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off-shore - Page 38

  • Notule 22

    Il ne s'agit pas de raconter les livres, d'en dévoiler la matière, les tenants et les aboutissants mais de les faire connaître, sans chercher un classement cohérent, sans vouloir se justifier. Simplement de partager ce «vice impuni» qu'est la lecture.

    La littérature et la musique. La musique, ou les musiciens, comme matière. Le texte comme partition, d'une certaine manière.

    1-Thomas Mann, Le Docteur Faustus, 1954 (1947 en allemand)

     

    2-Alejo Carpentier, Concert baroque, 1976 (1974 en espagnol)

     

    3-Alessandro Baricco, Novecento : pianiste, 1997 (1994 en italien)

     

    4-Catherine Lépront, Le café Zimmermann, 2001

     

    5-Christian Gailly, Un soir au club, 2001

     

     

     

     

     

  • La Localisation

     

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    Il y a quelques jours, j'envoie un texto à une mienne connaissance pour un rendez-vous dans un bar : nous partageons un certain goût pour les bières. Il est matin et l'affaire est prévue à 17 heures. Rien ne presse. N'empêche : pas de réponse. La rencontre tombe à l'eau (si j'ose dire...). 

    Le lendemain, je le rencontre et il m'explique qu'il n'a reçu mon message qu'à 18 heures 07 (une exactitude ferroviaire...). Nous mangeons ensemble, avec une tierce personne à qui nous racontons l'anecdote, certes fort commune et sans grand intérêt.

    Et celle-ci, connaissant les cinq cents mètres qui nous séparent, s'amuse : huit heures pour une telle distance ! Le progrès peut battre, en ses pires moments, plus que des records de lenteur, atteindre des degrés inouïs d'absurdité... Mais elle redevient sérieuse, pour se demander où se nichait le message, pendant tout ce temps.

    Certes, quelque cerveau informatique nous expliquerait ceci ou cela, donnerait à l'incertitude une formalisation logique qui bouclerait l'anecdote en un simple incident, une retenue, un blocage, une fausse route, une erreur de circuit. Toute raison est bonne, sans doute.

    Mais pour l'esprit vagabond et passablement obtus devant la science du binaire et des flux, il reste le mystère de mots qui flottent dans le temps et l'espace, qui se promèneraient seuls, qui en rencontreraient d'autres, fileraient à droite, ou à gauche, insaisissables, presque rebelles. Des mots batifoleurs, des insoumis de l'ordre. Pourquoi pas ?

    Plus sérieusement (c'est-à-dire : plus poétiquement) : des mots détachés de soi et qui, loin de se perdre définitivement, prennent le chemin buissonnier et errent, comme nous errons nous-mêmes, parfois, à ne pas vouloir finir ce qu'on attend de nous. Il y a toujours une mélancolie à imaginer une phrase à la dérive, une magie transitoire et éphémère.

    Oui, éphémère, car huit heures, c'est bien peu, dans le fil d'une vie, et d'autres bières nous attendent, et puisqu'il est question de temps, je n'oublie que l'une des préférées de cette mienne connaissance est L'Angélus...

     

    Photo : Ralph Gibson

  • En retrait


    matthew-pillsbury-102.jpg

     

    Je suis le sujet isolé, dans l'angle, là.

    Non celui qu'on a écarté, ou qui se serait écarté, pour faire bande à part.

    Rien de tout cela,

    mais dans le second (voire le troisième) plan, je ne fais que passer, inconcerné par l'histoire qui se joue ou que l'on fait mine de jouer, et que je vois,

    lointainement.

    Je cherche, sans être trop pressé de trouver, parmi les grandes agitations de l'heure. Ma montre est intérieure. Peut-être est-ce pour cela qu'on pense que je suis ailleurs.

    Bientôt, je ne suis plus dans l'angle.

    Nulle part. 

    Inexistant ; et c'est ainsi même que j'existe, libre de me mouvoir pour toucher qui me touche et vivre lentement, lentement.

    Certainement, il m'arrive de revenir dans l'angle même, dit-on. Je coupe parfois le devant de la scène, comme un inconscient. Pure folie dont je ne garde ni orgueil ni souvenir aigu. 

    C'est une vague lueur, un négatif de ma vie...

    Photo : Matthew Pillsbury

  • La politique en 140 signes

    Le désastre politique ne se mesure pas toujours à l'aune des déclarations idiotes, des approximations coupables, des veuleries de toutes sortes, et autres aveux d'impuissance. Il prend parfois la forme de la bonne volonté, d'un éclair de lucidité qui, par son surgissement tardif, ne peut même plus sauver celui qui en est l'auteur.

    C'est bien ainsi que l'on jugera la déclaration faite cette semaine par Philippe Martin. Certes, il n'est pas très connu du grand public. Il ne fut que le ministre de l'écologie de la présidence Hollande, et cette obscurité est une preuve supplémentaire de la dimension ectoplasmique du pouvoir présent. Il a été débarqué, en juin dernier, au nom des équilibres inutiles et d'une parité imbécile. Il est donc retourné vers la base (si l'on peut appeler base un député qui fut par ailleurs président de conseil général) et de cette expérience au milieu de la vraie vie, des vrais gens (et autres naiseries d'une certaine critique du système...), il en a tiré une leçon magistrale : il a fermé son compte twitter ! Fichtre !

    Il s'en explique via quelques tweets de fin (n'est-ce pas magique...) dont deux d'entre eux méritent citation : « prendre conscience qu'on prend plus de temps à réagir et commenter qu'à agir ou faire » pour le premier ; « se rappeler Bossuet : « il faut laisser le passé dans l'oubli et l'avenir à la Providence » pour le second.

    Voilà qui n'est pas rien : un homme politique qui prend conscience de l'inanité du tweet généralisé et du sens (ou plutôt du non-sens) qui en découle. Le vide comblé à la minute, la pulsion à défaut de la pensée, la dextérité du pouce plutôt que la fluidité de l'esprit. Je suis bien aise que le Martin ait renoncé, après avoir cédé aux injonctions de ses conseillers en communication, mais la fermeture de son compte en forme d'événement montre à quel point il n'a pas encore vraiment compris tout ce que ce cirque cachait de venin. Qu'il lui ait fallu d'être viré et un temps aussi long pour déplorer ce que les anti-modernes (ou ainsi désignés par les gens dans le vent, les anti-réacs dont le parti socialiste regorge...) dénonce depuis longtemps, c'est un peu triste. Sa découverte n'en est pas une et son appel à la mesure est trop tardif. Tout cela ne rend que plus clair le dépérissement de la pensée politique. Il faut aux histrions de la mascarade cheoir pour que les masques tombent et que cette belle démocratie de l'information prenne cette forme d'illusion permanente et de logorrhée hystérique pour que le sieur Martin en revienne à un peu de lucidité. Grand bien lui fasse, mais c'est, de mon point de vue, trop tard...

    Quant à citer l'aigle de Meaux, évidemment, on sourit. Un socialiste bon teint, baigné de cet anti-cléricalisme grotesque, allant chercher un moraliste du XVIIe siècle. Si toutefois les gens de sa secte pouvaient en faire plus ample lecture, nous n'aurions pas tout perdu. Mais il fait tenir l'ardent orateur en cent quarante signes, c'est trop peu. Voici qui sera plus profitable, extrait du Sermon pour le jour de Pâques :

     

    La vie humaine est semblable à un chemin dont l'issue est un précipice affreux. On nous en avertit dès le premier pas ; mais la loi est portée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner en arrière. Marche ! marche ! Un poids invincible, une force irrésistible nous entraîne. Il faut sans cesse avancer vers le précipice. Mille traverses, mille peines nous fatiguent et nous inquiètent dans la route. Encore si je pouvais éviter ce précipice affreux ! Non, non, il faut marcher, il faut courir : telle est la rapidité des années. On se console pourtant parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent, des eaux courantes, des fleurs qui passent. On voudrait s'arrêter : Marche ! marche ! Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu'on avait passé ; fracas effroyable ! inévitable ruine ! On se console, parce qu'on emporte quelques fleurs cueillies en passant, qu'on voit se faner entre ses mains du matin au soir et quelques fruits qu'on perd en les goûtant : enchantement ! illusion ! Toujours entraîné, tu approches du gouffre affreux : déjà tout commence à s'effacer ; les jardins moins fleuris, les fleurs moins brillantes, leurs couleurs moins vives, les prairies moins riantes, les eaux moins claires : tout se ternit, tout s'efface. L'ombre de la mort se présente ; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. Mais il faut aller sur le bord. Encore un pas : déjà l'horreur trouble les sens, la tête tourne, les yeux s'égarent. Il faut marcher on voudrait retourner en arrière ; plus de moyens : tout est tombé, tout est évanoui, tout est échappé. 

  • Improvisé

    Parmi les récits d'écrivains exposant la naissance de leur vocation, celui du Néerlandais Peter Vandevelde ne manque pas de charme (1).

    À vingt-cinq ans, il vivote alors à Groningue et joue du piano dans un orchestre de jazz. C'est à cette époque qu'il rencontre Anna Korjwik. Peu après elle doit partir pour son travail à Ostende. Il l'accompagne. Elle tombe enceinte. Il fait quelques concerts. Ses revenus sont modestes et aléatoires. ils décident que pour les premiers mois, il s'occupera de l'enfant.

    "Je me suis retrouvé, raconte-t-il, dans une petite maison où il n'est plus question de jouer du piano. Il fallait du calme. C'était l'hiver. C'est Ostende. Je me suis mis à écrire. Cela ne faisait pas de bruit. Fairfax, ou les quatre premiers mois de ma fille Monica, dans le passage étrange d'un univers débordant de notes à un autre, de silence et de mots."

    (1) À lire : Fairfax, éditions du Septante, 1992 ; L'homme à la glace, éditions du Septante, 1997 ; Bunny Consuelo, Gallimard, 2002 ; S'attarder, Verticales, 2009

     

  • Personnel politique (groupe nominal)

    Puisque l'affaire ne s'improvise plus, en considération de la complexité du monde, la politique s'est professionnalisée et nous avons désormais un personnel politique, à plein temps.

    Oui, un personnel politique, comme nous avons du personnel de maison. Certes les émoluments, les avantages et les places ne sont pas de même nature. Ils ne sont pas des bonnes et des valets. Ils ne se voient pas comme tels. Ils ont une fort belle opinion d'eux-mêmes, à la fois faiseur de lois et au dessus des lois. Et leurs mensonges, leur couardise et leur art de manger à tous les rateliers les désignent surtout comme des laquais et des hommes de main de l'ordre libéral, bref : petit personnel servile et qui oublie toujours que "au le plus élevé trône du monde, si ne sommes assis que sur notre cul" (Montaigne)...

     

  • Philosophique

    -Il a commencé à boire du thé avec du lait, et quatre sucres, dans de grands bols. Puis il est passé à deux sucres, et plus de sucre du tout. C'est après, seulement, qu'il a supprimé le lait. Plus que du thé, pur, pendant la seconde moitié de sa vie.

    -Un cheminement vers l'ascétisme, en somme ?

    -Ou la peur du diabète...

  • Tableau

     

    le mondrian.jpg

    Il ne sait pas ce qu'est l'attente. Il n'a jamais eu l'habitude d'attendre. Tout est venu à lui, sans effort. Peut-être, diront certains, parce qu'il n'a pas désiré très fort non plus.

    Elle lui a dit qu'elle serait, là-bas, au Mondrian, le Mondrian, comme le nom du peintre. Il trouverait. C'est la formule classique : facile à trouver. Et la phrase, et le lieu. Alors il a réussi, lui, sa part de marché. Avec  ce nom de peintre, à l'heure où l'obscurité d'hiver prenait ses quartiers, et en même temps, le sens de ce nom lui est revenu, de ses carrés de couleurs primaires et des barres noires, sur le packaging de l'Oréal.

    Il a souri, intérieurement, et s'est installé. La nuit est venue, elle toujours pas. Il a commencé à trouver très inconfortable cette attente parce que, doucement, la salle se remplissait  et que cette solitude dont il ne savait pas masquer la gêne qu'elle lui procurait devenait visible. Elle avait des spectateurs. Les premiers clients qui s'installaient et commençaient à manger.

    Pour se donner contenance, il a passé deux ou trois coups de fil, de potes qui pouvaient le rejoindre. Il a vendu l'affaire comme un crève-la-faim, d'une carte alléchante et, ensuite, pas très loin, d'un concert de pop, par un groupe underground, des Écossais, et c'était bon : il arriverait dans une heure et demie, parce que, de toute manière ils étaient déjà à l'apéro, ailleurs, ou en train de manger.

    Son retard atteignait un point de non-retour et lui, comme un perdu, derrière la vitrine, faisait durer les conversations pour donner le change, pour que les passants ne le prennent pas pour un pauvre hère, un gars largué, un sans-ami, un poisson en aquarium. Il aurait rigolé de voir un type comme lui scruter le dehors noir et froid. Il se voyait bien de l'autre côté, sur le trottoir, avec ses potes, à parier entre misère et largage. Il avait envie de sortir, d'aller voir ailleurs, mais il se mettait à pleuvoir, un petit crachin d'avril.

    Même si elle ne rappliquait pas dans le quart d'heure, il l'enverrait sur les roses, et si elle ne venait pas du tout, il ne remettrait jamais les pieds au Mondrian.

    Et puis si, il y retournerait, pour ne pas se laisser envahir par la tristesse d'être tombé amoureux, bêtement, parce que l'attente à la caisse du Franprix était longue et qu'il avait eu le temps de la regarder, avec un tel éclat en lui qu'arrivé son tour, pendant qu'elle lui tendait la note, il était le dernier client, après c'était : fermé pour l'instant, il lui avait demandé si elle sortait le soir. Pas avant mardi, à cause de ses examens. Alors jeudi ? Oui, jeudi, au Mondrian.

    Elle avait sans doute oublié. Se dire cette chose infâme : cela lui est sorti de la tête. Être cela.

    Photo : Pierre-Damien Boudier

  • Pour finir...

    Plus nous votons, plus la fréquence électorale s'accroît, plus la démocratie (ou son semblant) s'éloigne. Le passage du septennat au quinquennat n'est rien d'autre que le parachèvement de cette illusion qui substitue la fréquence compulsive au temps du politique réfléchi. On pourrait en dire autant de la décentralisation.

    *

    Nous voterons en mars pour les cantonales et en décembre pour les régionales. Il n'était pas souhaitable que tout ce cirque se passât le même jour. Les électeurs s'y seraient, paraît-il, perdus. Étrange argumentaire que cette infantile préservation du citoyen...

    *

    Pour le moins, 2015 sera rentable pour les sondeurs, les experts en tous genres et les analystes politiques. Il faut que la démocratie profite à quelques-uns.

    *

    Le vote est devenu l'inexistence du citoyen, et le citoyen la disparition de l'homme.

    *

    Bulletins blancs : les débats autour de leur comptabilité inquiètent. Il s'agit de masquer quelque chose.

    *

    Faisons les comptes : 

    D'un côté, les bulletins blancs et nuls, les abstentions...

    De l'autre, les voix...

    Comme si les premiers n'avaient rien dit, n'avaient rien à dire, n'existaient pas. De fait, la démocratie impose ses règles et efface ceux qui, sans violence, en contestent le fonctionnement (et s'ils le font par la voie des urnes, ce sont des populistes...)

  • Point d'impact

    Gunnar Smoliansky_hh2.jpg

     

    Imaginons que tu aies un doute.

    Un doute.

    Un argument sans épaisseur, rien qui consiste, comme d'avoir vu le vent changer et d'en prendre ombrage alors que c'est le quotidien.

    Justement le quotidien en guise de doute (et non sa réciproque) : une pièce dans la poche, aussi usée que le souvenir que tu en as, puisqu'il ne s'agit pas de monnaie mais un ridicule pendentif : une médaille, que l'on portait, pas toi, mais quelqu'un d'autre, pas de la famille : il n'y avait de cous médaillés chez toi, et personne n'était du signe des gémeaux. 

    Le doute que tu aies pu un jour la voler. À une époque, tu aimais voler dans les magasins, et tu avais une certaine dextérité.

    C'est un vieux short de ville. Il a trente ans, avec une coupe de militaire traînant au désert. Tu as remis la main dessus avant de partir,

    et une médaille au fond de la poche gauche, poche arrière.

    Quelque chose que tu n'as jamais donné (à moins que ce ne soit un cadeau qu'on t'ait fait. Une preuve, d'amour ou d'amitié) à quelqu'un qui n'est plus là, nulle part, alors que tu comptes le nombre de vagues, à la fenêtre, qu'il t'aura fallu attendre avant qu'elle ne t'appelle, les bras s'agitant : on dirait un technicien aéronautique pour un bi-moteur essayant de se poser.

    Tu as la main dans la poche, la médaille entre les doigts et le pouce qui en frotte la tranche, puis la surface en relief.

    Un tout petit doute,

    que tu jettes discrètement dans la poubelle du hall, avant de sortir, radieux, ta serviette de bain sur l'épaule.

     

    Photo : Gunnar Smolianski