Jim Kazanjian

  • Nimby (II)

    La contradiction gouvernementale à propos des prétendants djihadistes hexagonaux alors même qu'on soutient les mouvements luttant contre Bachar Al-Assad s'illustre aussi dans un autre espace politique, à l'Est, dans l'affaire ukrainienne, avec une semblable vulgarité nauséabonde. 

    Les mêmes qui nous bassinent jour après jour sur le danger fasciste de Marion Le Pen, sur l'anti-républicanisme des électeurs frontistes, sur les réacs cathos et tout le toutim, les mêmes se félicitent des événements de Kiev et du reversement de Ianoukovych et de la montée au pouvoir de mouvements d'extrême-droite néo-nazis, comme Svoboda, lesquels feraient passer Le Pen et consorts pour des centristes. Il faut croire que, là encore, ce qui ne vaut pas pour nous peut servir chez les Ukrainiens. Cela satisfait le grotesque Fabius et le gouvernement qu'il représente.

    Deux explications possibles :

    1-l'agitation autour de l'extrême-droite française est une vaste fumisterie.

    2-la soumission aux diktats américains est telle que la gauche française est prête à tout accepter, même les pires ignominies de ceux qui regrettent le IIIe Reich.

    Le gouvernement prouve là qu'ils ne détestent pas autant qu'il le dit les chemises brunes. Mais il faut dire qu'il existe une tradition historique : le fascisme a partie liée avec la gauche. 

    En attendant, on pourra lire le billet de Bertrand Redonnet qui, aux confins de la Pologne, éclaire notre lanterne.

    On lira aussi le papier de Pascal Riché dont la médiocrité intellectuelle réussit un exploit délicieux : en voulant tordre le cou à l'idée que l'extrême-droite ukrainienne s'installe, il ne fait que renforcer cette évidence...

  • De toi à moi

    On vint le chercher pour lui dire que tout s'était admirablement bien passé, que la mère et l'enfant se portaient au mieux. Ils n'attendaient plus que lui.

    Elle était épuisée et sourit à peine. Il l'embrassa délicatement et pour la première fois tourna son regard vers le nouveau venu, à la fois inconnu et pourtant déjà nommé, par eux.

    Ce n'était rien qu'une minuscule fébrilité, une rougeur poings et yeux fermés dans du linge blanc.

    Les heures s'écoulèrent, presque en silence, à trois, jusqu'à midi où il se résigna à annoncer à tous la nouvelle. Il y avait en lui une certaine répugnance à se confronter à ce moment. Il avait suffisamment connu la paternité des autres pour savoir ce qu'elle pouvait engendrer de lieux communs, de phrases creuses et d'avis contradictoires. Il savait que l'attendait la litanie des enthousiasmes. Tout y passerait : l'éclat de la jeune mère, la beauté de l'élu, les gazouillis débiles, le désir de le regarder de plus près, de le prendre dans les bras, si c'est possible, le jeu des ressemblances.

    Plus que tout, et cela ne manqua pas d'arriver, non pas de sa mère, au loin, qu'il eut quelques minutes seulement téléphone, mais de la tante Pascale, émue aux larmes, il redoutait qu'on lui dît que son père aurait été fier.

    -Ton père serait fier.

    Ainsi glosa l'idiote. Il en profita pour répondre, mais ce n'était pas répondre, qu'il avait besoin d'en fumer une, la première et, comme une pirouette de plus, ajoutant : la dernière.

    Il descendit l'escalier à toute vitesse, se retrouva sur le trottoir.

    Il serait fier.

    Pourquoi ce besoin de rappeler l'absence, cette impudeur à vouloir susciter l'émotion, cette bêtise à ne pas comprendre qu'il n'avait pas, lui, relier la naissance de son fils à la fierté imaginaire de son père mais qu'en servant le premier doucement dans ses bras il avait rendu au second l'hommage secret du quotidien de la présence perpétuée. Il n'y avait de part et d'autre ni grandeur, ni fierté, parce que ces évaluations ne concernent plus ni les disparus ni ceux qui ne les oublient pas (et donc n'en parlent jamais avec légèreté) mais une communion, au delà du crématorium et du conditionnel.

    -Tu comprends, la communion !

    Il avait parlé tout fort et le passant sur le trottoir le dévisagea, croyant peut-être qu'il était fou.